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The Sessions

Prix du public au Festival de Sundance, The Sessions est inspiré de la vraie vie de Mark O’Brien et de son essai « On Seeing a Sex Surrogate ». Et effectivement, malgré quelques maladresses, le film est authentique et attachant, donnant à partager sans pudeur ni sentimentalisme excessifs le malheur terrible de ne pas pouvoir séduire, de ne pas pouvoir faire l’amour.

Synopsis : Paralysé du cou aux orteils, le poète Mark O’Brien, confronté à sa virginité ainsi qu’à l’angoisse d’une vie sans plaisir charnel, retient les services de Cheryl, une thérapeute sexuelle…

The Sessions - critiqueIl y a tout juste un an, Hasta la vista se risquait déjà à aborder le sujet complexe et casse-gueule de la sexualité des handicapés. Le réalisateur belge Geoffrey Enthoven livrait alors une comédie, à mi-chemin entre le teen movie et le road trip d’initiation.

The Sessions prend le parti de la comédie dramatique et de la romance, entre réalisme et intimisme à la Sundance. La forme du récit est donc assez typique du cinéma indépendant américain mais le projet est sensible et souvent convaincant, le mérite en revenant notamment à John Hawkes. Le personnage qu’il interprète est bien dessiné, ni trop larmoyant, ni trop distant avec son handicap. On ne le sent jamais résigné, jamais effondré non plus. Il souffre sans que le film ne devienne mélodramatique, il vit tout ce qu’il peut vivre sans nous paraître artificiellement héroïque ou philosophe.

Ben Lewin saisit toute la complexité d’un homme qui fait tout ce qui lui est possible pour exister au-delà de son handicap, sans jamais lui enlever la conscience qu’il ne pourra jamais vivre comme il l’aurait rêvé. L’humour est un bouclier, l’esprit le sauve de l’anonymat. On croit tout du long à la profonde affection qu’il suscite, non pas parce qu’il est handicapé, mais parce qu’il est un homme sincère et attachant.

On est moins convaincu par Helen Hunt, qui parait souvent brutale et maladroite alors qu’elle est sensée être une professionnelle. Le métier de Cheryl est cependant l’une des découvertes et des véritables curiosités du film. De même, le personnage du prêtre semble superflu ou mal utilisé. En l’état, il pourrait simplement être un ami de Mark. La dimension religieuse est très anecdotique.

The Sessions est un petit film agréable, un peu inégal mais auquel on sait gré de ne pas tomber dans le pathos et de toujours être sincère, libre et parfois même touchant.

Note : 6/10

The Sessions
Un film de Ben Lewin avec John Hawkes, Helen Hunt et William H. Macy
Comédie dramatique – USA – 1h35 – Sorti le 6 mars 2013
Prix du Public au Festival de Sundance 2012

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Les Bêtes du sud sauvage

Grand Prix du Jury à Sundance et Caméra d’or à Cannes, Les Bêtes du sud sauvage est un premier film percutant : le sujet est fort et original, alliant la singularité d’un mode de vie à des combats et des sentiments universels; la mise en scène est celle d’un film d’aventures métaphysique, partagée entre naturalisme et mysticisme.

Synopsis : Hushpuppy, 6 ans, vit dans le bayou avec son père. Brusquement, la nature devient menaçante et la santé du père se met à décliner.

Les Bêtes du sud sauvage - critiqueLes Bêtes du sud sauvage est un conte fabuleux qui ne ressemble à rien de connu. D’abord parce qu’il décrit un monde marginal quasiment jamais vu au cinéma, une micro-société de quelques individus qui ont décidé de s’isoler dans un bayou sauvage que la civilisation technologique n’a pas encore colonisée. Dans cet univers, on vit à la dure, on mange ce qu’on chasse, ce qu’on pêche et ce qu’on cueille, on habite des maisons approximatives qu’on a construites de nos mains, on vit sans contrainte de travail ou d’horaires, dans une liberté folle qui mêle fête ininterrompue et danger permanent.

Dès les premiers plans du film, la caméra, portée à l’épaule, se met au diapason de cette liberté pour imprimer un mouvement continu à la vie de Hushpuppy. Il y a dans cette incapacité à se fixer le sentiment d’une urgence absolue, une urgence de vivre, une urgence de se battre, une urgence de partager avant qu’il ne soit trop tard. La musique grandiloquente rajoute encore de la solennité. Dans cet univers, une partie de rigolade peut bien se transformer en bataille de feux d’artifices, la colère d’une enfant peut provoquer l’incendie d’une maison, une dispute entre un père et sa fille devient un souhait de mort, et instantanément la mort peut frapper, ou être reportée. Et quand une tempête provoque une catastrophe écologique, alors les aurochs préhistoriques eux-mêmes peuvent bien renaître de leurs cendres et menacer le monde de Hushpuppy.

Les Bêtes du sud sauvage est l’histoire d’une petite fille aux prises avec Mère Nature, quand celle-ci se déchaîne et remet en cause dans un même mouvement l’intime et l’universel, l’équilibre familial et l’équilibre écologique, tout cela procédant d’une même harmonie panthéiste. Alors, la partie vaut pour le tout, l’individu et le monde sont une seule et même chose, une maladie cardiaque vaut bien un cataclysme climatique. Dans cette interdépendance généralisée qui rappelle le cinéma de Terrence Malick, Hushpuppy se bat avec les armes d’une gamine de 6 ans : un étonnement naïf face au monde, une volonté farouche de changer les choses, une force d’autant plus brute qu’elle est modelée, non pas par la société, mais par un père sauvagement têtu, enfin une puissante imagination qui lutte pour donner un sens à l’apparent désordre du monde.

Alors il s’agit de reconstruire, dans les limites du possible, un schéma familial perdu dans les limbes d’une histoire qui n’a pas eu lieu, à travers des cuisses de crocodile panées. Il s’agit de changer ce qui peut être changé, et d’accepter ce qui ne peut pas l’être. Les Bêtes du sud sauvage est l’histoire d’une petite fille qui doit admettre la maladie de son père, l’histoire simple et universelle d’une enfant qui perd son innocence.

Par delà ces enjeux profondément humains qui trouvent une résonance en chacun de nous, le film force le respect par sa description étonnante d’hommes et de femmes qui refusent la société. Si Hushpuppy est notre porte d’entrée dans cet univers (car il nous faut bien le regard d’un enfant pour redécouvrir le monde dans un contexte qui nous est tout à fait étranger), son père est un magnifique personnage, pétri d’intransigeance, un idéaliste total dont la brutalité quasi-archaïque cache mal une sensibilité à fleur de peau, un désir de vivre et d’aimer primitif, débarrassé de tous les calculs complexes du monde civilisé.

Un père dont la brutalité quasi-archaïque cache mal une sensibilité à fleur de peau

Certes, le film, par l’idéal sauvage qu’il porte en lui, peut parfois frôler l’apologie de la régression. Il n’empêche, Les Bêtes du sud sauvage montre qu’il existe encore des manières de vivre en dehors de la société dominante. Il s’agit d’un choix d’autant plus fort qu’il est brutal et dangereux. Rarement mise en image, cette vie sans code et sans repère classique nous est jetée à la gueule avec la puissance d’un miroir déformant : notre monde a encore un long chemin à parcourir pour ne pas faire de nous des esclaves consentants, esclaves des conventions, esclaves du travail, esclaves de la médecine, esclaves des préjugés, esclaves d’un mode de vie globalement uniforme et imposé.

Après Garden State et tous les films à la douce mélancolie absurde qui l’ont suivi, Sundance nous livre une nouvelle pépite, une nouvelle manière de remettre en question le monde formaté qui nous entoure, des nouveaux choix pour échapper au système, un nouveau ton, une nouvelle différence dans le paysage du cinéma indépendant américain. Et cette différence s’appelle Les Bêtes du sud sauvage.

Note : 8/10

Les Bêtes du sud sauvage (titre original : Beasts of the Southern Wild)
Un film de Benh Zeitlin avec Quvenzhané Wallis et Dwight Henry
Drame – USA – 1h32 – Sorti le 12 décembre 2012
Caméra d’or et Prix Fipresci Un certain regard au Festival de Cannes 2012, Grand Prix du jury au Festival de Sundance 2012

Another Earth

Passé relativement inaperçu lors de sa sortie en salles (et pourtant prix du jury à Sundance 2011), Another Earth est une petite perle de science-fiction réaliste, un film simple et puissant qui lit intimement un destin individuel à l’absolu universel, et dont le mystère est d’offrir un possible miroir à l’humanité.

Synopsis : Un soir, une nouvelle planète apparaît dans le ciel. Le même soir, le destin d’une brillante jeune femme est brisé alors qu’elle se trouve impliquée dans un terrible accident…

Another Earth est un film d’une douce simplicité, dans lequel même la brutalité a cette légèreté qui la rend quotidienne. La science-fiction n’est qu’un contexte, un révélateur qui met les personnages face à eux-mêmes et face à l’autre. On pense à Bienvenue à Gattaca et à Never let me go : le traitement est hyper-réaliste, les enjeux sont élémentaires, la science-fiction est un écrin discret et fascinant pour un drame à hauteur d’hommes.

Comme dans Rabbit Hole, les mondes parallèles sont le seul échappatoire possible à une réalité qu’on ne veut pas accepter. Mais Another Earth envoûte, il propose un questionnement sans fin et sans limite sur le cosmos et notre place à nous. Personne ne veut être seul. L’humanité, échouée sur une planète vivante mais solitaire, a toujours regardé vers le ciel. Et si…

Tout le reste du film est puissance évocatrice. Le spectateur peut tout imaginer, doit tout imaginer. Another Earth n’en dit pas beaucoup plus, il nous invite simplement à regarder les étoiles, à nous perdre dans l’immensité mystérieuse et à nous interroger comme nous le faisions, enfants, allongés dans l’herbe. Il y a la vie qui nous entoure, certaine, concrète, absurde, qui peut basculer d’un moment à l’autre, qui tient à si peu de choses. Et il y a l’inconnu, le grand tout derrière ces petits riens, des millions d’étoiles comme autant de miroirs, qui nous renvoient au lointain ailleurs tout autant qu’à l’intime.

Jusqu’au bout, Another Earth nous laisse dans l’expectative. Le film se termine sur l’un des derniers plans les plus marquants de l’histoire du cinéma. En 10 secondes, Mike Cahill raconte un second film. En 10 secondes, l’histoire commence enfin… et se termine. En 10 secondes, les réponses sont données, sans aucune explication. La frustration est immense, le plaisir aussi. Malgré quelques maladresses, Another Earth est un film magnétique, poétique, métaphysique. L’air de rien.

Note : 8/10

Another Earth
Un film de Mike Cahill avec Brit Marling et William Mapother
Science-fiction, Drame – USA – 1h32 – Sorti le 12 octobre 2011
Prix Spécial du Jury au Festival de Sundance 2011

Winter’s Bone

Très remarqué au Festival de Sundance 2010, Winter’s Bone impressionne par l’ambiance poisseuse dans laquelle semble se débattre en vain cette jeune fille condamnée. Pourtant, le scénario, vite répétitif, ennuie avant de se résoudre bien artificiellement.

Synopsis : Ree Dolly, 17 ans, vit dans la forêt des Ozarks avec son frère et sa soeur dont elle s’occupe. Quand son père sort de prison et disparaît, elle n’a pas d’autre choix que de se lancer à sa recherche sous peine de perdre la maison familiale, utilisée comme caution.

Winter's Bone - critiqueWinter’s Bone sait installer une ambiance oppressante de bayou. Ici, au fin fond du Mississippi, les hommes et les femmes sont durs, seuls ou en clan, ils sont pauvres, sales, violents, presque animaux. Un univers pesant s’installe autour de Jennifer Lawrence, lumineuse. Pourtant, ça ne suffit pas. La faute à un scénario qui semble vite tourner à vide.
Ree cherche son père, interroge tous ceux qu’elle connaît, tous plus hostiles les uns que les autres. Personne ne veut l’aider et la quête semble vouée à l’échec. Ree est seule et ne peut pas s’en sortir, elle prend des coups et ne s’en relèvera pas.

L’enquête policière patine et on se dit qu’on n’en saura pas plus. Et pourtant, quand l’intrigue semble cadenassée, tout se résout d’un coup; miraculeusement, les gens frappent à la porte de Ree pour l’aider. Qu’ils l’aident n’est pas le problème en soi, mais pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt?

Winter’s Bone s’acharne pendant une heure à nous démontrer que personne ne veut aider Ree. Et quand le film arrive à ses fins, ne sachant comment se dénouer, il retourne sa veste et annule tout ce qu’il avait construit durant cette première heure. Ree lutte pendant tout le film, sa lutte est parfaitement inutile mais finalement, ses efforts seront couronnés d’un succès bien artificiel. Winter’s Bone manque de cohérence et du coup, d’intérêt. Toute la belle mécanique de la misère finit par sonner faux, la faute principalement à une intrigue mal construite.

Note : 3/10

Winter’s Bone
Un film de Debra Granik avec Jennifer Lawrence, John Hawkes et Kevin Breznahan
Drame – USA – 1h40 – Sorti le 2 mars 2011
Grand Prix du jury et meilleur scénario au Festival de Sundance 2010

Animal Kingdom

Un film de David Michôd avec Guy Pearce, James Frecheville, Jacki Weaver
Thriller, drame – Australie – 1h52 – Sorti le 27 avril 2011
Synopsis : Dans la banlieue de Melbourne vit une famille de criminels. L’irruption parmi eux de Joshua, un neveu éloigné, offre à la police le moyen de les infiltrer…
Grand prix du jury au Festival de Sundance 2010

Animal KingdomAnimal Kingdom est un thriller d’une densité tour à tour étouffante et bouleversante. Le spectateur est happé de bout en bout par l’histoire de cette famille de truands, il ne sera relâché que lors du générique final. Le suspense est omniprésent, il n’y a pas de répit dans ce drame shakespearien haletant.

Les personnages sont tous formidables, les interprètes sont habités. La performance est de ne pas faire dans l’esbroufe ni dans la sobriété feinte. Ici, les membres de la famille sont vrais et puissants, Baz Brown en figure paternelle bienveillante, Pope en faux calme autoritaire toujours guetté par la folie, Craig en nerveux hystérique, Darren en garçon sensible perverti par les devoirs familiaux. Janine, en matriarche protectrice, roc de sympathie, de séduction et de perversion déguisée. Chef d’une tribu qu’elle mène d’une main de fer recouverte d’un gant de velours. Et bien sûr Josh.

Dès la séquence d’ouverture, magistrale, le ton est donné. Josh ne sait s’il doit faire face à la situation ou s’évader, s’il doit regarder sa mère qui git près de lui victime d’une overdose ou la télévision, promesse d’un monde normal. Josh, l’air indifférent à toutes les situations qu’il rencontre, avance droit, le regard mi-perdu mi-agressif, il tente de se faufiler dans la vie, de faire les meilleurs choix quand aucun choix ne peut être le bon.

Le film est avant tout le récit de ses hésitations, des possibilités qui s’offrent à lui et des conséquences de ses actes, qu’il ne maitrise pas vraiment. Jamais complaisant, toujours distant, Animal Kingdom arrive pourtant pleinement à communiquer sa dureté au spectateur. L’émotion réussit à transpercer le poids de l’intrigue, des scènes d’une densité extraordinaire se font jour (la fuite de Josh alors que Pope le poursuit et ne peut ouvrir sa portière, la fuite de Josh quand des tueurs viennent pour l’éliminer, la fuite de Craig dans un champ et la séquence finale, qui donne au film son sens, sa cohérence et qui offre au spectateur un dénouement mémorable).

L’utilisation des ralentis et le mixage sonore (les bruits nous parviennent étouffés ou disparaissent complètement, des nappes inquiétantes emplissent l’univers sonore) placent le spectateur dans le double état de stress et d’indifférence qui caractérise les personnages : ils sont habitués à la présence ordinaire de la mort et en même temps, on ne s’y habitue jamais vraiment, on fait semblant, on met entre soi et la réalité un voile protecteur. David Michôd arrive, par sa réalisation élégante, à rendre palpable ce voile, le danger simultanément là et ailleurs, Josh présent et absent en même temps, toujours à la fois acteur et spectateur du drame duquel il ne peut s’échapper.

Animal Kingdom ne s’intéresse pas aux méfaits des criminels. Il s’intéresse à leur vie, à leur banalité. A la banalité d’être traqué. L’intelligence du script et l’opacité naturaliste de l’atmosphère créée donnent toute sa valeur à cette aventure désespérée.

Note : 8/10

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