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Le Monde fantastique d’Oz

Après sa trilogie Spider-Man et son amusant film d’horreur Jusqu’en enfer, Sam Raimi change d’univers et s’attaque à la « magie Disney ». Après 20 premières minutes plutôt attendrissantes, Le Monde fantastique d’Oz nous embarque dans une aventure plutôt bien conduite mais très banale.

Synopsis : Quand Oscar Diggs, un obscur magicien, est propulsé du Kansas au luxuriant Pays d’Oz, les habitants du pays le prennent pour le Grand Magicien sensé les sauver.

Le Monde fantastique d'Oz - critiquePréquelle au grand classique de 1939, Le Monde fantastique d’Oz se propose de nous raconter la jeunesse du magicien d’Oz, et comment ce charlatan du Texas est devenu le mythe d’un pays féérique.

Pour cela, Sam Raimi s’inspire d’abord de l’âge d’or hollywoodien. Le noir et blanc et le format 4/3 du début, accompagnés d’une 3D anachronique, sont l’écrin d’une aventure à l’ancienne.

Comme dans Le Magicien d’Oz, quand le héros atteint le pays d’Oz, le monde devient coloré. En 2013, le format carré s’étire aussi pour laisser place au cinémascope. La 3D devient plus évidente (jusqu’à parfois transformer les prises de vue en manège quasi interactif), le son prend du relief et les effets spéciaux finissent le travail. Les techniques modernes s’emparent de l’aventure naïve pour créer un blockbuster finalement peu original, ne s’écartant pas des multiples adaptations hollywoodiennes récentes de contes de fées traditionnels.

On retient tout de même ces 20 premières minutes nostalgiques. Quand la flamme d’un cracheur de feu envahit les bandes noires latérales de la toile, donnant l’illusion, par le jeu d’un cinémascope déguisé en format 4/3, que le spectacle sort des limites de l’écran, alors le cinéma retrouve quelques instants sa magie primitive (le scénario du film jouera lui aussi sur cette magie primitive pour trouver sa conclusion).

Et le personnage de Theodora nous intrigue dès son apparition : il y aurait là un mystère à développer mais malheureusement, la suite du film impose un comportement stéréotypé à cette sorcière plus complexe et nuancée que ne le sont les autres protagonistes de l’histoire.

C’est sans doute cette banalisation des enjeux propres à Oz qui déçoit au fur et à mesure. Les personnages et les gags sont très communs. Et en fin de compte, le film se termine en une bataille ordinaire entre le bien et le mal dans laquelle le héros se trouve enfin et découvre les qualités qui sont en lui. Pas très enthousiasmant.

Note : 3/10

Le Monde fantastique d’Oz (titre original : Oz: The Great and Powerful)
Un film de Sam Raimi avec James Franco, Mila Kunis, Rachel Weisz et Michelle Williams
Fantastique, Aventure – USA – 2h07 – Sorti le 13 mars 2013

La Dernière Piste

Le Western est un genre qui n’en finit pas de mourir. Parfois jusqu’à renaître dans des éclats inattendus. C’est le cas de La Dernière Piste, un western sur les balbutiements de la conquête de l’ouest. Kelly Reichardt, par ses choix audacieux, donne une nouvelle jeunesse au genre avec ce film puissant et surprenant.

Synopsis : 1845, Oregon. Le trappeur Stephen Meek, qui prétend connaître un raccourci, conduit 3 familles qui veulent aller vivre à l’ouest sur une piste non tracée à travers les hauts plateaux désertiques. Ils se retrouvent perdus dans un désert de pierre.

La Dernière Piste - critiqueLa Dernière Piste ne ressemble à aucun autre western. Kelly Reichardt fait une série de choix passionnants qui donnent à son film une originalité saisissante.

D’abord, le sujet. Contrairement à la majorité des westerns récents, crépusculaires, habités par la nostalgie d’un genre qui semble avoir déjà vécu son âge d’or, par la nostalgie d’une époque fantasmée de légendes et d’épopées, La Dernière Piste raconte le tout début de la conquête de l’ouest. Pas encore de saloons, de shérifs, de duels au soleil ou de ruée vers l’or : les personnages sont des pionniers, ils ne vont rejoindre aucune ville existante, ils vont peupler un lointain ailleurs, inconnu, pas encore civilisé, ils vont créer les lieux de notre imaginaire collectif. La Dernière Piste est un film à contre-courant qui se permet de recommencer le mythe du début, comme si rien n’existait encore, comme si tout était à venir.

Ensuite, le point de vue. La caméra ne suit pas les cow-boys, elle s’intéresse à leurs femmes, reléguées à l’arrière du convoi et à l’écart des décisions. Aux tâches ménagères qu’elles accomplissent discrètement, mais aussi à leurs réactions et à leur façon d’appréhender leur condition de femme. Entre la jeune fille effrayée qui cherche avant tout la protection de son mari et la mère vertueuse et soumise aux décisions de son homme, Michelle Williams campe une femme de poigne et de conviction, curieuse des décisions politiques, écoutée et respectée par son époux. Cette madame Tetherow refuse de laisser son destin entre les mains des hommes et du hasard, elle décide d’agir et de s’imposer peu à peu, lentement, discrètement, elle retourne la situation politique de cette micro-société nomade avec une assurance qui n’a d’égal que l’ampleur de ses doutes.

Troisième choix crucial de Kelly Reichardt, le format de l’image. En optant pour un format carré, bien loin de l’habituel cinémascope utilisé dans les westerns pour sublimer les magnifiques paysages de l’ouest américain, la réalisatrice restreint volontairement le champ de vision du spectateur : celui-ci ne peut étendre son regard sur la largeur de l’écran, il est prisonnier d’un cadre compact, perdu dans ce petit bout d’espace comme le sont les personnages qui ne voient rien de leur futur, caché par une montagne ou par la lumière aveuglante du soleil. Mais cette image coupée, comme amputée de ses bords, permet aussi d’ouvrir le champ de vision du spectateur dans une autre direction a priori inaccessible au cinéma : la profondeur. Enfermé dans une surface limitée, le regard se perd dans les tréfonds de l’image, dans le lointain qui se démultiplie derrière les personnages. L’écran n’est plus un chemin qu’on parcourt de gauche à droite ou de droite à gauche, c’est une étendue sans direction, sur laquelle il nous faut avancer, nous enfoncer, qu’on pourrait parcourir en tout sens et qui semble pourtant ne mener à rien. C’est dans ce choix de format carré que la réalisatrice nous permet paradoxalement d’appréhender le plus la profondeur menaçante des paysages et le risque que nous avons de nous y perdre.

Enfin, comment ne pas parler du traitement de l’histoire et des personnages. La grandiloquence propre au western disparaît derrière la banalité des tâches ingrates, les héros ne sont que des hommes qui ont faim et soif, le seul enjeu de l’intrigue est d’avancer encore et toujours, d’abord pour trouver de l’eau, ensuite pour atteindre la terre promise. Tout procédé de fiction est atténué, les plans sont souvent fixes, les mouvements de caméra sont rares et suivent discrètement la marche des personnages, seule la musique inquiétante raconte encore quelque chose, le danger, la folie qui guette l’expédition, la peur de ne pas survivre, d’abord vague, puis de plus en plus précise. Très loin de l’épopée, La Dernière piste choisit le naturalisme le plus minimaliste pour raconter le quotidien et les dilemmes d’une expédition perdue.

Et pourtant, malgré ce refus catégorique de Kelly Reichardt de céder à tout procédé ou récit spectaculaire, on ne s’ennuie jamais, on est happé par le drame intime qui se joue tout autant que par la dimension mystique de cette petite histoire qui s’inscrit dans la grande. Là plus qu’ailleurs, la nation américaine se crée, les pionniers cherchent une vie meilleure mais ils ne peuvent pas savoir qu’ils vont changer le monde.

Tout en étant d’une justesse et d’une sincérité troublantes, La Dernière Piste trouve un merveilleux équilibre entre le réel et l’allégorie. Perdus dans le mystère de ce qui n’a pas encore été exploré, dans l’espace comme dans le temps, ces femmes et ces hommes sont mis à l’épreuve des choix, ballotés entre la loi du groupe et la loi de l’individu, entre la loi du vote et la loi du plus fort, entre d’une part, leur foi et leurs convictions, et d’autre part, toute l’étendue de leur ignorance.

Bien au delà du Far West, les personnages de Kelly Reichardt sont perdus là, entre l’instinct et l’incompréhension, entre la certitude et le doute, entre ce qu’ils croient savoir et ce qu’ils sont bien forcés d’admettre qu’ils ignorent. Dans l’un des derniers plans du film, troublant et magnifique, le regard de Michelle Williams nous parvient d’entre les branchements d’un arbre égaré. Il porte en lui et nous communique cette contradiction qui dévore le film et ses personnages : autant d’assurance que d’incertitude.

Note : 8/10

La Dernière Piste (Titre original : Meek’s Cutoff)
Un film de Kelly Reichardt avec Michelle Williams, Paul Dano et Bruce Greenwood
Western – USA – 1h44 – Sorti le 22 juin 2011

Blue Valentine

Avec son sujet ordinaire, Blue Valentine aurait pu passer inaperçu. Pourtant, le film a été sélectionné à Sundance et à Cannes (section Un certain regard), et Michelle Williams a même été nominée à l’Oscar. Parce que Blue Valentine, précis et follement sincère, arrive à montrer un amour qui meurt. Parce qu’il se dégage de ce film quelque chose de rare : une vraie tristesse.

Synopsis : A travers une galerie d’instants volés, passés ou présents, l’histoire d’un amour que l’on pensait avoir trouvé, et qui pourtant s’échappe…

Blue Valentine - critiqueDeux époques s’entrecroisent, deux histoires semblent se contredire. D’un côté, le quotidien d’un couple en crise, les disputes, les frustrations, la vie de famille. De l’autre, les moments exceptionnels de la rencontre amoureuse, les minauderies de la séduction, le bonheur de la passion. Entre ces deux moments de la vie d’un homme et d’une femme, quelques années seulement. Quelques années, le poids d’une vie immobilisée par le choix définitif de fonder une famille, les mêmes défauts de l’un qui se frottent toujours aux mêmes agacements de l’autre et réciproquement, et la passion s’est fanée, il ne reste qu’un amour mort, d’autant plus insupportable qu’on l’a rêvé immortel.

La rencontre amoureuse et, bien plus tard, la rupture, comme si dans l’amour il n’existait que ça, la naissance et la mort. Condamné à être toujours plus fort s’il ne veut pas immédiatement s’affaiblir. Blue Valentine, en faisant le choix de ne rien montrer entre ces deux périodes de la vie de Dean et Cindy, frotte l’un à l’autre ces processus qui semblent pourtant s’exclure. Comment peut-on aimer assez fort pour que rien d’autre n’ait d’importance et, (presque) l’instant d’après, ne plus supporter l’autre, s’ennuyer de tous ses gestes, de toute sa personne?
Blue Valentine montre avec beaucoup de vérité et de cruauté la décristallisation amoureuse dont parlait André Gide dans Les Faux-monnayeurs.

Tout dans l’image, son cadre imprécis et mobile, sa lumière naturaliste, sa mise au point approximative, rapproche Blue Valentine d’un film de famille, d’une captation du vrai. Les personnages parfaitement dessinés et les situations triviales renforcent encore le réalisme d’une romance qui aurait pu paraître démonstrative.

Heureusement pour Blue Valentine, la sincérité qui semble éclairer chaque plan permet au spectateur de ne jamais s’interroger sur le simplisme d’un scénario sans originalité. Au contraire, Derek Cianfrance arrive à dire avec évidence toute la tristesse qu’il y a à ce qu’un grand amour ne soit pas éternel. Et dans sa volonté de retrouver l’amour originel étouffé sous le poids de la vie commune, le film rappelle même parfois le chef d’oeuvre de Michel Gondry, Eternal Sunshine of the spotless mind.

Mais dans Blue Valentine, le champ des possibles est verrouillé. Au bout d’une histoire d’amour, il n’y a que la solitude, l’amertume, et des souvenirs d’autant plus douloureux qu’ils sont devenus incompréhensibles.

Note : 6/10

Blue Valentine
Un film de Derek Cianfrance avec Ryan Gosling et Michelle Williams
Romance – USA – 1h54 – Sorti le 15 juin 2011