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All Is Lost – critique cannoise

Présenté hors compétition à Cannes, All Is Lost était attendu à plus d’un titre. D’abord parce qu’il s’agit du 2nd film de J.C. Chandor, après le succès de Margin Call. Ensuite parce qu’il y a un seul acteur dans le film (Robert Redford), un seul décor (l’océan) et presque aucun dialogue. Dispositif dont on admire la rigueur sans pouvoir cependant éviter de s’ennuyer à mourir.

Synopsis : Après avoir heurté un container à la dérive avec son voilier, un homme doit lutter pour survivre, seul au milieu de l’Océan Indien.

All Is Lost - critique cannoiseOn pense forcément à Seul au monde et à L’Odyssée de Pi. Sauf que J.C. Chandor n’use d’aucun artifice : ici, le héros ne parle ni à un ballon, ni à un tigre, il est complètement isolé, sa voix ne se fait entendre que très rarement, le temps d’un juron ou d’une rapide voix-off relatant ce qu’il écrit dans son journal.

Un survival filmé de manière naturaliste, avec quelques plans intéressants, comme lorsque le bateau se retourne et que le héros grimpe au mur puis au plafond au gré des changements de gravité, ou quand il monte tout en haut du mât pour essayer de le réparer, communiquant au spectateur une sensation de vide et de vertige.

Malheureusement, tout cela ne suffit pas, et on s’ennuie ferme devant ce film qui énumère sagement tous les poncifs du genre, la tempête, les requins, les navires qui passent mais ne l’aperçoivent pas…

La performance est intrigante sur le papier, mais l’exercice de style fatigue dès les premières minutes, et il faut attendre trois quart d’heures pour que l’aventure nous réveille un peu. La seconde partie est plus facile à suivre, mais très classique. Un film soporifique.

Note : 2/10

All Is Lost
Un film de J.C. Chandor avec Robert Redford
Aventure – USA – 1h45 – Sortie le 11 décembre 2013

Le Monde fantastique d’Oz

Après sa trilogie Spider-Man et son amusant film d’horreur Jusqu’en enfer, Sam Raimi change d’univers et s’attaque à la « magie Disney ». Après 20 premières minutes plutôt attendrissantes, Le Monde fantastique d’Oz nous embarque dans une aventure plutôt bien conduite mais très banale.

Synopsis : Quand Oscar Diggs, un obscur magicien, est propulsé du Kansas au luxuriant Pays d’Oz, les habitants du pays le prennent pour le Grand Magicien sensé les sauver.

Le Monde fantastique d'Oz - critiquePréquelle au grand classique de 1939, Le Monde fantastique d’Oz se propose de nous raconter la jeunesse du magicien d’Oz, et comment ce charlatan du Texas est devenu le mythe d’un pays féérique.

Pour cela, Sam Raimi s’inspire d’abord de l’âge d’or hollywoodien. Le noir et blanc et le format 4/3 du début, accompagnés d’une 3D anachronique, sont l’écrin d’une aventure à l’ancienne.

Comme dans Le Magicien d’Oz, quand le héros atteint le pays d’Oz, le monde devient coloré. En 2013, le format carré s’étire aussi pour laisser place au cinémascope. La 3D devient plus évidente (jusqu’à parfois transformer les prises de vue en manège quasi interactif), le son prend du relief et les effets spéciaux finissent le travail. Les techniques modernes s’emparent de l’aventure naïve pour créer un blockbuster finalement peu original, ne s’écartant pas des multiples adaptations hollywoodiennes récentes de contes de fées traditionnels.

On retient tout de même ces 20 premières minutes nostalgiques. Quand la flamme d’un cracheur de feu envahit les bandes noires latérales de la toile, donnant l’illusion, par le jeu d’un cinémascope déguisé en format 4/3, que le spectacle sort des limites de l’écran, alors le cinéma retrouve quelques instants sa magie primitive (le scénario du film jouera lui aussi sur cette magie primitive pour trouver sa conclusion).

Et le personnage de Theodora nous intrigue dès son apparition : il y aurait là un mystère à développer mais malheureusement, la suite du film impose un comportement stéréotypé à cette sorcière plus complexe et nuancée que ne le sont les autres protagonistes de l’histoire.

C’est sans doute cette banalisation des enjeux propres à Oz qui déçoit au fur et à mesure. Les personnages et les gags sont très communs. Et en fin de compte, le film se termine en une bataille ordinaire entre le bien et le mal dans laquelle le héros se trouve enfin et découvre les qualités qui sont en lui. Pas très enthousiasmant.

Note : 3/10

Le Monde fantastique d’Oz (titre original : Oz: The Great and Powerful)
Un film de Sam Raimi avec James Franco, Mila Kunis, Rachel Weisz et Michelle Williams
Fantastique, Aventure – USA – 2h07 – Sorti le 13 mars 2013

Le Hobbit : un voyage inattendu

Les 3 épisodes du Seigneur des anneaux avaient assuré le succès de Peter Jackson. 11 ans après avoir réalisé le premier opus, le réalisateur néo-zélandais s’attaque au premier roman de Tolkien, Le Hobbit, dont l’adaptation prend la forme d’une préquelle à la trilogie aux 17 oscars. Une préquelle, mais aussi presque un remake, tant tout est déjà vu : les péripéties s’enchaînent sans but et sans âme, comme c’était déjà le cas dans La Communauté de l’anneau.

Synopsis : Les aventures de Bilbo, entraîné dans une quête héroïque pour reprendre le Royaume perdu des nains d’Erebor, conquis longtemps auparavant par le dragon Smaug.

Le Hobbit : un voyage inattendu - critiqueLe Hobbit : un voyage inattendu est tout sauf un film inattendu. On aura le droit à des effets spéciaux à la pelle, des aventures à tous les coins de montagne et des créatures maléfiques qui n’attendent rien d’autre de leur vie que de tuer Bilbo et ses compagnons.

L’intrigue du livre de Tolkien est étirée à son maximum pour qu’on puisse en extraire une trilogie dans le même esprit que celle du Seigneur des anneaux (qui compose pourtant un roman 6 fois plus long que Bilbo le Hobbit). Fidèle à son matériau de base, Peter Jackson livre un film légèrement plus enfantin que ses trois premières incursions en Terre du Milieu. Plus d’humour potache (mais on sourit à peine), des bras-cassés en guise de héros, et un scénario du vide.

Comme dans La Communauté de l’anneau, ce premier opus des aventures de Bilbo est un enchaînement ininterrompu de péripéties sans intérêt qui peinent à trouver une cohérence dramatique. Les enjeux sont très minces et à peine esquissés: on ne sait pas toujours si les nains veulent récupérer la terre de leurs ancêtres ou bien plutôt la fortune qu’ils y avaient amassés, Gandalf les soutient sans vraie raison, on ne comprend pas bien pourquoi les elfes s’y opposent et pendant ce temps, le mal progresse. Et Bilbo? Il les suit comme il aurait pu suivre n’importe qui, simplement pour l’aventure.

Le spectateur est exactement dans la même position : il s’embarque pour 2h45 d’entertainment non-stop, et tant pis s’il n’y a ni propos, ni sens à la quête. Quand le film se termine, il s’est passé un tas de trucs et il ne s’est pourtant rien passé : l’histoire pourrait commencer là, les mauvaises rencontres n’ont pas fait avancer le schmilblick d’un pouce, si ce n’est dans une géographie imaginaire qu’on pourrait étendre à l’envie pour faire 10, 30, 200 films si on voulait. Pourtant, on ne s’est presque pas ennuyés : décidément Peter Jackson serait un bon manager de parc d’attraction. Pour voir du cinéma par contre, on ira dans une autre salle.

Note : 2/10

Le Hobbit – un voyage inattendu (titre original : The Hobbit: an unexpected journey)
Un film de Peter Jackson avec Ian McKellen, Martin Freeman, Richard Armitage
Fantastique, Aventure – USA, Nouvelle-Zélande – 2h45 – Sorti le 12 décembre 2012

L’Odyssée de Pi

On craignait de subir des torrents de bons sentiments, des tornades d’énervante naïveté, des ouragans de bouillie mystico-religieuse. Force est de constater qu’en dépit d’un propos parfois agaçant, le film est emporté par un souffle épique hors norme. Le discours, d’abord simpliste, est intelligemment mis en relief pour donner une profondeur inattendue à l’aventure.

Synopsis : Après une enfance en Inde, Pi Patel, 17 ans, embarque avec sa famille pour le Canada. Mais après le naufrage de son cargo, il se retrouve sur un canot de sauvetage, seul avec un tigre.

L'Odyssée de Pi - critiqueL’Odyssée de Pi est une aventure démesurée à la hauteur des incroyables scènes de combat qui avaient scotché le spectateur dans Tigre et dragon.

L’introduction est mollassonne et passablement énervante, notamment à cause de Pi adulte, sentencieux à souhait, qui raconte son histoire dans une voix-off pompeuse. Quant au récit en lui-même, pas de surprise : on avait déjà vu ce type de personnage qui embrasse toutes les religions dans un même besoin de trouver un sens au monde.

Le film démarre vraiment lorsque le bateau commence son naufrage : s’ensuit une scène de sauvetage impressionnante. Puis un conte fabuleux, soutenu par des effets spéciaux au top et une mise en scène talentueuse pour qu’on puisse y croire d’un bout à l’autre, ce qui était absolument essentiel pour soutenir le projet et son propos. Trois ou quatre séquences enthousiasment particulièrement, notamment lors les premiers assauts du tigre ou lorsque passe une colonie de poissons volants. Une fois le tigre apprivoisé, la fin de l’aventure se fait plus terne, délivrant un discours de foi simpliste et agaçant.

Et puis il y a la fin du film, un épilogue malin qui profite à fond de l’essence même du cinéma pour soutenir sa démonstration. Deux histoires nous sont présentées : l’une pendant 1h40, à grands renforts de séquences d’un lyrisme étourdissant, d’effets visuels hallucinants et d’images flatteuses, l’autre en 5 minutes, plan fixe sur le visage de Pi qui raconte, simplement avec des mots et la souffrance imprimée sur son visage. Ensuite le narrateur nous demande de choisir. Les japonais choisissent la première histoire, le romancier qui écoute le récit de Pi aussi. Il en va bien sûr de même du cinéaste, qui a dû dépensé 100 000 fois plus d’argent, d’énergie et d’inventivité pour illustrer la première version que pour raconter la deuxième.

Le choix est donc presque imposé au spectateur. Pourtant, si le film ne dit jamais clairement quelle histoire est vraie, de nombreux indices nous convainquent qu’il s’agit de la seconde. Alors, que veut nous dire L’Odyssée de Pi? Que la vérité compte moins que la beauté. Qu’il faut choisir l’histoire qu’on préfère, et non pas forcément l’histoire vraie. Si Ang Lee démonte habilement l’origine des mythes et des religions, il nous demande de croire en ce qui nous plaît le plus, comme un salut par le mensonge. Pi croit aux mythologies hindoue, chrétienne, musulmane, voire juive ou bouddhiste. Alors, parce que c’est plus beau, Ulysse peut avoir rencontré des sirènes, Moïse avoir ouvert la Mer Rouge, Jésus avoir marché sur l’eau, et Pi avoir apprivoisé un tigre en mer. « Il en va de même pour Dieu » dit Pi. Alors, la vérité n’a plus d’importance, et tant pis si cela fait de nous des êtres naïfs enfermés dans des bulles d’imposture. L’homme aime croire, au risque d’oublier ce qui est vrai et de provoquer les pires malheurs. L’Odyssée de Pi flatte ce dangereux instinct en prenant apparemment le parti du merveilleux contre le réel.

Pourtant, Ang Lee ne se contente pas du conte. On préfère largement relire la fable à la lumière de ce qu’on suppose être la vérité : alors la légende devient passionnante et raconte beaucoup plus sur l’aventure de Pi que ne le faisait la première lecture naïve du film ou que ne l’aurait fait le simple récit de la réalité. En nous donnant accès aux deux versions, le cinéaste taïwanais suggère presque malgré lui que la vérité est nécessaire pour comprendre la légende. Alors, et alors seulement, quand le réel nous est restitué, le film trouve une profondeur qui justifie son génie narratif. Le vrai justifie le beau. L’Odyssée de Pi est finalement l’histoire d’un jeune garçon obligé de devenir sauvage pour survivre. Quand il revient à la civilisation, l’animal en lui le quitte, sans un regard pour l’homme qu’il va redevenir.

Note : 7/10

L’Odyssée de Pi (titre original : Life of Pi)
Un film de Ang Lee avec Suraj Sharma, Irrfan Khan, Adil Hussain et Tabu
Aventure – USA – 2h05 – Sorti le 19 décembre 2012

Hugo Cabret

Hugo Cabret. Une fresque forcément féérique, forcément grandiose. Scorsese nous parle de Méliès dans un conte pour enfants en 3D. Que demander de plus? Eh bien, tout simplement une âme. Hugo Cabret est un film d’horloger, un film de faiseur virtuose, un film d’illusionniste. Un film qui fait semblant.

Synopsis : Paris, années 30. Le jeune Hugo est un orphelin de douze ans qui vit dans une gare. De son père, il ne lui reste qu’un étrange automate dont il cherche la clé…

Hugo Cabret - critiqueEn 2011, certains réalisateurs très cinéphiles livrèrent au public quelques grands hommages à l’histoire du cinéma. J.J. Abrams eut ainsi l’ambition, avec son Super 8, de nous refaire un film de science-fiction enchanteur et familial comme il en existait dans les années 80 autour de réalisateurs comme Steven Spielberg ou Robert Zemeckis. Michel Hazanavicius remonta le temps bien plus encore en nous offrant un film muet comme il s’en faisait dans les années 20, arrivant pourtant à insuffler à The Artist une âme neuve et un souffle d’aujourd’hui.

Martin Scorsese ferma la marche en évoquant les touts débuts du septième art en un hommage très appuyé à l’immense Georges Méliés. Le cinéaste met alors en scène sa fascination pour les balbutiements de la technique cinématographique, quand le cinéma était avant tout un tour de magie, une mécanique enchanteresse, un rêve sur grand écran.

Pour raconter cette épopée, Scorsese choisit de tourner son film en numérique et en 3D, comme pour rappeler qu’il n’y a pas dans sa démarche une quelconque glorification du passé au dépend du présent : le réalisateur de Taxi Driver aime toujours autant le cinéma et ses nouvelles façons d’émerveiller les spectateurs. Il est aussi amoureux des effets spéciaux faits main des premiers temps que de l’immersion 3D qui foisonne sur nos écrans depuis deux ans et la sortie d’Avatar.

Hugo Cabret est donc un retour aux sources, une déclaration d’amour au cinéma et à son histoire. Le seul souvenir qui reste à Hugo de son père est un automate cassé que celui-ci essayait patiemment de réparer. Le petit garçon est persuadé que s’il parvient à redonner sa splendeur à l’automate, il pourra reprendre contact avec son père disparu. Hugo Cabret pense que ramener son automate à la vie pourrait briser sa solitude et lui révéler des contrées insoupçonnées, bref il cherche l’âme derrière la mécanique.

Le spectateur aussi cherche l’âme derrière la mécanique, l’art derrière la technique. Hugo Cabret est un film parfaitement maîtrisé, une machine d’entertainment savamment orchestrée. Les images sont belles, l’univers, à mi-chemin entre Jean-Pierre Jeunet et Tim Burton, est accrocheur, l’histoire avance comme une grande aventure de l’enfance, chaque personnage rencontré doit être tout autant fascinant que menaçant, chaque lieu doit comporter sa magie et ses dangers, la quête éternelle de l’orphelin pour trouver une famille prend des allures mythiques quand les dessins de Méliès s’envolent dans la chambre, laissant échapper toute l’essence du cinéma qu’on avait essayé d’oublier au fond d’une armoire.

Et pourtant, toute cette belle mécanique n’a pas d’âme. Car cet univers féérique est un univers de papier glacé, étouffé par une technique trop soignée. Car ces personnages secondaires, « fascinants et menaçants », ne sont que des vignettes, des archétypes-fantômes qui ne font ni rêver, ni trembler, qui ne font que peupler une gare artificielle (seul Sacha Baron Cohen, parce qu’il joue un homme-mécanique, tire parfois son épingle du jeu). Car l’histoire est cousue de fil blanc. A part l’identité de Papa Georges, il n’y a rien à découvrir, rien à révéler. Le film s’amuse à créer de l’aventure et du suspense là où il n’y a finalement qu’une histoire plate, sans idée et sans substance. Evoquer George Méliès est un peu trop facile pour mettre de la magie dans un scénario dépourvu d’imagination.

L’intrigue avance par à-coups, les différentes séquences sont mal liées les unes aux autres, on pourrait presque toutes les supprimer sans que l’histoire ne perde de son sens. C’est que Hugo Cabret est un film très rempli de vide. L’évidence du sujet, la surcharge des décors, la virtuosité de la caméra et de la 3D cachent mal l’absence totale de vraies péripéties, de rebondissements, de propos, d’originalité.

Ne demandez pas à un automate de créer. Demandez-lui plutôt de faire illusion, de reproduire avec brio ce qu’on lui a appris à faire, à refaire, à rerefaire. Ne demandez pas à Hugo Cabret de vous émerveiller. La mécanique est parfaite, les rouages fonctionnent. Mais seuls les enfants qui veulent croire qu’un automate a une âme pourront se laisser surprendre par ce film-machine.

Note : 3/10

Hugo Cabret
Un film de Martin Scorsese avec Asa Butterfield, Chloe Moretz, Ben Kingsley et Sacha Baron Cohen
Film d’aventure – USA – 2h08 – Sorti le 14 décembre 2011
Golden Globe 2012 du meilleur réalisateur pour Martin Scorsese