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Ma vie avec Liberace – critique cannoise
Suite du tour d’horizon du Festival de Cannes 2013. Le dernier film de Soderbergh, réalisateur révélé sur la croisette en 1989 avec la Palme d’or de Sexe, Mensonges et Vidéo, est un biopic assez classique qui raconte l’histoire d’amour très déséquilibrée entre le phénomène Liberace et le jeune Scott Thorson. Les acteurs sont convaincants mais le film manque d’ampleur.
Synopsis : Liberace, pianiste virtuose et exubérant, star des plateaux télé, aimait la démesure. En 1977, malgré la différence d’âge et de milieu social, il entame une liaison avec le jeune Scott.
Soderbergh enchaîne les films à un rythme qui donne le tournis, annonçant régulièrement sa retraite alors que Ma vie avec Liberace est son 5ème film à sortir en un an et demi.
Les héros de ses derniers films sont toujours aux prises avec un phénomène qui les dépasse, qu’il soit naturel (un virus dans Contagion, l’effet de médicaments dans Effets secondaires) ou créé par l’homme (une machination, encore dans Effets secondaires, les services secrets dans Piégée ou la gloire dans Magic Mike).
Ici, Scott entre dans le monde très fermé d’un artiste richissime, Liberace, un homme ultra-possessif qui aime tout contrôler, tout diriger, modifier les choses et les êtres pour qu’ils soient le plus fidèle possible à son image. Liberace transforme tout ce qui l’entoure en une émanation de lui-même, et Scott va devoir peu à peu se plier aux désirs de son employeur/mentor, progressivement piégé, contaminé, terrassé par les effets secondaires d’un amour en forme d’égocentrisme dévastateur.
Mais Scott nous fait surtout penser à Mike le stripteaseur, embarqué dans un rêve impossible de réussite et de reconnaissance, pensant pouvoir garder le contrôle, croyant être maître de la situation et se rendant compte peu à peu que les rênes lui échappent, qu’il n’est qu’un pion dans un échiquier qui existait avant lui, qui existera après lui, qui n’a pas besoin de lui pour perdurer.
Décidément obsédé depuis 2 ans par la perte de contrôle, Soderbergh traite pour la première fois ce thème sous l’angle de l’histoire d’amour. A quel point l’amour de l’autre se nourrit-il et se détruit-il de l’amour de soi? Aimer n’est-ce pas aussi se reconnaître dans l’être aimé, n’est-ce pas aussi voir l’être aimé en soi? N’est-ce pas brouiller ce rapport à l’autre et à soi en une même interrogation identitaire?
Scott aime-t-il Liberace pour lui-même ou pour tout ce qu’il est capable de lui apporter? L’histoire est certes un peu simple et linéaire, mais elle pose des questions vertigineuses sur les motivations des personnages, sur leur part de sincérité et de manipulation.
Steven Soderbergh ne trouve toujours pas la recette pour nous enthousiasmer vraiment, mais il livre un nouveau film honnête et intéressant. Il ne manquerait qu’un zeste d’originalité et d’émotion pour que la performance remarquable de Michael Douglas soit plus qu’une simple performance.
En l’état, l’histoire d’amour homosexuelle de Soderbergh est vite éclipsée par le chef d’œuvre du Festival de Cannes, le dernier film d’Abdellatif Kechiche.
Note : 5/10
Ma vie avec Liberace (titre original : Behind the Candelabra)
Un film de Steven Soderbergh avec Michael Douglas, Matt Damon et Dan Aykroyd
Drame, Biopic – USA – 1h58 – Sortie le 18 septembre 2013
Effets secondaires
Après Contagion, Soderbergh semble décidément s’intéresser aux dangers sanitaires bien qu’ici, il lorgne plutôt du côté de Hitchcock et de son obsession du faux coupable. Intrigant, surprenant puis décevant, le film explore encore l’angoisse qui structure l’œuvre récente du cinéaste : le manque de maîtrise qu’on a sur notre vie, qui peut à tout moment nous échapper.
Synopsis : Jon Banks est un psychiatre ambitieux. Quand Emilie, une jeune femme, le consulte pour dépression, il lui prescrit un nouveau médicament. Sans s’inquiéter des effets secondaires…
Mieux vaut voir le film sans rien en savoir. Alors, on se laisse embarquer dans une affaire rocambolesque qui nous tient constamment en haleine. Le thriller n’hésite pas à changer de tête en cours de route. D’abord sombre et inquiétant (à la limite du fantastique), Effets secondaires se transforme peu à peu en un film policier complexe dans lequel la manipulation joue un rôle majeur.
Alors que les rebondissements du scénario se multiplient, on est d’abord surpris, enthousiasmés, puis un peu sceptiques devant cette histoire qui finit par manquer de crédibilité sur certains points. Si le début de l’intrigue est franchement captivant, la suite est moins réussie : le casse-tête est plutôt habile mais le réalisateur finit par en faire trop. Et l’argument de départ, sur le pouvoir de ces fameuses pilules et le brouillard autour de la notion de responsabilité, se dilue peu à peu pour que les questions passionnantes qui étaient soulevées se révèlent être un leurre. Il ne reste alors que des considérations plus évidentes sur les côtés sombres de la nature humaine.
Un temps proche de La Chasse, quand Jon Banks, piégé, doit affronter l’irrationalité de la vindicte populaire, Effets secondaires suit brièvement le chemin de la paranoïa avant de rappeler beaucoup le Passion de De Palma, sorti quelques semaines auparavant.
On doit reconnaître à Soderbergh que son film, plus sobre et plus maîtrisé, est aussi beaucoup moins bancal. Et que son scénario est beaucoup plus astucieux. Il n’en reste pas moins que l’aspect sensuel de l’affaire est clairement de trop. Et que le réalisateur se fourvoie dans une fin improbable et insatisfaisante. Les dernières manipulations de Jon Banks réussissent trop facilement et plongent le film dans la série B.
Comme dans Contagion, comme dans Magic Mike, comme dans Piégée, Soderbergh orchestre un happy end inattendu. Parfois, ce genre de dénouement peut donner au film une dimension supplémentaire, ici il n’en fait qu’un objet fermé, fini, révolu. Le script affichait d’abord des ambitions intéressantes, il se termine en une aventure anecdotique, une sorte de curieuse leçon de vie où la morale est sauve.
Pourtant, comme dans ses trois films précédents, Steven Soderbergh s’intéresse encore une fois à un personnage soumis à une mécanique qui le dépasse. Et comme dans ces films, et dans un genre cinématographique encore différent (le thriller après le film catastrophe, la romance et le film d’action), le héros arrive finalement à décrypter la mécanique qui lui est imposée et à s’en extraire.
Les films de Soderbergh s’enchaînent, apparemment très différents les uns des autres, alors qu’ils ne sont finalement que des variations de la même oeuvre. Comme s’il s’agissait pour le réalisateur américain d’épuiser un même motif qui l’obsède et qui s’impose à son travail, lui qui semble se contraindre à fabriquer à la chaîne des films qui répondent toujours à la même mécanique d’ensemble.
C’est ce qui rend ses derniers projets à la fois anodins (on sent qu’ils ont été réalisés presque machinalement) et fascinants : derrière la mécanique de ces films trop maitrisés se cache toujours la détresse de ne pas pouvoir tout contrôler. Un virus, un complot, une pilule, un mensonge, autant de façons d’être impuissant, autant de moyens d’utiliser l’autre, de le manipuler.
Alors, si les héros de Soderbergh arrivent toujours à reprendre le contrôle, ce n’est sans doute pas étranger au fait que ses films soient si calibrés. Et si le réalisateur ne cesse d’annoncer sa retraite, c’est probablement qu’il aimerait lui aussi, comme ses personnages, se libérer de cette mécanique souveraine qu’il s’est imposée et qu’il ne maîtrise plus.
Note : 5/10
Effets secondaires (titre original : Side Effects)
Un film de Steven Soderbergh avec Rooney Mara, Jude Law, Catherine Zeta-Jones, Channing Tatum et Vinessa Shaw
Thriller – USA – 1h46 – Sorti le 3 avril 2013
Contagion
En pleine boulimie créative, Steven Soderbergh livre 3 films coup sur coup : Contagion, Piégée et Magic Mike. Le premier, avec un casting digne d’Ocean’s Eleven et un pitch de blockbuster, déjoue toutes les attentes : il s’agit d’un film ingrat, peu aimable. C’est pourtant là que se trouve sa singularité.
Synopsis : L’histoire d’une pandémie dévastatrice qui explose à l’échelle du globe…
Contagion est un film-mystère. Visiblement, Soderbergh survole ses personnages et leurs situations particulières. Son propos semble être ailleurs, dans le grand tout dont il se fait l’observateur minutieux. Oui, mais que veut-il nous dire?
Certains y verront un pamphlet pour l’hygiène (pourtant, ici comme ailleurs, seul le hasard décide, on ne peut compter que sur la chance et l’isolation, programme peu réjouissant), d’autres pourront s’amuser de voir que le danger vient d’Asie. Les occidentaux sont en péril, victimes d’une mondialisation qui globalise tous les maux.
Mais ces sujets intéressent peu le cinéaste. Le film devrait être un récit apocalyptique digne de 28 jours plus tard. Pourtant, le blockbuster n’en est pas un. Et si tout simplement Soderbergh maitrîsait mieux que personne l’art du contrepied? Avec un casting et un budget dignes d’Ocean’s Eleven, le réalisateur de Solaris et de Bubble livre le film qu’on n’attend pas. Il passe consciemment à côté de la tragédie annoncée pour étudier froidement les mécanismes scientifiques, politiques et humains liés à une pandémie.
C’est cette manière de présenter des faits et rien que des faits qui donne paradoxalement sa valeur à Contagion. Le scénario, à force de multiplier les points de vue et d’éviter soigneusement de trop s’attacher aux histoires personnelles, ne permet aucune narration captivante. La surprise du film, c’est qu’il n’y aura pas de surprise. Soderbergh veut raconter le réel, il s’efface derrière son sujet et se transforme en reporter. Contagion est un film d’investigation. Finalement, la question cruciale n’est pas « où ça va? » mais « d’où ça vient? ». Contagion est un film en trompe-l’oeil, qui n’a de cesse de passer pour ce qu’il n’est pas.
Ce qu’il est, voilà exactement ce qui continue de nous interroger une fois le déroulé du film terminé. Contagion est une oeuvre qui nous demande de l’interroger. Pourquoi ce film? Qu’est-ce que cet objet, plus théorique que saisissant?
Si jamais Contagion doit donner quelque chose à penser en dehors de son propre statut, alors il ne s’agit sans doute ni d’hygiène, ni de politique. Cela est affaire de contexte. Non, il s’agit de fragilité. D’une humanité pleine de certitudes, d’organisations, de mécanismes, de procédures, de protections. Et d’une humanité qui pourtant n’est rien d’autre qu’une ligne incertaine dans le cours du temps. Pas moins vulnérable que ne l’étaient les dinosaures.
Quand on y réfléchit bien, Contagion est peut-être bien plus inquiétant qu’un film de Romero. Contagion ne fait pas appel à nos peurs irrationnelles d’enfants. Contagion est certes un film catastrophe sans âme. Mais la catastrophe n’en est que plus pure. Contagion ne romance pas, il parle de logique, de réalité, d’actualité. Un virus comme la grippe aviaire est d’autant plus terrifiant qu’on s’en est sortis. Car entre la réalité et les zombies, il y a un abîme. Mais entre un vrai virus qu’on arrive à maîtriser et ce même virus qui nous anéantit, il n’y a qu’une légère différence de scénario. Un petit concours de circonstances qui pourrait faire basculer la réalité toute entière dans l’oubli. Contagion parle de ça, de cette mécanique qui peut nous sauver, la plupart du temps, ou un jour nous être fatale.
Note : 5/10
Contagion
Un film de Steven Soderbergh avec Marion Cotillard, Matt Damon, Laurence Fishburne, Jude Law, Kate Winslet, Bryan Cranston, Jennifer Ehle et Gwyneth Paltrow
Drame – USA – 1h46 – Sorti le 9 novembre 2011