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Only Lovers Left Alive – critique cannoise
Finissons le tour d’horizon du Festival de Cannes 2013 avec le dernier film présenté en compétition cette année, Only Lovers Left Alive. Malheureusement, le film de Jim Jarmush, trop lent, trop étiré, trop relâché, ne risquait pas de changer la donne au palmarès. Un poème visuel élégant mais ennuyeux.
Synopsis : Adam et Eve, deux vampires qui s’aiment depuis des siècles, peuvent-ils continuer à survivre dans un monde moderne qui s’effondre autour d’eux ?
Esthétiquement magnifique, Only Lovers Left Alive essaie de nous étourdir par sa belle lumière crépusculaire, par ses cadres saisissants, par sa superbe musique, par la splendeur glacée du visage de ses personnages.
Les vampires sont des êtres froids et parfaits, le film fait le choix de coller formellement à son sujet. Les vampires sont aussi des êtres lents, ils vivent depuis des siècles et ils ont tout leur temps. Le film avance sur un rythme élégiaque, les séquences s’étirent, les personnages semblent vivre au ralenti.
Malheureusement, l’ennui pointe vite le bout de son nez. Rien de bien nouveau dans le scénario : ces vampires civilisés rappellent ceux de Thirst de Park Chan-Wook. La mise en scène est trop relâchée, peinant à imposer son énergie au récit.
Quand Ava apparaît, on espère qu’enfin ce calme plat va être dynamité, mais rien ne vient, la chape de plomb qui pèse sur le film continue de faire son œuvre. Dans cette atmosphère de fin du monde, parfois un humour noir bienvenu surgit. Quelques plans forcent l’admiration, on pense notamment à ceux qui ouvrent le film, comme la promesse d’un poème envoûtant. Mais d’envoûtant, Only Lovers Left Alive devient vite hypnotique, voire soporifique.
Dans un monde qui périclite, Adam et Eve ne sont pas simplement des vampires, ils sont les derniers vrais humains (les autres sont appelés les « zombies »), un couple raffiné, cultivé et amoureux. Alors que les ressources fondamentales à leur survie sont contaminées, leur amour semble être leur seule arme pour survivre sur une Terre en déclin.
Dans cette fable écologique, Jim Jarmush semble nous prévoir un avenir apocalyptique, où la seule façon de rester en vie se joue aux dépens de la vie des autres. Dommage qu’il faille au spectateur presque autant d’effort pour suivre les aventures contemplatives de ce couple au sang froid.
Note : 3/10
Only Lovers Left Alive
Un film de Jim Jarmush avec Tilda Swinton, Tom Hiddleston, John Hurt et Mia Wasikowska
Romance, Fantastique – USA – 2h03 – Sortie le 12 décembre 2013
Stoker
Premier film américain pour le réalisateur sud-coréen Park Chan-Wook. Le majeure partie du film est la mise en place glaçante d’un thriller familial qui lorgne du côté de Hitchcock. Certes, le tout n’est pas complètement abouti, mais on prend un plaisir franchement coupable à goûter cette fable amorale, perverse et jouissive, sur la libération progressive des instincts enfouis.
Synopsis : Après la mort de son père dans un étrange accident de voiture, India, une adolescente, voit un oncle dont elle ignorait l’existence, venir s’installer avec elle et sa mère.
Les vampires sont inquiétants, dangereux, effrayants et… terriblement séduisants. Depuis le Nosferatu de Murnau, qui malgré son visage repoussant, réveillait le désir de la jeune femme d’Hutter, jusqu’à Edward Cullen, le héros de Twilight, qui provoque chez Bella une passion irrésistible, ces créatures de la nuit ont toujours symbolisé les pulsions sexuelles enfouies, les tentations interdites.
Le thème du vampire fut popularisé par le roman Dracula, écrit à la fin du XIXème siècle par… Bram Stoker. Park Chan-Wook, dont le dernier long métrage, Thirst, suivait justement le parcours d’un vampire, n’a pas choisi le titre de son premier film américain par hasard : sous ses faux airs de drame familial, Stoker est une histoire de vampire déguisée.
Pas étonnant que ce thème intéresse le réalisateur d’Old Boy, lui qui a toujours été inspiré par les relations ambigües, les attirances malsaines et les explosions de violence qu’on ne peut pas refouler.
Dans Stoker, ce qui frappe d’abord, c’est l’esthétique glaciale. Tout est d’une beauté froide fascinante et menaçante, l’oncle Charlie bien sûr, mais aussi les acteurs, Nicole Kidman, Mia Wasikowska et Matthew Goode filmés de manière à mettre en valeur leur visage parfait, leur regard perçant, l’harmonie quasi surnaturelle de leurs traits. Leurs gestes sont élégants, leurs déplacements sont majestueux. Jusqu’à la maison et le jardin de la famille Stoker, tout ce qui les entoure paraît trop propre, trop symétrique, revêtu d’une étrangeté magnétique.
C’est que la mise en scène est au diapason : les plans coulent avec assurance et délicatesse, les cadres sont imposants, les mouvements de la caméra sont hypnotisants et hyper maîtrisés. Park Chan-Wook livre un film d’une folle beauté plastique. L’image est en papier glacé, sublime jusqu’à nous étouffer. Dans le thriller qui s’installe, le réalisateur coréen sait nous donner l’impression que le piège se referme petit à petit, tel un chant de sirènes, d’autant plus envoûtant qu’on avance vers elles. Captivés, nous devenons vite captifs.
Certains plans sont remarquables. La tension sexuelle est palpable dans une magnifique séquence de piano (sur un morceau composé par Philip Glass). Les scènes de repas sont terribles d’humour noir et de cruauté. Et la chasse est une très belle idée, dont l’importance est cruciale pour l’intrigue.
Pourtant, le scénario manque un peu d’inventivité et les révélations finales nous sont offertes d’un coup d’un seul, ce qui minimise forcément leur portée. C’est le talent du réalisateur d’avoir néanmoins réussi à nous tenir en haleine d’un bout à l’autre. A nous charmer presque malgré nous par cette histoire plus décevante que prévue dans sa construction un peu mécanique.
On aime cependant la perversion du cinéaste, son goût pour le malsain, la manière dont il joue avec nos repères et nos attentes. A tel point qu’on aurait préféré une autre fin, plus immorale, plus séduisante encore.
Stoker est un film qui réveille nos envies les plus inavouables. Envie de sang, envie de sexe. L’essence même de l’attraction qu’exercent depuis plus d’un siècle les vampires qui peuplent notre imaginaire. Park Chan-Wook présente une lecture plus animale et moins fantastique du mythe. Quelque part en nous réside un vampire, qu’on essaie de tenir en laisse, et qui pourrait bien un jour se réveiller.
Note : 6/10
Stoker
Un film de Park Chan-Wook avec Mia Wasikowska , Matthew Goode et Nicole Kidman
Thriller, Drame – USA, Royaume-Uni – 1h40 – Sorti le 1er mai 2013
Restless
Il ne veut plus vivre. Elle va mourir. Ils tombent amoureux. Cette histoire devrait être tragique et passionnante, elle est plutôt fade et impersonnelle. La faute à un scénario cousu de fil blanc, à des personnages convenus, à des situations rebattues. On n’est pas si surpris quand on apprend que Ron Howard est à la production. Mais on est très déçus.
Synopsis : Enoch passe son temps dans les enterrements d’inconnus depuis la mort tragique de ses parents. Un jour, il y rencontre Annabel, atteinte d’un cancer incurable.
Restless est une sorte de remake sucré et normalisé de Harold et Maude. Là où le chef d’oeuvre de Hal Ashby bouleversait tous les codes moraux habituels, Restless s’inscrit au contraire parfaitement dans les lieux communs du cinéma romantique. Invoquant parfois Garden State quand Enoch, déprimé, rencontre Annabel, naïve et lumineuse, parfois La Balade sauvage quand les deux futurs amoureux discutent sur une musique mystique et légère qui rappelle forcément celle du premier film de Terrence Malick, Gus Van Sant montre avec ostentation qu’il veut faire de son film une romance pure et déchirante.
Mais un peu à la manière de Beginners, les bonnes intentions ne suffisent pas. Elles semblent mal dissimulées derrières l’enchaînement maladroit des séquences. A force de traquer artificiellement la magie de chaque instant, la caméra aplatit l’histoire d’amour et c’est la banalité qui surgit, sosie triste de la passion qu’on n’a pas su saisir.
On ne peut que regretter que le film accumule ainsi les stéréotypes du cinéma indépendant tant son sujet est intéressant. Car à l’opposé des histoires d’amour éternel, Restless nous propose l’amour fulgurant, l’amour court, l’amour qui ne peut que se terminer dans quelques mois, dans quelques jours. Les plus belles histoires d’amour ne sont pas nécessairement les plus longues, ici l’amour est forcément éphémère, avant même que l’histoire ne commence on sait qu’elle ne pourra pas durer. La romance n’existe même que par sa fugacité, c’est ce qui la définit et lui donne son intensité. Comme un amour de vacances, sauf que dans Restless, la fin des vacances, c’est la mort.
Gus Van Sant propose une histoire essentiellement tragique mais veut la rendre heureuse malgré ça, grâce à ça. Il aurait fallu éviter consciencieusement de céder à toutes les facilités du genre. Ici, tout est attendu et décevant. Les énervements d’Enoch sont factices, la douceur lunaire d’Annabel est convenue, leurs drames familiaux sont conventionnels. Et le fantôme japonais qui accompagne Enoch n’apporte jamais à l’histoire le mystère ou la profondeur qui lui manquent. Au contraire, il distille une émotion bon marché et une touche d’optimisme malvenue, comme pour s’excuser d’un scénario si déprimant.
La trivialité de la dernière séquence finit de démontrer le manque d’inspiration et d’imagination de Restless. Gus Van Sant utilise alors l’éternel procédé des flashbacks qui nous rappellent tout ce qui a existé et qui n’existera plus jamais. Comme si ce n’était pas suffisant, il accompagne ce poncif de la voix de Nico, qui nous ferait éclater en sanglots à elle toute seule. Sentant qu’on veut le forcer à pleurer, le spectateur se retient par défi. Il ne faut pas confondre l’émotion et l’épluchage d’oignons.
Restless est un bon sujet fort mal traité. Gus Van Sant nous livre peut-être son plus mauvais film.
Note : 2/10
Restless
Un film de Gus Van Sant avec Henry Hopper, Mia Wasikowska et Ryo Kase
Drame, Romance – USA – 1h35 – Sorti le 21 septembre 2011