Archives Mensuelles: septembre 2012

Take Shelter

Grand Prix de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes et Grand Prix du Jury au Festival de Deauville en 2011, Take Shelter a été unanimement acclamé. C’est que le film de Jeff Nichols dégage un charme magnétique qui impressionne. Take Shelter crée une attente qui ne sera ni négligée, ni vraiment satisfaite. Un entre-deux frustrant et un peu regrettable.

Synopsis : Curtis mène une vie paisible jusqu’à ce que des visions apocalyptiques envahissent peu à peu son esprit. La menace d’une tornade finit par l’obséder…

Take Shelter - critique

Les acteurs sont excellents : Jessica Chastain immaculée (on pense forcément à The Tree of Life), Michael Shannon terrifiant. Le film colle à la peau de son personnage jusqu’à ce que sa perception soit la seule qui nous soit accessible, jusqu’à ce que sa réalité imprègne l’écran et fasse douter le spectateur au-delà du raisonnable.

Flirtant avec le fantastique, Take Shelter semble ne pas vouloir prendre position, il ne démêle jamais les fils du rationnel et de l’irrationnel et nous laisse terrifiés par une peur incontrôlée, absurde et mal identifiée (peur de l’apocalypse? peur de la schizophrénie?).

A force de chercher la sécurité, à force de vouloir se protéger et protéger sa famille (cocon protecteur tout autant que nid à traumas), à force de croire à ses fantasmes, Curtis se laisse emporter par la folie et devient extrêmement dangereux. La peur mène au pire, l’obsession de la sécurité est une impasse. N’est-ce pas d’ailleurs la peur elle-même qui rend finalement nécessaire l’apocalypse ?

Jeff Nichols est talentueux, son film est fascinant bien qu’un peu long par moments. Pourtant, cette fascination semble tourner simplement sur elle-même. Malgré sa beauté formelle, malgré l’angoisse qu’il distille, Take Shelter laisse un goût d’inachevé. La fin du film fait peser une lourde ambiguïté sur l’histoire et sur le propos, et la tension accumulée, répétée, accentuée à l’excès, nous apparaît un peu vaine.

On ne sait pas où mène Take Shelter, on se demande en définitive s’il reste autre chose après la projection que ce cri éponyme, cette angoisse brute nourrie de rien, nourrie de toute l’incertitude dont est faite le monde. Un presque beau film.

Note : 6/10

Take Shelter
Un film de Jeff Nichols avec Michael Shannon, Jessica Chastain et Tova Stewart
Drame – USA – 2h00 – Sorti le 4 janvier 2012
Grand Prix, Prix SACD et Prix FIPRESCI à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2011

Une nuit

Un film policier français. Un inconnu (Philippe Lefebvre, dernier film de cinéma sorti en 1985) à la réalisation. Roschdy Zem et Samuel Le Bihan devant la caméra. Une nuit promettait d’être un échec. Pourtant, tout fonctionne.  Une nuit est un film admirable, nerveux, épais. C’est simplement l’une des plus belles surprises de 2012.

Synopsis : Paris. Simon Weiss, commandant à la Mondaine, entreprend, comme chaque soir, sa tournée des établissements de nuit. Pourtant, cette nuit-là, quelqu’un cherche à le piéger.

Une nuit

Une nuit est un film surprenant. Un polar noir, âpre, tendu, d’une densité étonnante. Le Paris nocturne est un très beau personnage, la vie des clubs et boites à strip est filmée avec un réalisme captivant et une maestria enthousiasmante. Le spectateur, caché derrière ce flic de la Brigade Mondaine, découvre un univers qu’il soupçonne mal.

Le scénario tient très bien la route, l’intrigue est singulière, construite de rencontres excitantes, Roschdy Zem campe un personnage complexe, inquiétant et attachant, dont on ne sait jamais très bien si on approuve sa conduite ou si on la condamne. L’ambiguïté morale est l’enjeu majeur du film, qu’elle concerne Simon Weiss ou la vie nocturne dans son ensemble. Entre incertitudes et danger palpable, le spectateur est balloté dans ce paysage inhabituel. Un plaisir inattendu et intelligent.

Note : 8/10

Une nuit
Un film de Philippe Lefebvre avec Roschdy Zem, Sara Forestier et Samuel Le Bihan
Policier – France – 1h40 – Sorti le 4 janvier 2012

L’Ordre et la morale

La prise d’otages de 1988 à Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, n’est pas un événement très connu de ceux qui étaient encore trop jeunes à l’époque pour suivre l’actualité. Mathieu Kassovitz avait 20 ans. Il revient sur ce sombre épisode de notre histoire contemporaine avec un talent dont on ne le savait plus capable : c’est rythmé, percutant et profondément intéressant.

Synopsis : Avril 1988, Île d’Ouvéa, Nouvelle-Calédonie. 30 gendarmes retenus en otage par un groupe d’indépendantistes Kanak. 300 militaires envoyés depuis la France pour rétablir l’ordre. Et Philippe Legorjus, capitaine du GIGN, seul pour essayer de faire triompher le dialogue…

L'Ordre et la morale

Etonnant. Depuis son chef d’oeuvre, La Haine, Mathieu Kassovitz n’avait plus jamais réussi un seul bon film. 15 ans plus tard, le réalisateur revient au cinéma subjectif et engagé. L’Ordre et la morale est un film intense, intelligent, parfois suffoquant.

Les scènes d’action sont haletantes, les dilemmes moraux sont passionnants de simplicité dans leur énoncé et de complexité dans les choix qu’ils amènent. Que peuvent faire l’engagement d’un individu, la confiance entre deux hommes, face à l’ampleur des enjeux politiques nationaux ou internationaux? Que peut le dialogue dans certaines situations inextricables où l’utilisation de la force est tellement plus simple et naturelle à l’homme?

Que peuvent les discours quand ils se heurtent à la réalité? L’Ordre et la morale aurait pu être un blockbuster manichéen de plus, mais les interrogations éthiques et politiques foisonnent et la réalisation nous colle au corps. Une belle surprise.

Note : 7/10

L’Ordre et la morale
Un film de Mathieu Kassovitz avec Mathieu Kassovitz, Iabe Lapacas et Malik Zidi
Drame, Historique – France – 2h16 – Sorti le 16 novembre 2011

Balada Triste

15 nominations aux Goyas, 2 prix à la Mostra de Venise, Balada Triste n’est pas passé inaperçu. Le cinéma de Alex de la Iglesia grossit les traits jusqu’à déformer les situations et hypertrophier les personnages. Poussé à l’extrême, ce cinéma donne Balada Triste.

Synopsis : Sous la dictature de Franco, Javier, fils d’un clown mort au champ de bataille, devient le clown triste d’un cirque peuplé de personnages invraisemblables et marginaux. Il y tombe immédiatement amoureux de Natalia, une acrobate dont est déjà épris Sergio.

On est parfois éblouis, parfois agacés, on hésite entre grandiose et boursouflure. Balada triste est un film gigantesque, grand-guignolesque, déraisonnablement ambitieux, dégoulinant d’emphase. Un monstre difforme et merveilleux. La réalisation baroque de Alex de la Iglesia est parfois carrément pachydermique mais le souffle narratif finit par emporter le morceau dans un raz-de-marée de douleurs individuelles et nationale.

Il est si rare qu’un tel pari soit tenté, et si surprenant que le résultat trouve malgré tout sa cohérence, qu’on finit par se laisser convaincre, admiratifs devant tant de pur cinéma, écrasés aussi par ce film-rouleau compresseur. La force vitale de Balada Triste est déchirante. Rarement un film aura tant hurlé la détresse et la beauté qui l’animent.

Note : 6/10

Balada Triste (titre original : Balada triste de trompeta)
Un film de Alex de la Iglesia avec Carlos Areces, Antonio de la Torre et Carolina Bang
Drame – Espagne, France – 1h47 – Sorti le 22 juin 2011
Lion d’argent du meilleur réalisateur et Prix Osella pour le meilleur scénario au Festival de Venise 2010

Contagion

En pleine boulimie créative, Steven Soderbergh livre 3 films coup sur coup : Contagion, Piégée et Magic Mike. Le premier, avec un casting digne d’Ocean’s Eleven et un pitch de blockbuster, déjoue toutes les attentes : il s’agit d’un film ingrat, peu aimable. C’est pourtant là que se trouve sa singularité.

Synopsis : L’histoire d’une pandémie dévastatrice qui explose à l’échelle du globe…

Contagion est un film-mystère. Visiblement, Soderbergh survole ses personnages et leurs situations particulières. Son propos semble être ailleurs, dans le grand tout dont il se fait l’observateur minutieux. Oui, mais que veut-il nous dire?

Certains y verront un pamphlet pour l’hygiène (pourtant, ici comme ailleurs, seul le hasard décide, on ne peut compter que sur la chance et l’isolation, programme peu réjouissant), d’autres pourront s’amuser de voir que le danger vient d’Asie. Les occidentaux sont en péril, victimes d’une mondialisation qui globalise tous les maux.

Mais ces sujets intéressent peu le cinéaste. Le film devrait être un récit apocalyptique digne de 28 jours plus tard. Pourtant, le blockbuster n’en est pas un. Et si tout simplement Soderbergh maitrîsait mieux que personne l’art du contrepied? Avec un casting et un budget dignes d’Ocean’s Eleven, le réalisateur de Solaris et de Bubble livre le film qu’on n’attend pas. Il passe consciemment à côté de la tragédie annoncée pour étudier froidement les mécanismes scientifiques, politiques et humains liés à une pandémie.

C’est cette manière de présenter des faits et rien que des faits qui donne paradoxalement sa valeur à Contagion. Le scénario, à force de multiplier les points de vue et d’éviter soigneusement de trop s’attacher aux histoires personnelles, ne permet aucune narration captivante. La surprise du film, c’est qu’il n’y aura pas de surprise. Soderbergh veut raconter le réel, il s’efface derrière son sujet et se transforme en reporter. Contagion est un film d’investigation. Finalement, la question cruciale n’est pas « où ça va? » mais « d’où ça vient? ». Contagion est un film en trompe-l’oeil, qui n’a de cesse de passer pour ce qu’il n’est pas.

Ce qu’il est, voilà exactement ce qui continue de nous interroger une fois le déroulé du film terminé. Contagion est une oeuvre qui nous demande de l’interroger. Pourquoi ce film? Qu’est-ce que cet objet, plus théorique que saisissant?

Si jamais Contagion doit donner quelque chose à penser en dehors de son propre statut, alors il ne s’agit sans doute ni d’hygiène, ni de politique. Cela est affaire de contexte. Non, il s’agit de fragilité. D’une humanité pleine de certitudes, d’organisations, de mécanismes, de procédures, de protections. Et d’une humanité qui pourtant n’est rien d’autre qu’une ligne incertaine dans le cours du temps. Pas moins vulnérable que ne l’étaient les dinosaures.

Quand on y réfléchit bien, Contagion est peut-être bien plus inquiétant qu’un film de Romero. Contagion ne fait pas appel à nos peurs irrationnelles d’enfants. Contagion est certes un film catastrophe sans âme. Mais la catastrophe n’en est que plus pure. Contagion ne romance pas, il parle de logique, de réalité, d’actualité. Un virus comme la grippe aviaire est d’autant plus terrifiant qu’on s’en est sortis. Car entre la réalité et les zombies, il y a un abîme. Mais entre un vrai virus qu’on arrive à maîtriser et ce même virus qui nous anéantit, il n’y a qu’une légère différence de scénario. Un petit concours de circonstances qui pourrait faire basculer la réalité toute entière dans l’oubli. Contagion parle de ça, de cette mécanique qui peut nous sauver, la plupart du temps, ou un jour nous être fatale.

Note : 5/10

Contagion
Un film de Steven Soderbergh avec Marion Cotillard, Matt Damon, Laurence Fishburne, Jude Law, Kate Winslet, Bryan Cranston, Jennifer Ehle et Gwyneth Paltrow
Drame – USA – 1h46 – Sorti le 9 novembre 2011