Archives Mensuelles: septembre 2011

Et maintenant on va où ?

Grande réussite de comédie et de tragédie entremêlées, le second film de Nadine Labaki livre malheureusement un propos au mieux maladroit, au pire scandaleux. Si la réalisatrice renvoie dos à dos les différentes religions et appelle de ses vœux la paix entre les peuples, elle nous montre ici son véritable ennemi : la gent masculine.

Synopsis : Au Liban, un village isolé, cerné par des mines. les femmes chrétiennes et musulmanes complotent pour empêcher les hommes de se battre. Jusqu’au jour où un drame surgit…

Et maintenant on va où ? - critiqueA mi-chemin entre la fable universelle et le naturalisme cru des guerres de religion, Et maintenant on va où ? trouve un équilibre juste et plaisant. Si certains effets n’étaient pas forcément utiles pour appuyer la poésie de l’histoire (les parties chantées notamment), on ne peut pas nier le talent de Nadine Labaki pour passer de situations burlesques hilarantes à des moments d’inquiétude et d’intense émotion.

La troupe d’acteurs est excellente, les gags désamorcent la tragédie sans jamais lui enlever de sa gravité. On ressent beaucoup d’authenticité dans les dialogues, dans les péripéties parfois drôles, parfois dramatiques, le film capte avec subtilité la proximité menaçante qui existe entre les blagues potaches et la rancune tenace, entre la camaraderie et l’hostilité franche. Une simple broutille peut alors transformer les moindres enfantillages en lutte armée, l’amertume n’est jamais loin, toujours prête à ressortir, décuplée, sous le visage de la haine. Le film illustre avec intelligence le processus de l’escalade : un détail insignifiant fait passer les hommes des chamailleries de la cour de récréation aux meurtres les plus abominables. La paix est un équilibre toujours précaire.

Pourtant, le propos, sous ses airs d’évidence, laisse un malaise désagréable.
Premièrement, parce que pendant la grande majorité du film, la seule solution envisagée contre la guerre est de distraire les belligérants, d’abord en leur cachant les informations importantes sur le monde qui les entoure, ensuite en les trompant, enfin en essayant de leur changer les idées, grâce au sexe et à la drogue notamment. C’est-à-dire, éviter la guerre en utilisant l’ignorance, le mensonge, la bêtise, l’insouciance, les plaisirs égoïstes, voire même la force. Ces méthodes naïves sont forcément inefficaces dans le temps et, pire, dangereuses. Heureusement, le film, devant l’échec de ces manœuvres grossières, propose finalement une solution aussi absurde que poétique.

Deuxièmement, et c’est ça le plus grave, parce qu’ici, sortir d’une opposition (chrétiens/musulmans) suppose en exacerber une autre (homme/femme). A tel point qu’on peut se demander si Et maintenant on va où ? n’est pas d’abord un film féministe avant d’être un film contre les conflits interreligieux. On est sûr en tout cas que remplacer la guerre des peuples par celle des sexes est une énorme idiotie qui fait perdre toute crédibilité au propos. Mis à part le prêtre et l’imam, les hommes du film sont tous puérils, violents, idiots, ridicules et dangereux. On est indigné de voir qu’il serait toujours nécessaire, pour apaiser un conflit, de trouver d’autres clivages, d’autres cibles contre lesquelles se battre.

Malgré son charme indiscutable et cette fin d’une intelligence bien plus complexe qu’elle n’y parait d’abord, on reste très sceptique devant ce portrait finalement manichéen (c’est un comble!) d’une société où la sagesse est systématiquement le propre de la femme et la bêtise celui de l’homme.

Note : 5/10

Et maintenant on va où?
Un film de Nadine Labaki avec Nadine Labaki, Claude Msawbaa, Leyla Fouad
Comédie dramatique – France – 1h50 – Sorti le 14 septembre 2011

Restless

Il ne veut plus vivre. Elle va mourir. Ils tombent amoureux. Cette histoire devrait être tragique et passionnante, elle est plutôt fade et impersonnelle. La faute à un scénario cousu de fil blanc, à des personnages convenus, à des situations rebattues. On n’est pas si surpris quand on apprend que Ron Howard est à la production. Mais on est très déçus.

Synopsis : Enoch passe son temps dans les enterrements d’inconnus depuis la mort tragique de ses parents. Un jour, il y rencontre Annabel, atteinte d’un cancer incurable.

Restless- critiqueRestless est une sorte de remake sucré et normalisé de Harold et Maude. Là où le chef d’oeuvre de Hal Ashby bouleversait tous les codes moraux habituels, Restless s’inscrit au contraire parfaitement dans les lieux communs du cinéma romantique. Invoquant parfois Garden State quand Enoch, déprimé, rencontre Annabel, naïve et lumineuse, parfois La Balade sauvage quand les deux futurs amoureux discutent sur une musique mystique et légère qui rappelle forcément celle du premier film de Terrence Malick, Gus Van Sant montre avec ostentation qu’il veut faire de son film une romance pure et déchirante.

Mais un peu à la manière de Beginners, les bonnes intentions ne suffisent pas. Elles semblent mal dissimulées derrières l’enchaînement maladroit des séquences. A force de traquer artificiellement la magie de chaque instant, la caméra aplatit l’histoire d’amour et c’est la banalité qui surgit, sosie triste de la passion qu’on n’a pas su saisir.

On ne peut que regretter que le film accumule ainsi les stéréotypes du cinéma indépendant tant son sujet est intéressant. Car à l’opposé des histoires d’amour éternel, Restless nous propose l’amour fulgurant, l’amour court, l’amour qui ne peut que se terminer dans quelques mois, dans quelques jours. Les plus belles histoires d’amour ne sont pas nécessairement les plus longues, ici l’amour est forcément éphémère, avant même que l’histoire ne commence on sait qu’elle ne pourra pas durer. La romance n’existe même que par sa fugacité, c’est ce qui la définit et lui donne son intensité. Comme un amour de vacances, sauf que dans Restless, la fin des vacances, c’est la mort.

Gus Van Sant propose une histoire essentiellement tragique mais veut la rendre heureuse malgré ça, grâce à ça. Il aurait fallu éviter consciencieusement de céder à toutes les facilités du genre. Ici, tout est attendu et décevant. Les énervements d’Enoch sont factices, la douceur lunaire d’Annabel est convenue, leurs drames familiaux sont conventionnels. Et le fantôme japonais qui accompagne Enoch n’apporte jamais à l’histoire le mystère ou la profondeur qui lui manquent. Au contraire, il distille une émotion bon marché et une touche d’optimisme malvenue, comme pour s’excuser d’un scénario si déprimant.

La trivialité de la dernière séquence finit de démontrer le manque d’inspiration et d’imagination de Restless. Gus Van Sant utilise alors l’éternel procédé des flashbacks qui nous rappellent tout ce qui a existé et qui n’existera plus jamais. Comme si ce n’était pas suffisant, il accompagne ce poncif de la voix de Nico, qui nous ferait éclater en sanglots à elle toute seule. Sentant qu’on veut le forcer à pleurer, le spectateur se retient par défi. Il ne faut pas confondre l’émotion et l’épluchage d’oignons.
Restless
est un bon sujet fort mal traité. Gus Van Sant nous livre peut-être son plus mauvais film.

Note : 2/10

Restless
Un film de Gus Van Sant avec Henry Hopper, Mia Wasikowska et Ryo Kase
Drame, Romance – USA – 1h35 – Sorti le 21 septembre 2011

Jewish Connection

Apparemment, orthodoxie religieuse et trafic de drogue ne font pas bon ménage. C’est justement parce que cela était hautement improbable que des trafiquants utilisèrent des juifs hassidiques comme mules. Jewish Connection raconte sagement cette histoire mais n’arrive à rendre intrigants ni les dangers de la criminalité, ni le quotidien des juifs orthodoxes.

Synopsis : Sam Gold, juif orthodoxe de 20 ans, refuse la voie stricte et balisée que sa famille lui a déjà tracée. Recruté par son voisin, il se retrouve embarqué dans un énorme trafic d’ecstasy.

Jewish connection - critiqueJewish Connection est un film qui a bien du mal à dépasser son script et à donner un véritable intérêt à son histoire. Certes, Kevin Asch ne tombe pas dans le piège des réponses toutes faites (la drogue c’est mal, la vie dissolue, c’est pas cool, la religion c’est le droit chemin ou au contraire, la religion, c’est horrible). Le principal point fort de Jewish Connection, c’est de donner à voir l’enfermement que peut ressentir un adolescent au sein d’une communauté hassidique sans pour autant dénigrer les juifs orthodoxes.

L’émancipation, aussi violente que le sont les contraintes religieuses, fait passer Sam d’un extrême à l’autre, de la pureté immobile au trafic d’ecstasy.

Pourtant, l’aspect documentaire du film reste en surface et l’immersion dans le milieu hassidique new yorkais n’est pas assez poussée. Quant au film de mafia, il n’a rien pour lui : très classique, il ne va pas plus loin que le paradoxe apparent religion/banditisme.

Jewish Connection se suit bien mais reste plat. Kevin Asch ne fait pas assez de choix : il laisse son film traîner dans un ventre mou pas très motivant. Avec un tel pitch, c’est bien dommage!

Note : 1/10

Jewish Connection (titre original : Holy rollers)
Un film de Kevin Asch avec Jesse Eisenberg, Justin Bartha et Ari Graynor
Thriller – USA – 1h29 – Sorti le 16 février 2011

Présumé coupable

L’affaire d’Outreau est sans doute l’une des plus grandes erreurs judiciaires de ces dernières années. Présumé coupable s’intéresse au destin individuel de l’une des victimes, l’huissier Alain Marécaux. Vincent Garenq filme la descente aux enfers d’un homme démoli par une justice absurde et indifférente. Un cinéma authentique et glaçant.

Synopsis : Le film raconte le calvaire d’Alain Marécaux – « l’huissier » de l’affaire d’Outreau – arrêté en 2001 pour d’horribles actes de pédophilies qu’ils n’a jamais commis.

Présumé coupable - critiqueAprès l’affaire Omar Raddad, l’affaire d’Outreau. Cette année, le cinéma français s’intéresse tout particulièrement aux grands drames judiciaires récents, lorsque la justice n’est pas capable de reconnaitre un innocent. Les deux films, Omar m’a tuer et Présumé coupable, décident de suivre la victime du système judiciaire depuis son arrestation (à laquelle elle ne comprend rien) jusqu’aux procès pour laver son honneur et reconnaître son innocence, en passant par toute la souffrance qu’elle endure entre les deux.

Disons-le clairement : la comparaison entre les deux films permet tout simplement de différencier le téléfilm à message poussif du vrai film de cinéma, qui élève son propos au niveau d’une tragédie humaine effroyable. Présumé coupable est la véritable oeuvre d’un auteur qui capte, à travers ce drame récent, la souffrance d’un individu broyé par une machine collective aveugle. Les rouages peuvent parfois s’emballer, la justice devenir folle. Tout système collectif présente le danger de devenir incontrôlable, prisonnier d’une mécanique bien pensée qui fonctionne 99 fois sur 100 et qui devient terrible quand elle ne fonctionne pas.

La caméra à l’épaule, l’absence de musique, le choix de suivre les faits et rien que les faits sans apporter aucun élément de fiction inscrivent Présumé coupable dans le cinéma-vérité. En ne se focalisant que sur le destin d’Alain Marécaux et en passant volontairement à côté de l’ensemble de l’affaire et des douze autre prévenus, Vincent Garenq fait le choix d’approcher au plus près du réel le destin d’un seul homme et d’en faire un cas universel.

Philippe Torreton donne à son personnage une épaisseur surprenante, son drame devient tout aussi singulier qu’il prête facilement à l’identification, ses réactions sont les siennes et pourtant elles trouvent en nous un écho déchirant. Ici, pas d’histoire de racisme, de victime idéale, de non-maîtrise de la langue ou d’insuffisance culturelle comme dans le cas d’Omar. Alain Marécaux est un homme exactement comme tous les autres, plutôt plus protégé que tous les autres même, puisqu’il mène une vie de famille assez confortable et exerce un métier bien respectable. Il ne peut pas imaginer de quoi on l’accuse et l’affaire à laquelle il est mêlée lui tombe dessus d’absolument nulle part. Il ne s’agit pas d’un crime classique avec meurtre, faux coupable et bouc-émissaire. L’affaire est sordide, les accusations sont surréalistes et les preuves sont absentes. Mais Marécaux se heurte à un système judiciaire froid et sûr de lui, déshumanisé, une machinerie sans état d’âme, sans scrupule, même sans préjugé. Il n’y a même pas la volonté d’accuser quelqu’un, simplement celle de suivre une procédure en oubliant tout jugement humain, à l’image de ce juge Burgaud qui exerce son métier comme il ferait une tâche ménagère, impassible, étranger à tout sens des réalités humaines qui se cachent derrière l’accusation. Le visage glacé et distant d’une société mécanisée qui traite les êtres humains avec indifférence, plus sensible aux quotas et aux statistiques qu’aux réalités individuelles.

Certes, Présumé coupable se fait chronique judiciaire et par là reste prisonnier de l’histoire qu’il raconte. Le film se construit alors de nombreux passages obligés, interrogatoires, arrivée dans une cellule hostile, larmes échangées au parloir, procès. Jamais le spectateur n’est surpris ou transcendé par le récit. Mais il est indiscutablement touché. Car Vincent Garenq dessine l’opposition fondamentale qui existe entre l’individu et la société. Entre soi et les autres. Alain Marécaux est seul. Présumé coupable est un film terrifiant car il raconte l’impuissance totale de l’individu quand un appareil collectif absurde décide de l’écraser.

Note : 6/10

Présumé coupable
Un film de Vincent Garenq avec Philippe Torreton, Wladimir Yordanoff et Noémie Lvovsky
Drame – France – 1h42 – Sorti le 7 septembre 2011

True Grit

Nominé 10 fois aux Oscars 2011 mais reparti bredouille, True Grit est le premier vrai western des frères Coen. On pourrait facilement passer à côté de l’originalité de ce récit classique à bien des points de vue. Si le ton cultive un léger décalage, c’est surtout l’insignifiance de l’aventure qui donne sa singularité au film : le temps qui passe finit par tout écraser, inévitablement.

Synopsis : Mattie Ross, 14 ans, réclame justice pour la mort de son père, abattu de sang-froid par le lâche Tom Chaney. Elle engage pour le retrouver un U.S. Marshal alcoolique.

True Grit - critiqueSi No Country for old men avait l’ambiance et les paysages d’un western, il n’en était pas un, l’histoire était parfaitement contemporaine, les chevaux et les colts ne faisaient pas partie de la mythologie de ce film et surtout, il n’y avait pas de territoires inexplorés dans lesquels se cacher, se chercher, se perdre et se battre.

True Grit, au contraire, est un vrai western. Il en respecte la plupart des codes, le scénario n’a rien d’ambitieux. On reconnait pourtant ici et là la touche des frères Coen, notamment dans l’humour un peu noir qui donne au film une allure légèrement décalée. Et cela grâce à des personnages bien croqués, surtout Rooster Cogburn, la version western du grand Lebowski, interprété par un Jeff Bridges en grande forme, racontant les grands chapitres de sa vie à une enfant de 14 ans bien peu intéressée. On s’amuse bien, l’histoire est fort plaisante, on rit même parfois à gorge déployée et cela n’entrave jamais le sérieux du film, son côté western classique.

Les frères Coen ressuscitent le western mais abordent le genre avec trop de respect et livrent ainsi l’un de leurs films les moins originaux. On aurait aimé un méchant un peu plus complexe, Josh Brolin avait le talent pour faire mieux qu’un brigand pleurnichard, sans principe et sans épaisseur.

Depuis No country for old men, en passant par Burn after reading et bien sûr A Serious Man, les frères Coen nous ont montré dans tous leurs films qu’ils maîtrisaient mieux que quiconque aujourd’hui l’art des ellipses fulgurantes et que celles-ci avaient acquis, dans leur manière de raconter les histoires, une très grande importance narrative en même temps que métaphysique.

C’est encore une fois le cas ici. La plus belle idée du film, c’est de faire de toute cette histoire quelque chose d’anecdotique et même peut-être d’inutile : Cogburn a sauvé la petite Mattie, mais la vie de celle-ci semble aussi triste qu’austère. Leur aventure ne leur aura même pas permis de mieux se connaître ou de se revoir. LaBoeuf disparaîtra lui aussi comme il était apparu. Et le meurtre de Tom Chaney n’aura rien aidé. Les héros courent après des chimères, donnent un sens à leurs actes puis continuent leur vie, morne, anecdotique. Et cette histoire sans enjeu, c’est pourtant celle de toute leur vie : Mattie la raconte comme le point d’orgue de son aventure existentielle.

Le temps passe bien trop vite et on n’arrive vraiment pas à lui donner un sens, à le remplir de quelque chose de sensé. C’est sur cette réflexion que se termine True Grit. Trente années disparaissent dans le trou béant qu’on devine exister entre deux plans, et trente autres dans la minute qui suit. Toute l’oeuvre des frères Coen est traversée par la futilité de l’existence. Depuis quatre films, les vies entières sont dérisoires, Joel et Ethan Coen façonnent des héros qui se donnent bien du mal pour finalement pas grand chose : ce qu’ils essaient d’atteindre ne vaut même pas la peine d’être montré à l’écran. La vie de Mattie et celle de Cogburn seront d’une platitude désespérantes. Si bien que le spectateur voit son entrain disparaître : et si toute cette aventure, tout cet enthousiasme, n’avaient servi à rien?

Note : 6/10

True Grit
Un film de Joel et Ethan Coen avec Hailee Steinfeld, Jeff Bridges, Matt Damon et Josh Brolin
Western – USA – 1h50 – Sorti le 23 février 2011
BAFTA 2011 de la meilleure photographie