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Promised Land
Après le fade Restless, Gus Van Sant revient avec un film écologiste sur le très controversé gaz de schiste. On craignait le pire, on est très agréablement surpris par ce film modeste et très réussi. Une œuvre étonnante d’une belle humanité, au tempo doux et prenant, dont les enjeux sont d’autant plus puissants qu’ils se révèlent progressivement.
Synopsis : Steve, représentant d’un grand groupe énergétique, se rend dans une petite ville pour proposer aux habitants de forer leurs terres en échange d’une forte somme d’argent…
Gus Van Sant s’attaque aux dilemmes de l’exploitation du gaz de schiste dans un thriller écologiste apparemment très simple et très classique.
Steve Butler arrive dans une petite ville des États-Unis. D’abord présomptueux, il apprend peu à peu à connaître les « bouseux », jusqu’à s’attacher plus que prévu à une jeune enseignante du coin. Changer de point de vue, apprendre de l’autre, s’attacher à des valeurs fondamentales comme la simplicité et la communauté, prendre soin des hommes et des femmes qui nous entourent : Steve suit un parcours initiatique ordinaire.
L’intrigue est d’abord très banale, les personnages sont connus, la problématique de la petite ville agricole qui se meurt est loin d’être nouvelle. Et pourtant, Gus Van Sant trouve le rythme idéal pour raconter son histoire (et le bon point de vue, celui de l’employé de la compagnie énergétique) : on s’intéresse vraiment au combat de Steve, aux espoirs et aux résistances qu’il soulève.
Surtout, tout ici est universel, et le spectateur s’interroge à tous les niveaux : l’exploitation du gaz de schiste est-elle vraiment dangereuse, et dans quelle mesure? Que ferait-on à la place de Steve? Il n’arrête pas de répéter qu’il n’est pas le méchant de l’histoire… Est-il le méchant? Sa position est-elle défendable? Ou au moins, son métier l’est-il? Et que ferait-on à la place des fermiers? Signerait-on oui ou non ce contrat, avec tous les risques et toutes les promesses qui y sont associés?
Il y a dans Promised Land de la douceur et des doutes, tous les choix nous sont laissés possibles. Les questions éthiques se multiplient, jusqu’à interroger le sens de la démocratie, le risque de la manipulation (de masse) et la nécessité de la vérité.
Promised Land est un film malin et sensible, d’une grande intelligence : derrière le drame social type, des questionnements intimes et politiques essentiels sont décrits avec pudeur et réalisme. Et quand le scénario se renverse et nous surprend (vraiment), on est franchement heureux de voir que toutes les cartes n’étaient pas jouées.
Plutôt qu’une voie médiane, le film décide de prendre position. L’ombre de Capra plane sur ce cinéma humaniste et militant. Comme Cary Grant en son temps, Matt Damon incarne ici le héros ordinaire, dont la droiture et l’honnêteté permettent à l’idéal démocratique américain de prendre sens. Le cheminement du personnage est décrit avec beaucoup de finesse et de précision.
Promised Land n’est pas un film naïf, c’est un film engagé. Non pas contre le gaz de schiste, dont finalement le scénario n’évalue pas précisément le danger. Mais pour le peuple, pour la vérité, pour le débat raisonné, contre les jugements hâtifs et les fausses solutions miracles, contre les manipulations des puissants groupes industriels. Contre les idées qu’on nous impose à grands coups de dollars et de marketing. Un beau programme en somme, qui prend vie sur des dilemmes subtils et passionnants : c’est à ce prix qu’on devient plus qu’un individu, un citoyen, et plus qu’une somme d’individus, une communauté.
Note : 7/10
Promised Land
Un film de Gus Van Sant avec Matt Damon, Rosemarie DeWitt, Frances McDormand et John Krasinski
Drame – USA – 1h46 – Sorti le 17 avril 2013
Mention spéciale du Jury au Festival de Berlin 2013
Restless
Il ne veut plus vivre. Elle va mourir. Ils tombent amoureux. Cette histoire devrait être tragique et passionnante, elle est plutôt fade et impersonnelle. La faute à un scénario cousu de fil blanc, à des personnages convenus, à des situations rebattues. On n’est pas si surpris quand on apprend que Ron Howard est à la production. Mais on est très déçus.
Synopsis : Enoch passe son temps dans les enterrements d’inconnus depuis la mort tragique de ses parents. Un jour, il y rencontre Annabel, atteinte d’un cancer incurable.
Restless est une sorte de remake sucré et normalisé de Harold et Maude. Là où le chef d’oeuvre de Hal Ashby bouleversait tous les codes moraux habituels, Restless s’inscrit au contraire parfaitement dans les lieux communs du cinéma romantique. Invoquant parfois Garden State quand Enoch, déprimé, rencontre Annabel, naïve et lumineuse, parfois La Balade sauvage quand les deux futurs amoureux discutent sur une musique mystique et légère qui rappelle forcément celle du premier film de Terrence Malick, Gus Van Sant montre avec ostentation qu’il veut faire de son film une romance pure et déchirante.
Mais un peu à la manière de Beginners, les bonnes intentions ne suffisent pas. Elles semblent mal dissimulées derrières l’enchaînement maladroit des séquences. A force de traquer artificiellement la magie de chaque instant, la caméra aplatit l’histoire d’amour et c’est la banalité qui surgit, sosie triste de la passion qu’on n’a pas su saisir.
On ne peut que regretter que le film accumule ainsi les stéréotypes du cinéma indépendant tant son sujet est intéressant. Car à l’opposé des histoires d’amour éternel, Restless nous propose l’amour fulgurant, l’amour court, l’amour qui ne peut que se terminer dans quelques mois, dans quelques jours. Les plus belles histoires d’amour ne sont pas nécessairement les plus longues, ici l’amour est forcément éphémère, avant même que l’histoire ne commence on sait qu’elle ne pourra pas durer. La romance n’existe même que par sa fugacité, c’est ce qui la définit et lui donne son intensité. Comme un amour de vacances, sauf que dans Restless, la fin des vacances, c’est la mort.
Gus Van Sant propose une histoire essentiellement tragique mais veut la rendre heureuse malgré ça, grâce à ça. Il aurait fallu éviter consciencieusement de céder à toutes les facilités du genre. Ici, tout est attendu et décevant. Les énervements d’Enoch sont factices, la douceur lunaire d’Annabel est convenue, leurs drames familiaux sont conventionnels. Et le fantôme japonais qui accompagne Enoch n’apporte jamais à l’histoire le mystère ou la profondeur qui lui manquent. Au contraire, il distille une émotion bon marché et une touche d’optimisme malvenue, comme pour s’excuser d’un scénario si déprimant.
La trivialité de la dernière séquence finit de démontrer le manque d’inspiration et d’imagination de Restless. Gus Van Sant utilise alors l’éternel procédé des flashbacks qui nous rappellent tout ce qui a existé et qui n’existera plus jamais. Comme si ce n’était pas suffisant, il accompagne ce poncif de la voix de Nico, qui nous ferait éclater en sanglots à elle toute seule. Sentant qu’on veut le forcer à pleurer, le spectateur se retient par défi. Il ne faut pas confondre l’émotion et l’épluchage d’oignons.
Restless est un bon sujet fort mal traité. Gus Van Sant nous livre peut-être son plus mauvais film.
Note : 2/10
Restless
Un film de Gus Van Sant avec Henry Hopper, Mia Wasikowska et Ryo Kase
Drame, Romance – USA – 1h35 – Sorti le 21 septembre 2011