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Films sortis au cinéma avant 2005

L’Année dernière à Marienbad

Alain Resnais est mort il y a 3 jours. Retour sur le second long métrage de l’un des plus grands cinéastes de l’histoire. Ecrit par Alain Robbe-Grillet, l’un des chefs de file du Nouveau Roman, le film propose une expérience totalement inédite et fascinante. L’Année dernière à Marienbad, et 50 ans plus tard, Les Herbes Folles. Resnais aura égaré et subjugué des générations de spectateurs, avec toujours la même quête insensée : essayer de donner du sens à la vérité nue.

Synopsis : Dans un grand hôtel fastueux, un homme tente de convaincre une femme qu’ils ont eu une liaison l’année dernière à Marienbad.

L'Année dernière à Marienbad - critiqueLe temps qui passe. Le souvenir. Et l’incertitude. Qu’y a-t-il de plus mystérieux que le passé, cette vérité de laquelle il ne reste que des bribes, des pensées vagues, des images floues, des vides?

Alors, comme la mémoire, le film d’Alain Resnais est rempli de trous… et d’images doubles, ou multiples. C’est qu’on ne se souvient plus de la continuité, on ne sait plus comment on est passé de tel instant à tel autre. Et c’est aussi que chaque instant dont on se souvient, prend des formes différentes à mesure qu’on le scrute. Parfois, le souvenir disparaît carrément, on le plaçait mal, au mauvais moment, au mauvais endroit, on avait mélangé deux images, raccourci le temps, oublié les lignes.


L’Année dernière, on en est sûr. L’Homme en est sûr, tout du moins. Marienbad? Peut-être. Ou peut-être ailleurs. Le titre lui-même affirme une incertitude. Le film pourrait s’appeler « L’année dernière, sûrement, à Marienbad, peut-être ».

Alors, se sont-ils connus, comme l’affirme l’Homme, ou bien confond-il, comme l’affirme la Femme? Pourtant, les preuves s’accumulent. La description d’un lieu, une photo, la résistance vacillante de la Femme. Pourquoi refuse-t-elle de se souvenir?

Où était le miroir dans la chambre? Quelle était la position de la Femme sur ce lit? Pouvait-elle entendre les pas de son mari? Y a-t-il eu un mort? Alors, on comprendrait le traumatisme. Mais qui serait le narrateur? Ou bien, à qui parlerait-il?

Il faut bien que les deux personnages soient vivants pour que le dialogue ait lieu. A moins qu’il ne s’agisse d’un dialogue intérieur? Dans ce château baroque, trop riche, trop chargé, comment retrouver l’essence du passé? Dans cet esprit tortueux qui est celui des hommes, la caméra se promène, pleine de mouvements, comme à la recherche de la vérité. L’univers du film n’est alors peut-être plus que la représentation étouffante d’une pensée trop large et labyrinthique. Où chercher?

Marienbad photo 1

Le temps s’arrête souvent, dans des plans stupéfiants de flash mob avant l’heure. La caméra se promène entre les figurants du passé, arrêtés en pleine action. Parfois, entre les êtres immobiles, la Femme ou l’Homme continue de vivre, comme le centre d’attention d’une mémoire en action.

Des bribes de conversation nous arrivent ici et là, rejoignant parfois l’image qui leur donne vie. Tous ces couples parlent de rien, dans un espace gigantesque, surchargé, artificiel. Les mondanités sont les mêmes que celles de ces couples qui discutent dans Pierrot le fou.

Dans ce vide de normalité, les êtres disparaissent, le sens n’a plus d’importance. L’Homme est grave pourtant, il ne se soucie pas des noms, des lieux, des détails, de la vie. Emmené dans une quête métaphysique, il se heurte à la curiosité de la Femme, qui voudrait des noms, des lieux, des détails, de la conversation.

Comment réconcilier le mot et l’idée, le signifiant et le signifié, la discussion et le sens, la souvenir et le passé? Entre le réel, banal, et l’interprétation du réel, douteuse ou inexistante, il y a un hiatus tragique. Qu’en est-il d’ailleurs de cette statue, qui fige elle aussi deux êtres du passé dans la pierre? L’homme protège-t-il la femme d’un danger, celle-ci lui montre-t-elle un sujet d’espoir? Peut-on envisager que les deux soient vrais?

Marienbad photo 2

Comme des statues, les personnages de nos souvenirs se figent, eux-aussi, dans cet hôtel fastueux. Peut-on envisager que tout ait un sens, et qu’il n’y ait pas, comme on l’a dit, autant de films que de spectateurs?

Dans L’Année dernière à Marienbad, tout est d’une précision minutieuse. Certains plans sont étonnants, à couper le souffle. Alain Resnais et Alain Robbe-Grillet ne semblent pas avoir joué aux dés. Il faudrait voir et revoir le film pour mieux cerner cette histoire libre et obsédante. Être libre, c’est choisir. Comme pour le mari, champion d’un jeu à la précision mathématique, chaque coup semble prévu, chaque geste calculé.

Jusqu’à ce que la réalité rejoigne la pièce de théâtre du début du film, à laquelle nous croyions que les personnages assistaient, sans que nous ne soupçonnions qu’il s’agissait déjà d’eux, de leurs souvenirs, de leurs attentes. Assez vite, il n’y a plus aujourd’hui et l’année dernière, car le présent même semble raconté par l’Homme, le présent même semble glisser doucement vers le passé. Le film commence avec une pièce de théâtre qui figurait déjà la fin du film. Comment ne pas penser aux constructions énigmatiques de David Lynch (ou plutôt comment ne pas penser que David Lynch se soit inspiré de Marienbad), quand le temps et la mémoire sont déformés jusqu’à créer une nouvelle conception du monde et de la vérité?

Marienbad photo 3

Alors la Femme a beau se démener, elle va devoir céder. L’horloge sonne minuit. Le temps reprend ses droits. On peut toujours tordre le coup au passé, on ne peut pas lutter contre le temps qui passe. Tout ce qu’on déforme dans notre esprit se reforme dans la réalité. Dans un jeu d’allers-retours incessants, on pense le monde qui nous fait penser. On modifie le vrai qui nous modifie.

Et l’amour? 40 ans avant Eternal Sunshine of the spotless mind, Alain Resnais dessinait déjà l’empreinte indélébile laissée en nous par l’être qu’on a aimé. Sous l’oubli, la douleur. Sous la douleur, l’amour. S’est-on vraiment aimés l’année dernière à Marienbad? Ou, dit autrement, l’amour, une fois passé, s’efface-t-il pour toujours?

Alain Resnais filme le doute et les cicatrices de façon presque expérimentale, dans un récit sans queue, sans tête, sans les liens qui, d’une scène à l’autre, expliquent le présent par le passé, les conséquences par leur cause. Il nous donne un film existentiel, il fait de l’existence une cathédrale du vide, où l’on se débat de toutes nos forces pour redonner un sens à la continuité du temps, et à la rencontre de deux êtres.

Note : 8/10

L’Année dernière à Marienbad
Un film d’Alain Resnais avec Delphine Seyrig, Giorgio Albertazzi, Sacha Pitoëff
Drame, Romance – France, Italie – 1h34 – 1961
Lion d’Or au Festival de Venise 1961

Macadam Cowboy

Alors que Dustin Hoffman réalise son premier film (Quartet), revenons à l’une des œuvres majeures qui marqua sa brillante carrière d’acteur. Macadam Cowboy fut le premier film classé X à obtenir l’Oscar du meilleur film. Dans cet anti-western, Joe Buck va vers l’est pour essayer de vivre grâce aux femmes. Le rêve américain perverti n’est plus alors que désillusion…

Synopsis : Joe Buck quitte le Texas pour New York, où il espère se faire entretenir par des femmes riches. A la place, il y rencontre Ratso, un petit italien chétif, boiteux et tuberculeux.

Macadam Cowboy - critiqueUn jeune texan naïf arrive à New York, sûr de faire fortune en tant que gigolo. Son périple se construit de déceptions et d’humiliations. Victime d’un passé douloureux, Joe Buck est d’abord d’un optimisme sans faille, avec sa gueule d’ange et son accoutrement de cow-boy, il se fait l’héritier des mythes américains : rien ne lui est impossible, le monde lui appartient.

Quand ses espoirs se confrontent à la dure réalité, ses difficiles expériences passées reviennent dans son esprit, comme pour démontrer le cycle infernal et multiforme de l’hostilité, qu’elle se développe à la campagne ou bien en ville. Ces souvenirs refoulés remontent jusqu’au spectateur sous la forme de flashbacks morcelés, nous communiquant ainsi l’ampleur du traumatisme.

Rarement la ville n’a été aussi cruelle au cinéma. Dans cette métropole indifférente et individualiste, les plus faibles ne survivent pas. Mais au bout de la marginalité, Joe Buck va gagner quelque chose de très rare dans ce monde: une amitié. La très belle musique ajoute à la mélancolie de l’ensemble et prépare un dénouement d’autant plus triste qu’il laisse flotter un léger optimisme.

John Schlesinger arrive à nous attacher à ses antihéros tout en détruisant le mythe du cow-boy américain. La séquence de fête psychédélique montre que les époques changent. La marche du temps ne se conforme à aucun idéal, elle détruit le passé et réinvente sans cesse le présent. Macadam Cowboy est à ce titre l’un des grands repères du Nouvel Hollywood : il s’affranchit des codes du cinéma classique pour s’attaquer à des sujets complexes et tabous. Quitte à livrer une histoire iconoclaste, parfaitement unique et profondément bouleversante.

Note : 8/10

Macadam Cowboy (titre original : Midnight Cowboy)
Un film de John Schlesinger avec Dustin Hoffman, Jon Voight
Comédie dramatique – USA – 1969 – 1h53
Oscars 1970 du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur scénario adapté, Baftas 1970 du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur scénario, du meilleur montage et de la révélation de l’année (pour Jon Voight)

La Jetée

Roman-photo, poème métaphysique, La Jetée est le film culte qui inspira Terry Gilliam pour son excellent L’Armée des 12 singes. En quelques mots et quelques images, Chris Marker raconte la destinée de l’humanité et l’existence d’un homme. Et livre une réflexion intense et très troublante sur la condition des hommes, englués dans le passage du temps.

Synopsis : Paris, après la fin de la 3ème Guerre Mondiale. La surface de la Terre est devenue inhabitable. Dans les sous-sols, les scientifiques essaient d’établir un corridor temporel pour « appeler le passé et l’avenir au secours du présent »…

La Jetée - critiqueLa Jetée fait partie de ces rares courts métrages qui sont restés dans la postérité comme des œuvres de cinéma à part entière (on pense notamment au Chien andalou de Buñuel ou au Nuit et Brouillard de Resnais). Il s’agit d’un film très simple et follement complexe, d’un récit narratif et d’un essai expérimental.

Comme si Chris Marker avait réussi à confondre en un même objet ce qui d’habitude s’oppose. Alors, La Jetée, est-ce vraiment du cinéma, ou bien simplement de la photographie? Le film rappelle qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre l’un et l’autre, et si l’illusion du mouvement est habituellement le fait de la vitesse de projection des images fixes, elle est ici le fruit de notre imagination.

Les photos nous sont présentées une à une, très loin du fameux 24 images par seconde. On a bien le temps de voir que ce sont des photos, que rien ne bouge. Et pourtant, la voix off accompagne les images de sorte que notre esprit comble les trous, rajoute le mouvement qui manque, donne aux images la fluidité qui en ferait un film.

Le montage est habile, parfois en coupe sèche, parfois en fondus enchaînés poétiques. S’il n’y a que des fragments de réalité, c’est que La Jetée est un film sur la mémoire, et que celle-ci ne nous permet jamais d’accéder à la continuité du passé. Ce qui différencie essentiellement les souvenirs des événements tels qu’ils ont eu lieu, c’est l’écoulement du temps, que l’esprit ne sait pas recréer. Alors, à partir de photographies sensibles du passé, il imagine, il utilise sa raison pour recoller les images multiples qui forment les souvenirs.

Le film de Marker fonctionne comme la mémoire, il demande à notre esprit de travailler à partir de quelques images qui font office de souvenirs et d’un monologue qui fait office de pensée. Il nous demande de nous rappeler, et nous donne les éléments qui nous manquent pour nous approprier la vie d’un étranger.

Si l’homme du film ne fait que divaguer d’un souvenir à l’autre, il n’arrive à se superposer vraiment avec ce qu’il vit que dans une très courte séquence, magnifique de poésie, quand enfin le cinéma reprend le dessus sur l’image figée et offre au héros malheureux le temps si fragile et si précieux de l’amour.

Car c’est bien cela le sujet du film, le temps qui passe et qui ne revient pas. Alors, il reste la science-fiction, et Chris Marker nous invite à une expérience métaphysique du voyage temporel. Le passé, le présent et le futur entrent en collision dans une œuvre poétique qui parle avant tout d’amour, de mort, de guerre, et des destins enchevêtrés de l’individu et de l’humanité.

Et quand, au-delà des couloirs temporels, le passé et le futur se rejoignent enfin, quand on assiste au rendez-vous funeste programmé depuis toujours, alors le sens de la vie se réduit tragiquement à la mort. Et on est devant l’une des fins les plus déchirantes de l’histoire du cinéma, que Terry Gilliam reprendra dans son magnifique L’Armée des 12 singes.

Au-delà de cette passionnante fable post-apocalyptique et des fascinants recours du futur pour survivre (un double futur, le premier hanté par les spectres d’Auschwitz et d’Hiroshima, le second habité par des hommes qui ressemblent à des âmes), c’est donc l’absurde tragédie de la vie de chaque être humain qui nous est contée. Car comment survivre, comment aimer, comment même envisager l’avenir quand depuis très jeunes, nous sommes forcément obsédés par notre propre mort?

Note : 9/10

La Jetée
Un film de Chris Marker avec Jean Négroni, Helene Chatelain, Davos Hanich
Science-fiction – France – 28 minutes – 1962
Prix Jean-Vigo 1963

Le Train sifflera trois fois

A l’occasion de sa ressortie cette semaine au Reflet Medicis (Paris 5ème), parlons un peu du chef d’œuvre qui donne son nom à ce blog. Le Train sifflera trois fois est un western moderne et haletant, un film profondément politique d’une rare envergure, qui gagna 4 oscars en 1952.

Synopsis : Alors qu’il s’apprête a abandonner ses fonctions de shérif pour se marier, Will Kane apprend qu’un bandit, condamné autrefois par lui, arrive par le train pour se venger… Peu à peu, tous ses hommes l’abandonnent.

Le Train sifflera trois fois - critiqueUn western exceptionnel, qui fait la part belle à la psychologie des personnages et qui sous des apparences de simplicité contient un discours social tout à fait troublant.

Dans une lutte contre le temps vécue en temps réel par le spectateur et stressante au possible (la musique et l’horloge se partagent le second rôle au côté d’un Gary Cooper désespéré), c’est l’attente qui est peut-être la plus insupportable. Car toute la ville attend le train de midi, plus ou moins passivement, depuis le shérif qui cherche des renforts jusqu’aux 3 bandits impatients de voir arriver leur chef, en passant par les femmes qui attendent tout simplement le train pour fuir, ou le village qui attend avec émotion le duel sordide qui va se jouer.

La montée de la tension est exceptionnelle, le personnage se retrouve enfermé dans sa décision de ne pas fuir, obligé qu’il est alors de faire face sans soutien et sans les moyens dont il aurait besoin. Une décision ambigüe dont on ne sait si elle est plus motivée par l’intégrité, le désir de justice et l’incapacité à abandonner ses amis, ou simplement par la fierté, par un excès de confiance en soi qui se dégonfle petit à petit jusqu’à tourner au désespoir.

Chacun est alors devant un dilemme : pour lui, respecter sa décision ou fuir (mais n’est-il pas déjà trop tard?), pour sa femme respecter ses convictions ou aider son mari, pour le shérif adjoint, se venger ou aider celui qu’il admire (ne serait-ce peut-être que l’aider à fuir si on ne peut plus l’aider autrement), pour chaque personne dans le village, laisser passer les évènements et faire honneur au vainqueur, ou peut-être risquer sa vie mais aider celui qui est resté pour eux et qui les a sauvé de nombreuses fois, leur permettant de vivre dans la paix. Mais accordent-ils assez d’importance à cette paix, à cette vie sociale juste que le shérif a réussi à construire, ou bien est-ce leur sécurité, leur paix personnelle, leur égoïsme qui passe avant tout??

La passivité de monsieur Tout-le-monde, l’individualisme, quand l’entraide et la recherche du bien est simplement remplacée par une curiosité vicieuse et une simple résignation. Comme si on pouvait faire toutes les horreurs du monde, tant que ça ne touche que les autres, tant que cela ne remet pas en cause notre tranquillité. Et au contraire, pour conserver ce semblant de sécurité, on est prêt à tout accepter, tous les chefs, tous les régimes, toutes les injustices.

Le film trouve de nombreuses résonances dans l’Histoire. Jusqu’à quel point se battre pour les autres peut-il être dangereux pour nous? Jusqu’à quel point les autres valent-ils la peine qu’on se batte pour eux? Et jusqu’où peuvent aller les horreurs que chaque homme est prêt à accepter tant qu’elles ne le concernent pas directement? Un héros incorruptible, loyal et volontaire mais humain, pris peu à peu par la peur, des citoyens américains lâches et opportunistes, une femme courageuse, intrépide, idéaliste et décisive, Le Train sifflera trois fois est un western à part, un western de rupture, où l’amitié virile n’est rien et où les idéaux et le volontarisme de quelques-uns, hommes et femmes, ont bien du mal à se faire entendre dans un village gagné par la peur et le renoncement. Ici, très peu d’action, très peu de coups de feu. Le drame se prépare, comme si nous assistions aux coulisses d’un western classique.

Un film sur l’indifférence. Quand les individus acceptent résignés ce qui se passe, qu’ils ne cherchent plus à se battre, et qu’ils considèrent l’injustice comme inéluctable, comme allant de soi. Alors le midi du film peut bien arriver, il ne fait peur qu’à ceux (qu’à celui) qui luttent encore. Et pourtant il faut lutter… Toujours lutter. Rester pour s’entraider. Toujours se révolter, toujours se battre, ne jamais accepter. Car l’indifférence tue. Et c’est le pire des crimes de l’humanité.

Note : 9/10

Le Train sifflera trois fois (titre original : High noon)
Un film de Fred Zinnemann avec Gary Cooper, Grace Kelly et Thomas Mitchell
Western – USA – 1h25 – 1952 (ressorti le 12 décembre 2012)
Oscars 1952 du meilleur acteur (Gary Cooper), du meilleur montage, de la meilleure musique originale et de la meilleure chanson originale

La Balade sauvage

Terence Malick était déjà une légende du septième art bien avant d’obtenir en 2011 la Palme d’or du Festival de Cannes. La Balade sauvage est son premier film, et déjà il contemple l’amour et la violence que contiennent l’âme humaine et la nature dans son ensemble. Avec un regard de cinéaste unique qui donne à chaque détail du quotidien sa part de grandeur mystique.

Synopsis : Dakota, 1860. Kit et Holly désirent se marier mais le père de la jeune fille refuse cette alliance. Furieux, Kit l’assassine et s’enfuit avec Holly…

La Balade sauvage - critiqueLa Balade sauvage, premier film de Terrence Malick, porte déjà la signature unique de son auteur. Celui-ci filme des paysages magnifiques qui se heurtent à la situation des personnages en leur demandant d’avoir eux aussi une vie magnifique. La voix-off est distante, elle commente l’action de manière lancinante, désabusée, et le décalage créé donne encore plus d’ampleur à l’histoire très simple qui est racontée.

Car La Balade sauvage est effectivement une histoire simple, une version de Bonnie & Clyde dans laquelle il n’y aurait que le nécessaire, et aussi quelques petits moments absolument pas nécessaires pour l’intrigue et qui font la magie des récits de Malick. Car comme toujours chez lui, l’essentiel est dans ces séquences flottantes qui ne participent pas aux péripéties du récit mais à l’intérieur desquelles les personnages vivent, simplement, leur quotidien.

Malick a déjà ce talent pour confronter la dérision du quotidien à la grandeur de l’âme humaine et de la nature qui lui fait forcément écho. La musique, presque joyeuse, est aussi tout à fait solennelle, et on peut être sûr qu’elle a longtemps fasciné Tony Scott avant qu’il ne fasse son True Romance. La voix-off de ce dernier film et la trajectoire du couple qu’il décrit sont d’autres similitudes qui en font une sorte de remake pop, violent, tarantinesque de cette Balade plus sauvage que nous propose Malick, lui qui au contraire contemple toujours l’âme humaine avec une économie de mots et d’actions.

L’une des spécificités du scénario du premier film de Malick, c’est le personnage de Holly, qui au contraire des grandes amoureuses en cavale de la légende du septième art, se sent totalement extérieure à ce qui lui arrive. Elle pense que Kit est fou et elle le suit plus par désœuvrement que prise par le feu d’un éternel amour. Tony Scott reprendra aussi plus ou moins cet élément. Holly est capable de se désolidariser totalement. Kit, lui, cherche la gloire, aussi bien celle que peut lui attribuer le reconnaissance des autres (il se recoiffe dans des moments plutôt inattendus) que celle plus intime d’un amour qui doit être extraordinaire et surmonter la mort.

Mais Kit a aussi « la gâchette facile » comme le remarque bientôt Holly. Ne peut-on être un héros romantique que si l’on est fou et dangereux? Le personnage de Kit semble être un gamin qui ne se rend pas compte de ce qu’il fait, mais il est aussi le modèle admiré par tous ceux (policiers compris) qui n’ont pas la force de vivre avec une telle fureur, de « tuer le père ».

La Balade sauvage est alors peut-être le vrai trait d’union entre le James Dean de La Fureur de vivre et les grands couples criminels du cinéma des années 90 (Tueurs nés, Sailor et Lula, True Romance…). A la poursuite de la promesse de liberté totale qui réside dans les paysages grandioses d’Amérique. L’essence même du Road movie. Au bout du chemin, il y a soi, et puis souvent la fin de soi. Trait d’union aussi entre Easy Rider et Thelma et Louise tant parfois l’amour paraît terne par rapport aux Bonnie & Clyde traditionnels.

Dans La Balade sauvage, l’amour aussi est un échec. Sans doute est-ce là la vrai clé de lecture du film. Comment comprendre les choix de Kit à la fin de l’aventure? Dans l’idéal de liberté totale qu’il poursuit, ce qui ne mène pas à l’amour ne peut mener qu’à la mort. Or l’amour, le partage d’un idéal, est plus que jamais une illusion qui nourrira encore longtemps le cinéma de Malick.

Note : 7/10

La Balade sauvage (titre original : Badlands)
Un film de Terrence Malick avec Martin Sheen, Sissy Spacek et Warren Oates
Romance, Drame, Thriller – USA – 1h35 – 1974