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Lucy

Dans un tourbillon désordonné d’images, Luc Besson essaie de tout englober, l’instantanéité et le cours du temps, le présent et les origines de l’homme, le mouvement des planètes et celui des cellules, l’être humain et l’univers tout entier. Lorgnant à la fois vers le sens ultime des choses et vers le fantasme marketing des nouvelles technologies, Lucy est un film aussi grossier que passionnant, rythmé et décérébré, un témoignage de nos rêves d’omniprésence et d’omniscience en ce début de XXIème siècle. Porté par la présence fascinante de Scarlett Johansson.

Synopsis : Piégée par la mafia, une jeune étudiante subit l’effet d’une drogue qui développe ses capacités intellectuelles à l’infini. Elle acquiert petit à petit des pouvoirs illimités.

Lucy - critiqueLuc Besson a toujours été fasciné par les superhéroïnes, les sur-femmes, plastiquement parfaites, fondamentalement supérieures au reste de l’humanité. Et si elles ne sont pas toujours conscientes de leur importance, elles sont pourtant la clé du salut. Héroïnes malgré elles, elles sont toujours naïves, fragiles, perdues, elles ont souvent besoin d’un protecteur qui ne pourra qu’admirer l’étendue de leur pouvoir.

Anne Parillaud dans Nikita, Milla Jovovich dans Le Cinquième élément et Jeanne d’Arc, Rie Rasmussen dans Angel-A, même Natalie Portman dans Léon et Louise Bourgoin dans Adèle Blanc-Sec participent à cette logique de sublimation de la femme, seul être assez beau et innocent, assez pur pour porter l’espoir de l’humanité. Chez Besson, la puissance brute va toujours de paire avec la pure innocence. Le fantasme de la femme-enfant qui découvre qui elle est, l’étendue de son pouvoir et l’immensité de sa mission.

Lucy, encore un titre de film qui est le nom de son héroïne, est l’aboutissement logique de ce fantasme. Car si l’héroïne bessonnienne avait déjà flirté avec Dieu (dans Le Cinquième élément, dans Jeanne d’Arc, dans Angel-A), elle n’avait jamais été aussi toute-puissante.

A ce titre, le choix de Scarlett Johansson pour le rôle principal est tout sauf anodin. Après Her et Under the skin, l’actrice apparaît pour la troisième fois en quelques mois sous les traits d’un personnage surhumain, désincarné, dont la conscience et l’humanité sont questionnées à travers la perfection d’un corps ou d’une voix.

Scarlett Johansson est le fantasme ultime de notre époque, la femme absolument parfaite. Comme si les trois films racontaient une même aventure, la déconstruction d’un être, la tentative de découper l’actrice, de l’examiner par petits bouts, par lamelles, la tentative de percer le secret, à la fois de l’être humain et du fantasme de cinéma, de la femme et de l’icône, de la conscience et du corps, de l’actrice qui prête son corps (ou sa voix) et des personnages qui s’y incarnent (ou s’y désincarnent).

Scarlett Johansson est le fantasme ultime de notre époque

Scarlett Johansson elle-même avait-elle conscience qu’en acceptant coup sur coup ces trois rôles de science-fiction, elle allait être livrée à une telle décomposition de son image, de son corps et de son jeu? Ainsi, dans ce triptyque saisissant mené par trois réalisateurs qui n’ont pas grand chose en commun, on peut voir certaines des images les plus fascinantes du cinéma de 2014, d’autant plus fascinantes qu’elles se répondent et s’interrogent indéfiniment.

Dans Her, la voix suave de Scarlett associée à un téléphone portable ou au corps d’une autre jeune femme ; dans Under the skin, l’actrice se déshabillant lentement pour piéger des hommes subjugués, ou le corps de Scarlett observant dans ses mains son propre visage, qu’elle vient d’enlever de sa tête comme on enlèverait une cagoule, et dans ce regard échangé, les yeux profonds et inquiets de ce visage devenu simple masque ; dans Lucy enfin, ce corps qui se désintègre peu à peu, qui s’effrite dans un avion, qui se reconstruit en ordinateur, qui finit par disparaître totalement, par s’effacer, pour réapparaître dans le corps d’un simple texto. Lucy finit par se virtualiser, devenant Her, la femme idéale de Spike Jonze.

En trois films, Scarlett Johansson se sera à chaque fois débarrassée de son corps, pour n’en garder que l’essence, une voix, un regard, une pensée. Jusqu’à ce qu’il n’en reste rien, la voix, le regard et la pensée s’en allant finalement vers des ailleurs inaccessibles au commun des mortels. En pure conscience, en simple enveloppe ou en intelligence universelle, la femme Scarlett Johansson est à chaque fois détruite, déshumanisée, désindividualisée, jusqu’à fusionner, dans Lucy, avec l’existence tout entière.

Dans cette quête panthéiste de l’absolu, Luc Besson pense à Kubrick (quand il explore l’espace et le cosmos) et à Malick (quand il plie le temps, depuis le présent jusqu’aux recoins de la création), essorant 2001, L’Odyssée de l’Espace et The Tree of Life de leur sens, pour n’en garder que les images. A mi-chemin entre les visions métaphysiques des cinéastes qu’il copie et les fantasmes marketing des publicités pour Internet et smartphones, quelque part entre la fascination existentielle pour le grand Tout et la fantaisie ludique des nouvelles technologies, entre l’infinie incompréhension de l’homme pour son univers et les possibilités illimitées du progrès technologique, Besson met en image le rêve moderne d’être partout à la fois, de tout contrôler, d’avoir tout à portée de main. L’hallucination qu’il n’y a plus d’ailleurs, que tout est hyperprésent, immédiat, enregistrable sur une clé usb.

L’hallucination qu’il n’y a plus d’ailleurs, et que tout est hyperprésent, immédiat, enregistrable sur une clé usb.

Et tant pis si tout s’emmêle dans le récit et les dialogues de Lucy. Les considérations pseudo-scientifiques et pseudo-philosophiques n’ont pas beaucoup de sens, le scénario lui-même repose sur une hypothèse absolument fausse (les fameux 10% de cerveau utilisés par les êtres humains), et le film n’hésite pas à faire des allers-retours insensés du thriller musclé à la Taken au conte philosophique à la Matrix, sans que l’un ne justifie vraiment l’autre, si ce n’est sur le plan du pur divertissement.

Il ressort pourtant de cette soupe invraisemblable des scènes d’action réussies (Lucy doit ouvrir une valise dont on ne sait pas ce qu’elle contient ; son corps enchaîné au mur devient incontrôlable et se heurte aux parois de la pièce, tandis que la drogue fait son effet ; les tueurs se retrouvent eux-aussi dépossédés de leurs mouvements, collés au plafond comme de vulgaires insectes) et des visions pas vraiment nouvelles mais pourtant étonnantes (Time Square remontant le fil du temps ; Paris recouvert de traits colorés, comme les empreintes de toutes les personnes qui y vivent).

Même l’utilisation systématique du montage parallèle dans la première moitié du film est surprenante, bien qu’elle n’apporte pas grand chose au niveau du sens. Scarlett Johansson est cernée par la mafia comme une gazelle par des panthères. Aucune signification nouvelle, mais un rythme, une connexion. Dans Lucy, tout est connecté, les êtres humains et les animaux, l’infiniment petit et l’infiniment grand, le cerveau d’un individu et le monde dans lequel il évolue.

Dans Lucy, tout est connecté.

En 1h30, Luc Besson n’a pas vraiment le temps d’approfondir quoi que ce soit, mais il y a fort à parier qu’il s’en fout. Le réalisateur superpose les images, espérant que de cette frénésie jaillira une étincelle, une signification. Kubrick avait pris le temps d’explorer tour à tour le singe, le cosmos et l’intelligence artificielle comme autant de limites à l’homme. Besson passe le tout dans un mixeur géant : il ne s’agit plus de limites, mais de toute-puissance. A ce titre, Lucy est un formidable témoignage de notre temps et de nos aspirations nouvelles. Everything is connected. L’homme de Besson (tout comme son film, tout comme le spectateur) ne s’interroge pas, il s’amuse, il jouit. Quitte à subir ce qui lui arrive, dépassé par le grand tout dans lequel il évolue, heureux et hébété.

On revient alors à la formidable performance de Scarlett Johansson. Perdue d’un bout à l’autre du film, même quand elle devient le réceptacle du savoir universel. Dans Lucy, le but de la vie est de transmettre, comme ailleurs il est de produire. Dans une société de l’hyperinformation, il s’agit de toujours plus communiquer. Alors l’individu, devenu un pur outil, se désagrège. Il ne reste de nous, hommes du XXIème siècle emportés à toute allure et coûte que coûte vers la transmission désordonnée d’informations, qu’un simple texto. Peu à peu, Lucy / Scarlett Johansson devient impassible, presque robotique, presque abrutie. C’est que traversée par des flux gigantesques d’informations, elle se trouve finalement essorée de son âme et de son intelligence.

Note : 6/10

Lucy
Un film de Luc Besson avec Scarlett Johansson, Morgan Freeman et Min-sik Choi
Science-fiction – France – 1h29 – Sorti le 6 août 2014

Her

Spike Jonze est un cinéaste à part. Entouré de Joaquin Phoenix et Scarlett Johansson, tous deux excellents, il livre une nouvelle œuvre indispensable sur la solitude, la difficulté d’aimer et la douleur de ne plus aimer. Avec une douceur envoûtante, il nous raconte le monde de demain et la mélancolie de toujours. Un film d’une beauté bouleversante.

Synopsis : Los Angeles, dans un futur proche. Theodore Twombly, inconsolable suite à une rupture difficile, fait l’acquisition d’un programme informatique ultramoderne, ‘Samantha’, une voix féminine intelligente, intuitive et étonnamment drôle…

Her - critique

Il faut sans doute remonter à Eternal Sunshine of the spotless mind pour trouver au cinéma une romance d’une telle puissance et d’une telle fragilité, pour être touché jusqu’à l’âme par cette « folie socialement acceptée » qu’on appelle l’amour.

Dans un univers de science-fiction d’une beauté calme et classe, dessiné tout en couleurs et en discrétion, Spike Jonze sonde à la fois notre temps et l’intimité d’un homme. Il s’agit aussi bien d’interroger l’évolution d’une société de plus en plus virtuelle, où les relations se dématérialisent, que d’explorer une fois encore ce sentiment terrible et universel, si cher au cinéaste, qu’est la solitude.

Certes notre époque donne une nouvelle résonance à ce mot. Mais le mal-être est existentiel. Pour s’en défaire, Craig, le marionnettiste de Dans la peau de John Malkovich, parvenait à pénétrer l’âme d’un autre être humain. Charlie Kaufman, scénariste et héros d’Adaptation, se munissait lui aussi d’un double, un frère jumeau cool et hypersociable qui l’aidait à mettre du désordre dans sa vie et dans son film. Quant à Max, l’enfant solitaire de Max et les maximonstres, seuls ses amis imaginaires et déjantés pouvaient le sauver de l’horreur d’être seul.

Theodore souffre lui aussi, après une séparation difficile. Comme les autres héros du réalisateur, il est prisonnier de son malheur, incapable de communiquer, de rencontrer l’autre. Il attend tant d’être sauvé qu’il se fane peu à peu. Jusqu’à sa rencontre avec Samantha, un programme informatique intelligent.

Spike Jonze explore une nouvelle fois ce qui fait la complexité de l’intelligence humaine et de l’individualité. Tous ses films sont un voyage dans l’inconscient d’un homme, confronté à d’autres consciences comme autant de miroirs. Alors, qu’est-ce qui définit un individu, une personne? Qu’est-ce qui fait d’un sentiment qu’il est réel? Qu’est-ce qui fait d’un être qu’il existe? Qu’est-ce qui fait d’une pensée qu’elle est unique?

Un voyage dans l’inconscient d’un homme, confronté à d’autres consciences comme autant de miroirs.

Dans la prestigieuse lignée de 2001, L’Odyssée de l’espace, de Blade Runner et de A.I. Intelligence Artificielle, Her trouve une place singulière, entre l’histoire d’amour impossible et le drame psychologique, voire schizophrène. Car entre la solitude et la schizophrénie, entre le besoin de ne pas être seul et celui d’être deux, il n’y a que la duplication de soi, cet acte quotidien que nous faisons tous quand nous nous parlons à nous-mêmes, quand nous nous répondons, quand nous nous motivons. Quand nous nous imaginons les réactions d’un autre qui n’existe que dans notre tête. C’est vers cette schizophrénie de la solitude que se tourne tout le cinéma de Spike Jonze. Comment communiquer avec quelqu’un qui n’est pas soi? Comment aimer? Comment être deux et se comprendre, comment être deux et faire partie d’une même réalité, unique et indivisible?

Entre soi et l’être aimé, il y a toujours un espace, un décalage qu’on se frustre à vouloir combler. Jusqu’à ce que la relation se finisse, jusqu’à ce qu’on soit à nouveau seul. Theodore Twombly en est là au début du film, inconsolable d’avoir perdu cette magnifique intimité qui le reliait à un autre être.

C’est par une mise en scène d’une formidable douceur que le réalisateur nous fait partager la mélancolie de Theodore. Les plans se succèdent dans un silence d’une extrême délicatesse, parfois accompagné de la fragile musique d’Arcade Fire. La chanson de Karen O est tout aussi légère et vulnérable, comme une histoire d’amour qui s’estompe. Les flashbacks nous arrivent feutrés et lumineux, comme les réminiscences d’une réalité cristalline et disparue.

Spike Jonze filme la cristallisation amoureuse comme une caresse. Son film évoque un pétale de rose qui tombe doucement du ciel, porté par le vent délicat et par l’air invisible. Le scénariste Charlie Kaufman apportait aux premiers films du cinéaste un désordre tourmenté, une surexcitation angoissée proche de celle de Woody Allen. Dans Her, Spike Jonze est le seul auteur de son histoire. Au chaos de Kaufman succède le calme et la mélancolie. Her est un film de tristesses et de lumières, un film de folie et de résignation, un film que le temps qui passe marque de son empreinte indélébile.

Un film de tristesses et de lumières, un film de folie et de résignation

Dans le futur de Her, il n’y a aucune voiture. Les hommes discutent silencieusement avec leur oreillette. Chaque passant croisé semble isolé, pourtant il est en train de téléphoner, de lire ses mails, de refaire le monde ou de tomber amoureux. Il ne reste plus que des intériorités, des individus qui vivent chacun dans leur monde. Le film fait le pari de l’intimité. Nous sommes collés à Theodore Twombly, à ses silences, à ses doutes et à ses espoirs. Her présente un futur crédible, à la fois fascinant et inquiétant, pour notre société de l’hypercommunication et de l’hypersolitude.

L’imitation est si sophistiquée qu’elle dépasse le vrai, comme ces lettres écrites à la main dont Theodore dicte pourtant les mots à un ordinateur. Impossible de dire si nous avons affaire à une utopie ou à une dystopie. Spike Jonze ne se prononce pas, les enjeux de son histoire prennent place dans le monde de demain mais ils sont éternels.

Le nom du héros, Twombly, fait immanquablement penser au peintre américain éponyme, dont de nombreuses œuvres, ni vraiment figuratives, ni vraiment abstraites, évoquent des gribouillis colorés envahissant la toile blanche.
Samantha n’est ni vraiment figurative, ni vraiment concrète. Et peu à peu au cours du film, la toile de sa personnalité se remplit, se colore, s’enrichit au contact de Theodore, en même temps spectateur et peintre, destinataire et créateur de l’œuvre la plus fabuleuse qui soit : une conscience.

La création échappe à l’artiste. La machine échappe à l’homme.

Her, c’est donc aussi le fantasme de la femme idéale. Theodore est si heureux d’avoir enfin rencontré une femme si curieuse, si vivante, si enthousiaste du monde. Tant pis si elle n’existe peut-être pas. Après tout, un fantasme peut-il rester un fantasme s’il prend corps? Mais peu à peu, la femme idéale s’échappe. La création échappe à l’artiste. La machine échappe à l’homme. Spike Jonze explore les limites intellectuelles de l’être humain, et ce qui peut exister au-delà de notre espèce, pour une intelligence qui nous serait supérieure.

Après tout, si l’homme est si frustré, n’est-ce pas qu’il se sent si limité, incapable de discuter avec plusieurs personnes à la fois, incapable d’aimer toutes les personnes qu’il pourrait aimer, incapable de mieux comprendre sa place dans l’univers? Existe-t-il un autre monde, sans matière, sans sensation, où tout serait de plus en plus virtuel, de plus en plus rapide, de plus en plus évolutif, de plus en plus global? Et s’il existe, est-il souhaitable? N’est-ce pas l’idéal de l’homme du XXIème siècle, qui se dédouble autant de fois qu’il se crée un profil, un avatar, une adresse mail ou internet?

C’est là que le film, de déchirant, devient absolument fascinant. Et retombe miraculeusement sur des enjeux beaucoup plus simples et évidents. Tout ceci n’est peut-être pas une histoire d’amour qui nait et qui évolue. Mais une histoire d’amour qui meurt peu à peu. Her, est-ce Samantha, ou bien plutôt Catherine, celle que Theodore aimait et qui l’a quitté?

Le deuil impossible d’une histoire d’amour

Spike Jonze nous raconte le deuil impossible d’une histoire d’amour. Nous avons partagés notre vie, et nous ne serions plus que des inconnus? Il n’y a rien de plus malheureux que de ne plus aimer. Le cinéaste nous confie que l’être qu’on a aimé est aimé à jamais, à jamais un bout de nous. Il ne peut en être autrement. C’est à la fois terriblement douloureux, terriblement triste, et terriblement nécessaire. Il fallait bien un chef d’œuvre pour raconter toutes ces choses si simples et si complexes. On sort du film déboussolés, bouleversés, et profondément seuls.

Note : 10/10

Her
Un film de Spike Jonze avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams et Rooney Mara
Science-fiction, Romance – USA – 2h06 – Sorti le 19 mars 2014
Oscar 2014 et Golden Globe 2014 du meilleur scénario original

The Bay

Le récit effroyable d’une épidémie horrifique et hyperréaliste, racontée à travers le montage des multiples vidéos retrouvées sur place. Le film alterne les formats, les qualités d’image, les angles de vue et les valeurs de plan, donnant au faux documentaire un aspect monstrueux et engagé. Et même si le récit devient vite répétitif, le procédé narratif et le propos méritent le détour.

Synopsis : Dans la baie du Maryland, une bactérie non identifiée contamine le lac et ceux qui s’en approchent…

The Bay - critiqueUn virus contamine toute une ville en une journée. Ce n’est ni Contagion ni 28 jours plus tard, le monde n’est pas menacé, simplement des centaines de personnes sont mortes d’un coup, s’infectant les unes les autres à la manière d’un effrayant film de zombie.

Et si The Bay reprend les codes de la créature chère à Romero, il s’en distingue par sa très forte volonté d’inclure son épidémie dans une réalité écologique ultra-crédible. L’omniprésence, sur les images, du drapeau américain, autant que le choix du jour (le 4 juillet) montrent que Barry Levinson veut nous livrer, bien plus qu’un simple pop-corn movie, une critique sévère de la politique environnementale américaine.

Comment une société de plus en plus sécuritaire peut-elle se soucier si peu des terribles dangers écologiques qu’elle fait peser sur elle-même? L’explication, ici, est un élevage de poulets. L’explication, partout, est le succès économique. Les conservateurs prônent la sécurité tant que cela ne remet pas en cause leur possibilité de s’enrichir. L’économie, toujours favorisée par rapport aux considérations éthiques ou écologiques, est l’impératif catégorique du monde capitaliste. La sécurité défendue est celle qui ne remet pas en cause ce modèle, celle qui le protège. Les gens veulent être riches d’abord, ensuite en sécurité. Les idéaux, la liberté, la solidarité, le bien-être n’arrivent que dans un troisième temps.

Certes, la manière de raconter l’histoire en found footage paraît d’abord un peu banale, tant le genre fut à la mode ces dernières années, de Cloverfield à Chronicle en passant par Diary of the dead ou [Rec]. Pourtant, The Bay serait plutôt à rapprocher du Redacted de De Palma, tant pour son contenu politique que pour sa façon de décrire un événement grâce à une mosaïque de vidéos de toutes sortes.

Car ce qui est véritablement fascinant dans The Bay, c’est que le récit présuppose qu’un montage a déjà été fait par quelques journalistes avant le début de l’histoire, à partir d’un grand nombre de films retrouvés. L’image omniprésente, reconstruite, permet de raconter chronologiquement le drame, tout autant que de présenter quelques moments de vie privée par des angles de vue multiples, grâce à la multitude des vidéos d’un même lieu en un même instant (caméra de surveillance, iphone, webcam, caméscope privé, caméra de télévision…).

The Bay - l'horreur

Ainsi, chaque journée, terrible ou anodine, peut être archivée, passée au crible du futur. Mais en montant les images, celui qui les manipule leur donne un sens. L’illusion de pouvoir recréer un instant passé grâce à l’ensemble des images qui nous en parviennent est tout à la fois captivante et effrayante.

Barry Levinson, un peu pris au piège de son procédé, de la multitude des vidéos et donc des petites histoires individuelles, des bouts de récits et de personnages, est obligé de sans cesse se répéter. Puisque tout le monde à Chesapeake Bay a plus ou moins vécu la même chose, le spectateur doit se taper nombre d’événements et de réactions similaires.

The Bay finit donc malheureusement par s’essouffler, même s’il réserve jusqu’au bout quelques jolis moments de panique. Il n’empêche qu’entre l’invasion des images et la disparition de véritables objectifs politiques (le bien-être de la population), l’horreur peut simplement se décupler. Les vidéos se propagent comme la bactérie du film, à une vitesse jamais connue auparavant. Que reste-t-il des individus? Des bouts d’image, des bouts de chair, qu’on peut largement sacrifier sur l’autel du Rêve américain : business is business.

Note : 6/10

The Bay
Un film de Barry Levinson avec Kristen Connolly, Christopher Denham et Nansi Aluka
Epouvante, Science-fiction – USA – 1h28 – Sorti le 19 juin 2013

After Earth

Will Smith et son fils avaient déjà joué ensemble dans A la recherche du bonheur. Il y était déjà question de survie dans un univers hostile. La comparaison s’arrête là : After Earth se nourrit d’anticipation et d’aventures. S’il y a beaucoup de bonnes idées et de scènes percutantes, le film souffre d’un scénario vite prévisible et sans relief.

Synopsis : Après un atterrissage forcé, Kitai et son père se retrouvent sur Terre, mille ans après que l’humanité ait été obligée d’évacuer la planète, chassée par des événements cataclysmiques.

After Earth - critiqueLe film commence par distribuer ses cartes plutôt avantageuses. De très belles idées (l' »effacement », l’arrivée accidentelle sur une Terre abandonnée depuis mille ans, l’architecture des habitations du futur), la rapide description d’une société futuriste, et la fascination évidente pour ce que pourrait être l’humanité (et la Terre) dans un futur très lointain.

Et puis au bout de 20 minutes, le programme complet du film est exposé et celui-ci n’en divergera jamais. Pourtant, After Earth serait plutôt un objet étrange dans l’univers du blockbuster : l’histoire tient seulement sur deux personnages, dont l’un est immobilisé; le space opera se transforme peu à peu en film d’exploration puis en survival.

Mais le scénario paraît vite assez plat, la faute à des motifs un peu trop évidents (la relation paternelle, la confiance et la complicité, le poids de la peur et de la culpabilité…).

Pourtant, il faut reconnaître à M. Night Shyamalan que jamais on ne s’ennuie, alors que le dispositif pouvait laisser craindre le pire. Car le film distille quelques séquences époustouflantes, la plus réussie étant sans aucun doute le plongeon de Kitai depuis les hauteurs d’une falaise.

Comme toujours, le réalisateur de Sixième sens nous emballe par l’univers qu’il arrive à créer, par l’histoire qu’il nous raconte, par les enjeux qu’il met au centre de son récit. Et comme très souvent, son film s’avère un peu décevant au regard de ce qu’on pouvait en attendre et de son talent pour nous scotcher à l’écran par intermittence. On regrette aussi le jeu peu nuancé de Jaden Smith.

Le début d’After Earth est très prometteur, puis le film remplit son cahier des charges sans plus chercher à nous surprendre. L’aventure est parfois convenue, parfois palpitante, ce qui suffit néanmoins à nous faire passer un fort bon moment de cinéma.

Note : 5/10

After Earth
Un film de M. Night Shyamalan avec Jaden Smith, Will Smith et Sophie Okonedo
Science-fiction – USA – 1h40 – Sorti le 5 juin 2013

Upside Down

Sans cesse tiraillé entre les cimes d’un univers magnifique et les profondeurs d’une romance stéréotypée, Upside Down arrive tour à tour à nous envoûter et à nous décevoir. Le spectateur, plein d’espoir, est rapidement frustré. Pourtant, le monde créé par Juan Solanas est une véritable pépite de poésie et d’imagination.

Synopsis : Le monde d’Adam se trouve juste en dessous de celui d’Eden, si près qu’il peut le voir en regardant le ciel. Mais cette proximité est trompeuse : tout échange est strictement interdit.

Upside Down - critiqueIncontestablement, Upside Down repose sur une magnifique idée, d’autant plus fascinante qu’elle se prête formidablement bien à un traitement cinématographique. Certes, ses fondements scientifiques sont plutôt douteux (la gravité est une force universelle), mais on accepte volontiers les postulats de départ, déjà captivés dès les premières minutes du film par tout ce qu’il est possible de développer dans un tel univers.

Juan Solanas se construit un espace de jeu paradisiaque pour cinéaste rêveur. Upside Down est l’un des très rares films à créer de toute pièce un monde au fonctionnement unique et original. Visiblement à l’aise avec sa fabuleuse idée, le réalisateur mexicain réussit parfaitement sa mise en image. La caméra est aérienne, elle passe d’un espace à l’autre avec une légèreté renversante, on s’émerveille des logiques spatiales contradictoires sans jamais avoir mal au cœur.

Les idées de mise en scène sont nombreuses, l’étage 0 de TransWorld est un lieu magique qui marque pour longtemps notre mémoire de spectateur, tout comme ces montagnes qui se touchent presque, ou encore cette salle de bal où chaque monde danse sur le plafond de l’autre.

Pourtant, la magie n’est pas totale, la faute à une histoire d’amour mièvre qui n’est presque jamais crédible. Non pas que les péripéties soient forcément mal scénarisées (même si la loi fondamentale sur la matière inverse est sans cesse transgressée, laissant des incohérences un peu partout dans le récit), mais Juan Solanas échoue complètement à dessiner ses personnages et les relations qu’ils entretiennent.

Chaque tête à tête entre Adam et Eden, entre Adam et ses amis est un cliché, un passage narratif obligé sans épaisseur et sans authenticité. La pauvreté des dialogues renforce encore cette impression de vide psychologique : les personnages agissent mais ne pensent pas, leur comportement semble toujours déterminé à l’avance, ils n’ont aucune vie propre et se contentent d’être utiles à la progression de l’histoire. Adam dit « je suis amoureux », l’homme qui l’a élevé dit « je suis inquiet » et les patrons de TransWorld disent « respectez les règles sinon vous êtes mort ». C’est aussi plat et artificiel que cela.

Conséquence directe : la poésie visuelle du film est sans cesse contrebalancée par un pathos d’une rare grossièreté. Les personnages sont des archétypes qui nous empêchent de croire en eux, en leur amour, en leur quête. Ce qui est d’autant plus gênant que le film fait le choix de tout miser sur la romance, parfois au dépend d’enjeux majeurs (politiques, sociaux, éthiques) à peine esquissés et qui auraient pourtant pu nous passionner.

Avec le potentiel et l’apparence d’un véritable chef d’œuvre, le film de Juan Solanas est un terrible échec narratif. On est tour à tour scotchés par la beauté créative des images, rendus indifférents par la banalité des répliques, captivés par ce monde extraordinaire, déçus par les poncifs mélodramatiques qui s’accumulent. Sans cesse ballotés de bas en haut, puis de haut en bas. Upside down.

Note : 6/10

Upside Down
Un film de Juan Solanas avec Jim Sturgess, Kirsten Dunst et Timothy Spall
Science-fiction – Canada, France – 1h45 – Sorti le 1er mai 2013