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Bilan cinéma 2013 – Le Top 20
Mieux vaut tard que jamais, petit retour sur mes coups de cœur de l’année passée (films sortis en France en 2013). Le cinéma français est à l’honneur et tient la dragée haute à Hollywood. Malheureusement, pas de Bullhead, pas d’Au-delà des collines, pas de Después de Lucia cette année : le reste du monde est peu représenté.
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1 – La Vie d’Adèle (de Abdellatif Kechiche, France)
LE Frisson de l’année. Dans ce cinéma d’exigence et de vérité, les tensions du récit et de l’image sont indissociables. Un authentique chef d’œuvre, captivant et bouleversant. La Palme d’or donnée par Steven Spielberg himself.
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2 – Cloud Atlas (de Lana Wachowski, Andy Wachowski et Tom Tykwer, USA)
Le retour des Wachowski, associés à Tom Tykwer, est sidérant. Avec une ambition démesurée, les cinéastes filment l’aventure humaine autant qu’ils traquent la migration des âmes. C’est grandiose, décomplexé et étourdissant.
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3 – Spring Breakers (de Harmony Korine, USA)
Une fable instable, un objet expérimental, une œuvre moderne et fascinante. Harmony Korine raconte, dans un trip hallucinatoire, l’état d’esprit d’une époque et celui d’une jeunesse qui n’a plus rien à rêver.
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4 – La Fille du 14 juillet (de Antonin Peretjatko, France)
Un vent de fraîcheur inattendu souffle dans la salle de cinéma. Une comédie burlesque où tout fait sens, l’amour et la révolution, le travail et la fuite, le bonheur et l’ennui. Et surtout, c’est super drôle.
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5 – Gravity (de Alfonso Cuarón, USA-Royaume-Uni)
Une expérience absolument inédite, une immersion totale (et a priori inconcevable) dans le vide intersidéral. Le génie de la mise en scène est partout, dans les mouvements épiques de la caméra, dans le silence et dans ce qui émerge du silence. Magistral.
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6 – Lincoln (de Steven Spielberg, USA)
Un grand film classique qui donne le sentiment solennel de l’Histoire en marche. Et qui pose des questions essentielles et complexes, profondément actuelles, sur la démocratie.
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7 – Au bout du conte (de Agnès Jaoui, France)
Il était une fois… tout un tas de fables et de récits merveilleux qui construisent les gens et déterminent leurs rapports aux autres. Une comédie drôle et brillamment écrite sur une humanité d’autant plus fragile qu’elle se cramponne à des mythes.
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8 – The Place Beyond the Pines (de Derek Cianfrance, USA)
De beaux personnages extrêmement seuls, quelques scènes magnifiques, des cadres majestueux, une tension qui ne faiblit quasiment jamais et un défi scénaristique surprenant : entre ombres et lumières, The Place Beyond the Pines laisse une empreinte singulière.
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9 – Les Garçons et Guillaume, à table ! (de Guillaume Gallienne, France)
Un drame profond et inattendu déguisé en comédie. En interprétant son propre rôle et celui de sa mère, Guillaume Gallienne multiplie les miroirs schizophrènes et nous emmène dans un tortueux labyrinthe identitaire.
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10 – Blue Jasmine (de Woody Allen, USA)
Le portrait amer d’une femme perdue et d’une société en crise. Quand tout est paraître et dissimulation, les relations intimes comme les opérations financières, le monde finit par s’écrouler. L’un des films les plus noirs de Woody Allen.
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11 – The Master (de Paul Thomas Anderson, USA)
Après s’être attaqué aux fondements de l’idéal américain dans There will be blood, Paul Thomas Anderson continue son entreprise de destruction des mythes fondateurs dans un film difficile, énorme et monstrueux.
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12 – Quai d’Orsay (de Bertrand Tavernier, France)
Une parodie burlesque du monde politique poussiéreux et technocrate. Thierry Lhermitte est déchaîné, Niels Arestrup est hilarant, l’écriture est brillante et décomplexée, la mise en scène est cartoonesque. De l’énergie et du rire!
13 – Django Unchained (de Quentin Tarantino, USA)
Une histoire originale menée de main de maître et des personnages secondaires savoureux. La musique et les dialogues font le reste. Un film jouissif qu’on aimerait encore plus s’il n’y avait pas quelque chose en lui de moralement gênant.
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14 – L’Inconnu du Lac (de Alain Guiraudie, France)
Naturalisme et mysticisme pour un thriller d’autant plus violent qu’il semble tranquille et répétitif. Guiraudie explore de façon envoûtante et inquiétante les liens étroits qui unissent la passion amoureuse au désir de mort.
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15 – Jeune & Jolie (de François Ozon, France)
Un portrait tout en nuances qui, loin des clichés moralisateurs, nous plonge avec douceur et sensibilité dans les eaux troubles et joliment mélancoliques des plaisirs du corps et de l’âge des remises en question.
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16 – Les Chevaux de Dieu (de Nabil Ayouch, Maroc-France-Belgique)
Comment devient-on un martyr? Le film suit sur 15 ans le destin de deux frères élevés dans un bidonville marocain et bientôt récupérés par des islamistes radicaux. L’histoire poignante d’une innocence broyée par la mécanique de la haine.
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17 – Snowpiercer, le Transperceneige (de Bong Joon-Ho, Corée du Sud-USA-France)
Cantonnée à l’intérieur d’une boite métallique en mouvement, la mise en scène est hallucinante. La fable politique se déploie magistralement de wagons en wagons, furieuse et puissante, bien qu’un rien théorique.
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18 – Le Passé (de Asghar Farhadi, France)
Comment laisser au passé les êtres que nous avons aimés et pour lesquels nous avons vécu? Un mélodrame tendu et troublant construit de doutes et de nostalgie.
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19 – Foxfire, confessions d’un gang de filles (de Laurent Cantet, France-Canada)
L’histoire d’une utopie qui vit et qui se meurt, un film profondément politique qui s’interroge sur nos possibilités et nos limites collectives. Après sa palme d’or pour Entre les murs, Laurent Cantet explore encore une fois la dynamique d’un groupe de jeunes qui se cherchent.
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20 – Le Loup de Wall Street (de Martin Scorsese, USA)
Ascension, déchéance, deux mouvements qui rythment le cinéma de Scorsese. Ici, le rêve américain a tout du cauchemar. Le récit, un peu trop généreux, un peu trop long, réserve quelques fabuleux moments de cinéma.
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Pour compléter cette liste, quelques autres films marquants, malgré des défauts ou des maladresses :
–La Demora (de Rodrigo Pla), une terrible histoire de solitudes, débordante d’humanité,
–Zero Dark Thirty (de Kathryn Bigelow), une fiction-reportage à la neutralité captivante et problématique,
–Alabama Monroe (de Felix Van Groeningen), un mélodrame émouvant et lumineux,
–Promised Land (de Gus Van Sant), un film certes modeste, mais un film humaniste et militant,
–Capitaine Phillips (de Paul Greengrass), ou la terrible violence d’un monde à deux vitesses,
–Mud – Sur les rives du Mississippi (de Jeff Nichols), le joli récit d’une innocence perdue,
Ou encore Blancanieves (de Pablo Berger), The Bling Ring (de Sofia Coppola), Le Géant égoïste (de Clio Barnard), Tirez la langue, mademoiselle (de Axelle Ropert), Tip Top (de Serge Bozon), La Grande Bellezza (de Paolo Sorrentino), Le Congrès (de Ari Folman), The Immigrant (de James Gray) et 9 mois ferme (de Albert Dupontel).
Rampart
Avec son casting impressionnant (Woody Harrelson, présent dans chaque séquence, est vraiment convaincant) et un co-scénariste de prestige (le romancier James Ellroy), Rampart avait tous les atouts de son côté. Mais en refusant toute forme de simplicité, le film est à la fois intrigant et embrouillé, ambitieux et maniéré. L’étude psychologique manque un peu de spontanéité.
Synopsis : Lorsque la vidéo d’une raclée administrée à un suspect par le policier Dave Brown se retrouve sur toutes les chaînes de télé, tout le monde se décide à lui faire payer l’addition.
Rampart n’est pas vraiment un thriller, plutôt le portrait tout en nuances d’un homme misanthrope, et le récit d’une véritable descente aux enfers.
Car Dave Brown va perdre tout ce qu’un homme peut perdre, sa famille, son boulot, sa réputation, ses amis, jusqu’à la possibilité d’aimer. Et si le film ne dit jamais clairement quelle est la part de complot et la part de paranoïa dont est victime ce flic plutôt pourri, une chose est certaine : tout le monde lui tourne peu à peu le dos.
Violent et sûr de lui, Dave Brown est un homme qui aime autant qu’il manipule, qui hait autant qu’il rend justice. Dinosaure réactionnaire, il symbolise une époque révolue, des façons de faire évidentes autrefois et devenues aujourd’hui inacceptables.
Dans tout connard, il y a quelque chose de lumineux, de profondément sensible. C’est ce que filme Oren Moverman avec une âpreté plutôt stimulante. La solitude d’un être qui a terriblement tort, et qui doit faire face à l’ampleur de ses échecs. C’est malheureusement du côté du scénario que ce polar psychologique pêche. A grands renforts d’ellipses et de sous-entendus, le récit est plutôt abscons et laisse le spectateur souvent interdit devant tel ou tel rebondissement.
A force de refuser de séduire son public, le réalisateur prend le risque de le laisser sur le bord du chemin. Il y avait pourtant dans la situation familiale de Dave, comme dans sa façon de voir la vie et de se comporter, des éléments passionnants. Mais tout cela se noie dans un obscur complot qui n’a rien d’original.
Malgré ses nombreuses et captivantes cartouches, Rampart tire souvent à côté. Et laisse l’impression d’une oeuvre puissante mais mal assemblée et potentiellement inachevée.
Note : 4/10
Rampart
Un film de Oren Moverman avec Woody Harrelson, Robin Wright, Sigourney Weaver, Ice Cube, Ned Beatty, Cynthia Nixon, Anne Heche, Ben Foster et Steve Buscemi
Policier, Drame – USA – 1h47 – Sorti le 3 juillet 2013
The Bling Ring
Programmé en ouverture de la section Un certain regard à Cannes, The Bling Ring a plutôt déçu. Certes, à force de répéter les mêmes figures et les mêmes scènes, le film semble un peu bégayer, comme fasciné par ce qu’il raconte. Mais c’est justement cette fascination du vide recouvert de clinquant qui donne à ce bonbon pop et doucement triste ce goût à la fois sucré et amer.
Synopsis : À Los Angeles, un groupe d’adolescents fascinés par le people et l’univers des marques traque via Internet l’agenda des célébrités pour cambrioler leurs résidences.
En cinéaste de la vacuité, Sofia Coppola filme encore et encore des univers en toc, des personnages perdus qui essaient de trouver un sens dans le vide abyssal de leur existence. Dans ses films, l’être est en sourdine, le paraître est tout, toujours plus envahissant, toujours plus fascinant, toujours plus avilissant.
Que ce soit une banlieue bourgeoise des USA, une ville étrangère (en l’occurrence un Tokyo de néons et de surexcitation), la cour du roi de France au XVIIIème siècle, la grande maison d’un acteur célèbre ou le Los Angeles des stars et du clinquant, tous les univers des films de Sofia Coppola ont en commun d’être absolument faux.
Partout règne l’artifice, chaque fois les personnages semblent s’agiter en vain dans un cadre fabriqué, attirant et vide. Les êtres humains créent des mondes dorés, des utopies brillantes, des endroits fantastiques dans lesquels tout est beau, propre et accessible, dans lesquels il n’est ni possible de s’ennuyer, ni d’être malheureux. Puis ils décident d’y vivre, accablés par l’ennui et la mélancolie.
Dans Virgin Suicides, Lost in translation, Marie-Antoinette ou Somewhere, cette mélancolie envahissait l’écran, les protagonistes et le spectateur avec une terrible douceur. Dans The Bling Ring au contraire, les personnages, des adolescents encore naïfs, ne la ressentent pas encore. C’est ce qui donne au dernier film de Sofia Coppola ce mouvement et cette énergie, beaucoup plus vifs que dans ses films précédents.
Les cinq héros du gang sont dans une course effrénée et illusoire pour acquérir le lifestyle qu’ils associent au bonheur. Nourris dès la biberon à la presse people et aux réseaux sociaux, leur objectif est de construire leur image de marque bien plus que de se construire eux-mêmes. Le décalage entre celui qu’on est et celui à qui on essaie de ressembler, entre nos sentiments profonds et notre attitude, a toujours été à la base du cinéma de Sofia Coppola.
Des êtres profondément inconsistants essaient de se donner de la substance en remplissant leur vie de signes extérieurs d’existence. C’est toujours cette histoire que nous raconte la cinéaste, mais cette fois-ci, elle explore la façon dont cette problématique se frotte au monde du début du XXIème siècle. Alors que ce mal-être était intemporel dans Virgin Suicides ou Marie-Antoinette, il trouve dans notre époque une puissance d’expression décuplée par l’invasion des images, par Internet ou par mobile.
Au temps de l’hypercommunication, tout se doit d’être médiatisé, le personnal branding est omniprésent. Chacun devient une marque, chacun voudrait ressembler à sa marque (à son icône) préférée. Le rêve américain est à portée de main, rien n’est plus impossible, les distances et les mystères n’existent plus, il y a Google pour les abolir. Existe-t-on encore en dehors de Facebook? Les stars que nous admirons existent-elles encore en dehors des sites Internet people? Qui, de nous ou de notre avatar, est le plus réel? Et qu’en sera-t-il dans quelques années, pour les générations nées en même temps que leur blog?
C’est ces questions que pose The Bling Ring, avec une douce ironie et une fascination non dissimulée. Dommage alors que le film soit assez vite répétitif. Si les interviews, placées ici et là au milieu du récit, rompent la monotonie, les péripéties sont toujours les mêmes, les réactions toujours identiques, et on se lasse un peu devant ces séquences qui se ressemblent toutes.
De façon beaucoup plus originale et percutante, Harmony Korine nous avait déjà décrit dans Spring Breakers l’invasion du vide, un monde d’adolescents pour lesquels tout doit être possible, ici et maintenant. Sofia Coppola est plutôt occupée à ses rêveries délicates. C’est aussi ce qui fait la valeur de The Bling Ring : certes le film n’est pas assez incisif, mais son charme est de contredire le discours formaté et un peu ridicule (ou effrayant) de ses cinq cambrioleurs de rêves scintillants, grâce à ce ton si caractéristique de la cinéaste : la mélancolie du vide.
Note : 7/10
The Bling Ring
Un film de Sofia Coppola avec Katie Chang, Israel Broussard, Emma Watson et Claire Julien
Comédie dramatique – USA – 1h31 – Sorti le 12 juin 2013
Frances Ha
Avec ses faux airs de film générationnel et de feel-good movie, Frances Ha fait tout pour nous conquérir : Greta Gerwig ne s’épargne aucun mouvement ni aucun sentiment, le réalisateur la suit à la trace, amusé, cherchant toujours la connivence avec le spectateur. L’opération charme, un peu trop évidente, fonctionne quand même le plus souvent, entre sourire et mélancolie.
Synopsis : Frances, jeune New-Yorkaise, rêve de devenir chorégraphe. En attendant, elle s’amuse avec sa meilleure amie, danse un peu et s’égare beaucoup…
Film d’une époque et d’un mode de vie (bobo intello), Frances Ha est aussi et surtout le film d’un moment de la vie, celui de plus en plus long, de plus en plus permanent, qui voit des jeunes personnes sorties de l’adolescence chercher sans les trouver les repères qui construiraient leur vie d’adulte.
A ce titre, le plan qui voit l’héroïne s’en aller, emportée par un escalator, tandis que ses parents lui disent au revoir, est particulièrement éloquent. Comment nos parents en sont-ils arrivés là, comment ont-ils bâti les certitudes qui ont construit notre enfance et protégé notre innocence? Les temps ont radicalement changé, et la génération de Frances Ha ne peut pas suivre le modèle de la génération précédente.
Après l’adolescence, il n’y a plus l’âge adulte, il y a le doute, le flottement d’un âge qui semble ne jamais devoir se finir, un âge où l’on se construit sans cesse en se demandant si un jour on arrivera à se poser (tout en redoutant ce moment qui ne peut arriver que trop tôt).
Alors qu’avons nous à perdre? L’insouciance, les blagues, le bonheur de l’instant présent, les rêves, le temps d’être nous-mêmes, la complicité, et au bout du compte l’amitié.
Le film arrive à saisir cette spirale de joie et d’inconfort, d’enthousiasmes et de déceptions, dans un noir et blanc new yorkais qui n’est pas sans rappeler le maître Woody Allen (la situation d’une héroïne paumée et plutôt bavarde rend la filiation encore plus évidente).
On regrette cependant que le film veuille avant tout nous séduire, n’hésitant pas pour cela à jouer au maximum de l’atout charme Greta Gerwig (très présente physiquement), ni à se transformer par moments en clip pour marque de chaussures branchée.
Le personnage-titre, attachant et maladroit, doit absolument plaire au spectateur. Noah Baumbach nous drague, et on doit bien dire qu’on n’est pas insensible aux grâces de son film et de son héroïne. Mais il manque un peu de consistance et de conviction pour que cette jolie tranche de vie ne soit pas un miroir générationnel trop bien emballé pour être parfaitement sincère.
Frances Ha court dans la rue en dansant sur du David Bowie. On a envie de faire de même. Mais ensuite? Le film se termine quand la demoiselle retombe enfin sur ses pattes. Sans jugement et sans ressentiment sur des relations d’amitié qui se sont révélées bien superficielles. A trop vouloir plaire, à trop vouloir nous égayer, le réalisateur laisse échapper la fragile mélancolie qu’il avait saisie un instant. La vraie Frances Ha continue sans doute de courir, seule et vulnérable, tandis que Baumbach nous livre une happy end convenue.
Note : 5/10
Frances Ha
Un film de Noah Baumbach avec Greta Gerwig, Mickey Sumner, Adam Driver et Michael Zegen
Comédie dramatique – USA – 1h26 – Sorti le 3 juillet 2013