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La Balade sauvage

Terence Malick était déjà une légende du septième art bien avant d’obtenir en 2011 la Palme d’or du Festival de Cannes. La Balade sauvage est son premier film, et déjà il contemple l’amour et la violence que contiennent l’âme humaine et la nature dans son ensemble. Avec un regard de cinéaste unique qui donne à chaque détail du quotidien sa part de grandeur mystique.

Synopsis : Dakota, 1860. Kit et Holly désirent se marier mais le père de la jeune fille refuse cette alliance. Furieux, Kit l’assassine et s’enfuit avec Holly…

La Balade sauvage - critiqueLa Balade sauvage, premier film de Terrence Malick, porte déjà la signature unique de son auteur. Celui-ci filme des paysages magnifiques qui se heurtent à la situation des personnages en leur demandant d’avoir eux aussi une vie magnifique. La voix-off est distante, elle commente l’action de manière lancinante, désabusée, et le décalage créé donne encore plus d’ampleur à l’histoire très simple qui est racontée.

Car La Balade sauvage est effectivement une histoire simple, une version de Bonnie & Clyde dans laquelle il n’y aurait que le nécessaire, et aussi quelques petits moments absolument pas nécessaires pour l’intrigue et qui font la magie des récits de Malick. Car comme toujours chez lui, l’essentiel est dans ces séquences flottantes qui ne participent pas aux péripéties du récit mais à l’intérieur desquelles les personnages vivent, simplement, leur quotidien.

Malick a déjà ce talent pour confronter la dérision du quotidien à la grandeur de l’âme humaine et de la nature qui lui fait forcément écho. La musique, presque joyeuse, est aussi tout à fait solennelle, et on peut être sûr qu’elle a longtemps fasciné Tony Scott avant qu’il ne fasse son True Romance. La voix-off de ce dernier film et la trajectoire du couple qu’il décrit sont d’autres similitudes qui en font une sorte de remake pop, violent, tarantinesque de cette Balade plus sauvage que nous propose Malick, lui qui au contraire contemple toujours l’âme humaine avec une économie de mots et d’actions.

L’une des spécificités du scénario du premier film de Malick, c’est le personnage de Holly, qui au contraire des grandes amoureuses en cavale de la légende du septième art, se sent totalement extérieure à ce qui lui arrive. Elle pense que Kit est fou et elle le suit plus par désœuvrement que prise par le feu d’un éternel amour. Tony Scott reprendra aussi plus ou moins cet élément. Holly est capable de se désolidariser totalement. Kit, lui, cherche la gloire, aussi bien celle que peut lui attribuer le reconnaissance des autres (il se recoiffe dans des moments plutôt inattendus) que celle plus intime d’un amour qui doit être extraordinaire et surmonter la mort.

Mais Kit a aussi « la gâchette facile » comme le remarque bientôt Holly. Ne peut-on être un héros romantique que si l’on est fou et dangereux? Le personnage de Kit semble être un gamin qui ne se rend pas compte de ce qu’il fait, mais il est aussi le modèle admiré par tous ceux (policiers compris) qui n’ont pas la force de vivre avec une telle fureur, de « tuer le père ».

La Balade sauvage est alors peut-être le vrai trait d’union entre le James Dean de La Fureur de vivre et les grands couples criminels du cinéma des années 90 (Tueurs nés, Sailor et Lula, True Romance…). A la poursuite de la promesse de liberté totale qui réside dans les paysages grandioses d’Amérique. L’essence même du Road movie. Au bout du chemin, il y a soi, et puis souvent la fin de soi. Trait d’union aussi entre Easy Rider et Thelma et Louise tant parfois l’amour paraît terne par rapport aux Bonnie & Clyde traditionnels.

Dans La Balade sauvage, l’amour aussi est un échec. Sans doute est-ce là la vrai clé de lecture du film. Comment comprendre les choix de Kit à la fin de l’aventure? Dans l’idéal de liberté totale qu’il poursuit, ce qui ne mène pas à l’amour ne peut mener qu’à la mort. Or l’amour, le partage d’un idéal, est plus que jamais une illusion qui nourrira encore longtemps le cinéma de Malick.

Note : 7/10

La Balade sauvage (titre original : Badlands)
Un film de Terrence Malick avec Martin Sheen, Sissy Spacek et Warren Oates
Romance, Drame, Thriller – USA – 1h35 – 1974

Frankenstein Junior

Quand Mel Brooks s’attaque à un classique majeur du cinéma fantastique. Un film déconstruit mais souvent très drôle, qui inspirera Aerosmith pour le titre de l’un de ses plus grands tubes, Walk this way. Et effectivement, il s’agit là d’une référence à un gag hilarant et très significatif de cet hommage parodique qu’est Frankenstein Junior.

Synopsis : Honteux de son ascendance, le Dr Frederick Frankenstein, petit-fils du célèbre homonyme, est pourtant rattrapé par la folie familiale et décide de poursuivre les expériences.

Frankenstein Junior - critiqueSorti 44 ans après, Frankenstein Junior est le petit-fils du Frankenstein de James Whale de 1931. Comme tout bon petit-fils, il est plein de révérence et d’admiration pour son aïeul: Mel Brooks utilise un noir et blanc nostalgique, ses personnages occupent les décors et utilisent les accessoires du film d’origine. L’histoire est aussi sensiblement la même, bref il pourrait s’agir là d’un hommage à un classique indépassable.

Et pourtant, comme tout petit-fils, Frankenstein Junior vit avec son temps : il se moque gentiment de son original, il adopte un ton résolument moderne, n’hésitant pas à tourner en dérision les terreurs de son enfance. Le pastiche est mis en abîme : Frédérick Frankenstein est lui-même le petit-fils du fameux Frankenstein, il joue le détachement vis-à-vis de ce parent encombrant mais il est finalement imprégné des mêmes passions, des mêmes pulsions, d’une vénération sans borne devant les travaux de son célèbre papi.

Frankenstein Junior, au-delà de cette intrigue et de cette esthétique empruntées à l’histoire du cinéma, propose un humour absurde qui lui est très contemporain. Il sort en effet la même année que le Sacré Graal des Monty Python avec lequel il partage un sens aigu des situations ridicules, des dialogues extravagants et des personnages stupides. Marty Feldman, qui vient justement de la troupe britannique, est hilarant, il est, avec ses yeux exorbités, sa bosse mouvante et ses répliques incisives, le principal atout comique du film. L’univers grotesque et menaçant, surchargé et foutraque, rappelle également le Rocky Horror Picture Show, sorti aussi la même année : un vent de folie libératrice et d’indécence à peine étouffée rythment les aventures expérimentales et saugrenues d’antihéros mystérieux. Le nonsense le plus total envahit la fin du film, sur une variation du thème de La Belle et la bête.

Frankenstein Junior est un film souvent drôle (on aime beaucoup quand le monstre essaie en vain de se faire des amis), toujours brouillon, un hommage et une parodie. Inégal mais séduisant.

Note : 6/10

Frankenstein Junior (titre original : Young Frankenstein)
Un film de Mel Brooks avec Gene Wilder, Peter Boyle, Marty Feldman et Madeline Kahn

Comédie, Fantastique – USA – 1h46 – 1974

Les Valseuses

Avec plus de 5 millions d’entrées, Les Valseuses est l’un des plus grand succès français des années 70 et un film totalement culte qui décrit l’état de la jeunesse après 68, une liberté fabuleuse et forcément quelques dérives. A l’opposé des codes bourgeois, Jean-Claude et Pierrot ne vont nulle part, ils vivent l’instant, même s’il ne doit pas durer. Avec une intensité extraordinaire.

Synopsis : Liés par une forte amitié, deux révoltés en cavale veulent vivre à fond. Cette fuite sera ponctuée de provocations, d’agressions et de tendres instants de bonheur éphémère.

Les Valseuses - critiqueRarement un film a aussi bien capté l’insouciance. Les jeunes héros sont certainement désœuvrés, mais il y a en eux tant de liberté, d’anticonformisme, qu’on se met à les admirer, malgré leur inconscience, malgré leur relatif machisme, malgré leurs erreurs. Et justement, grâce à leurs imperfections.

Le film, très bien dialogué, très drôle, enchaîne les séquences magnifiques. Le début avec Ursula, tendre et amusant. Une scène de train où une petite bourgeoise (Brigitte Fossey) est ramenée à la vie et au plaisir. Les deux truands perdus dans une station balnéaire vide. Les deux mêmes découvrant la frigidité maladive de Marie-Ange.

Puis la rencontre avec Jeanne Moreau, belle et dramatique, une parenthèse grave et mélancolique qui confronte l’innocence des deux jeunes hommes aux désillusions qui viennent avec l’âge. Quelque chose d’horrible parcourt alors le film, comme une prise de conscience de l’insignifiance de la vie, qu’on pourrait résumer ainsi : faire l’amour et mourir.

Les Valseuses essaie d’oublier ce frisson d’angoisse pour reprendre sa route lumineuse vers le plaisir. Celui de la femme est affirmé dans un moment drôle et magique. Suit un meurtre inattendu qui rappelle la candeur des deux amis.

Les vols successifs de voiture (avec apparitions de Gérard Jugnot puis de Thierry Lhermitte) permettent au bonheur de reprendre le dessus sur les aléas de la vie et aux marginaux de se moquer des bourgeois et de leur vie étriquée. A ce titre, la rencontre avec Isabelle Huppert, toute jeune, est un moment de folie libératrice. Avec Les Valseuses, le sexe reprend ses droits : drôle, essentiel, excitant, stimulant.

Le film est aérien, parfois grave, souvent drôle, totalement libre mais traversé aussi de fulgurances plus pesantes. Un hymne au plaisir et au mouvement, une fureur de vivre à tout prix, une volonté de profiter à fond de chaque instant, car sinon il ne reste que de l’absurdité.
« On n’est pas bien? Paisibles? A la fraîche? Décontractés du gland? Et on bandera quand on aura envie de bander. »

Note : 9/10

Les Valseuses
Un film de Bertrand Blier avec Gérard Depardieu, Miou-Miou, Patrick Dewaere, Jeanne Moreau, Brigitte Fossey et Isabelle Huppert
Comédie dramatique – France – 1h55 – 1974

Perceval le Gallois

Perceval le Gallois est une oeuvre de cinéma à part, un film qui se rapproche mystérieusement de celui qu’auraient réalisé nos aïeux du moyen-âge s’ils avaient eu une caméra. Le texte de Chrétien de Troyes est appuyé par un décor du XIIème siècle, sans profondeur, sans perspective, sans proportion. Rohmer signe là l’un de ses films les plus troublants et inventifs.

Synopsis : Au Moyen Age, Perceval, un garçon naïf quitte le château familial et se rend à la cour du roi Arthur pour y être fait chevalier…

Perceval le Gallois - critiqueCe qui surprend d’abord (et enchante), c’est la forme. Après La Marquise d’O…, premier film d’époque de Rohmer qui faisait suite à des films très contemporains, le réalisateur continue dans cette veine et remonte même plus loin. Il n’est plus question de fin du XVIIIème siècle mais d’une histoire des chevaliers de la table ronde qui prend place durant le VIème siècle.

En vérité, le film est très ancré dans le XIIème siècle puisqu’il se veut l’adaptation cinématographique fidèle du roman de Chrétien de Troyes Perceval ou le Conte du Graal, écrit vers 1181. Ce n’est pas la réalité du récit (et donc celle du VIème siècle) qui intéresse Rohmer, mais bien celle du roman par lequel on le connaît. Rohmer veut filmer comme l’aurait fait Chrétien de Troyes lui-même, il utilise dans sa représentation toute l’imagerie du XIIème siècle. Tout d’abord, ce qui frappe le plus, ce sont les arbres, stylisés, tellement anciens qu’ils en deviennent post-modernes. Ensuite, les échelles : les châteaux sont à peine plus grands que les hommes. L’absence de perspective est aussi troublante : les paysages sont très clairement des murs peints, les décors sont métaphoriques, les chemins qu’emprunte Perceval sont le plus minimaliste possible, le héros tourne en rond autour de quelques arbres et le spectateur s’imagine sans mal un trajet interminable. Quant au plateau, il est lui-même de forme arrondie, rappelant encore la forme des tableaux moyenâgeux.

Les postures des personnages, leur gestuelle, la position de leurs mains, leurs expressions, tout semble sorti directement d’un imaginaire que nous associons à l’avant-renaissance. Les tableaux du moyen-âge semblent s’animer devant nous, et si tous les artifices sont montrés avec évidence, c’est pour mieux nous plonger dans une époque révolue et non pas dans la vision que nous aurions aujourd’hui de cette époque. On est catapultés dans l’imagerie du XIIème siècle, tout nous paraît étranger comme si nous avions voyagé dans le temps. Et pourtant, cela reste familier, d’une fluidité surprenante, à l’image du texte de Chrétien de Troyes, déclamé en vieux français par les personnages. Et ceux-ci ne disent pas que leurs dialogues : ils se substituent au narrateur pour raconter aussi leurs faits et gestes. Et cet artifice supplémentaire n’est qu’une autre manière de nous rendre l’étrangeté familière. C’est aussi le cas des parties chantées, enchanteresses, qui nous emmènent ailleurs, loin derrière dans notre passé. Le texte nous paraît naturel, les personnages aussi, jamais figés même quand ils se racontent eux-mêmes.

Trois ans après le Sacré Graal des Monty Python dans lequel ceux-ci s’ingéniaient à porter un regard résolument moderne et distancié sur leur histoire, Eric Rohmer fait tout l’inverse : sa mise en scène cherche toujours à respecter l’oeuvre et à faire entrer le spectateur dans l’époque.

Quant au texte en lui-même, entièrement en octosyllabes, au-delà du plaisir qu’il procure, il célèbre la chevalerie, des valeurs anciennes qui n’ont que peu de résonances aujourd’hui. Pourtant, ces valeurs correspondent parfaitement à ce qui intéresse Rohmer : les chemins des coeurs, les comportements des hommes avec les autres hommes, avec les femmes, ce qui est déterminé par leur nature et ce qui est au contraire le fruit de leur éducation.

Ainsi, pour Perceval, l’éducation (ou l’absence d’éducation) joue un rôle crucial. Naïf au début de l’histoire, il devient vite avisé mais à trop suivre les conseils (et notamment le proverbe qui sera le point de départ de Pauline à la plage), il pêche par manque de curiosité. Il aurait pu sauver un roi mais son apparente indifférence, son strict respect de la pudeur qu’il croit deviner chez les autres, le pousse à se taire et à échouer. L’histoire de Perceval est étrange, elle est difficile à cerner aujourd’hui, les codes ne sont plus les mêmes et changent dramatiquement les attitudes humaines, ce qui ne pouvait pas ne pas amuser un moraliste comme Rohmer. L’importance de la parole, de la sincérité, l’importance de respecter ses adversaires plutôt que les railler semblent cependant garder leur pertinence. Mais la vraie réussite du film, c’est l’enchantement qu’il arrive à créer. En réinventant le Moyen-Âge, Rohmer interroge plus que jamais le poids des coutumes, des époques, des traditions. Le poids de la culture et des moeurs. Et essaie, entre le passé et le présent, de retrouver ce qui fait que l’homme est homme.

Note : 8/10

Perceval le Gallois
Un film d’Eric Rohmer avec Fabrice Luchini, André Dussollier, Marc Eyraud et Arielle Dombasle
Drame  – France – 2h18 – 1978

Amityville, la maison du diable

Une maison habitée par des forces obscures qui terrifient ses occupants : le thème sera repris de nombreuses fois et connaîtra son apogée avec le Shining de Kubrick. Amityville propose des idées visuelles hallucinantes mais n’arrive pas à les mettre au service d’un scénario intelligent. L’intrigue est bancale et incohérente. Dommage…

Synopsis : 1974. Un jeune homme a tué toute sa famille dans une maison d’Amityville. Malgré cela, la famille Lutz s’y installe. Des phénomènes étranges surviennent alors…

Amityville, la maison du diable - critiqueAmityville pourrait être un bon film d’horreur. Une jolie musique inquiétante parcourt le film, certaines idées visuelles sont particulièrement réussies, notamment les plans successifs sur la maison diversement éclairée ou le sang dégoulinant des murs et des escaliers. On se demande même parfois si Kubrick n’a pas vu Amityville avant de réaliser Shining l’année suivante, tant George, son regard fou et sa hache, évoquent Jack Torrance. Tout comme l’idée d’une maison habitée par son passé, idée reprise au roman de Stephen King datant de 1977, qui s’est sans doute lui-même inspiré de la véritable affaire de la maison d’Amityville, affaire de 1975. La boucle est bouclée.

Pourtant, malgré un potentiel horrifique certain, Amityville pose tout un tas de mystères (la ressemblance de George avec l’ancien meurtrier de la maison, le personnage de Jody, les yeux rouges qu’aperçoivent de temps à autres George ou sa femme, le rôle des mouches, ce qui se cache dans la cave, le passé de la maison, les billets disparus…) et n’en résout aucun. Il est facile d’incorporer des éléments surnaturels à un film, il est toujours plus délicat de leur donner une cohérence ou une explication satisfaisante. Toujours plus délicat d’expliquer un mécanisme. Ici, Stuart Rosenberg semble avoir renoncé. Le spectateur comprend bien que la maison a un problème, mais ça n’ira pas plus loin.

Le film se termine alors un peu n’importe comment, comme si le réalisateur avait eu aussi hâte d’en finir que ses personnages de fuir la maison. On reste carrément sur notre faim.

Note : 3/10

Amityville, la maison du diable (Titre original : The Amityville Horror)
Un film de Stuart Rosenberg avec James Brolin, Margot Kidder, Rod Steiger
Film d’horreur – USA – 1h54 – 1979