Archives de Catégorie: Films sortis en 2011
Les films sortis en France en 2011
L’Ordre et la morale
La prise d’otages de 1988 à Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, n’est pas un événement très connu de ceux qui étaient encore trop jeunes à l’époque pour suivre l’actualité. Mathieu Kassovitz avait 20 ans. Il revient sur ce sombre épisode de notre histoire contemporaine avec un talent dont on ne le savait plus capable : c’est rythmé, percutant et profondément intéressant.
Synopsis : Avril 1988, Île d’Ouvéa, Nouvelle-Calédonie. 30 gendarmes retenus en otage par un groupe d’indépendantistes Kanak. 300 militaires envoyés depuis la France pour rétablir l’ordre. Et Philippe Legorjus, capitaine du GIGN, seul pour essayer de faire triompher le dialogue…
Etonnant. Depuis son chef d’oeuvre, La Haine, Mathieu Kassovitz n’avait plus jamais réussi un seul bon film. 15 ans plus tard, le réalisateur revient au cinéma subjectif et engagé. L’Ordre et la morale est un film intense, intelligent, parfois suffoquant.
Les scènes d’action sont haletantes, les dilemmes moraux sont passionnants de simplicité dans leur énoncé et de complexité dans les choix qu’ils amènent. Que peuvent faire l’engagement d’un individu, la confiance entre deux hommes, face à l’ampleur des enjeux politiques nationaux ou internationaux? Que peut le dialogue dans certaines situations inextricables où l’utilisation de la force est tellement plus simple et naturelle à l’homme?
Que peuvent les discours quand ils se heurtent à la réalité? L’Ordre et la morale aurait pu être un blockbuster manichéen de plus, mais les interrogations éthiques et politiques foisonnent et la réalisation nous colle au corps. Une belle surprise.
Note : 7/10
L’Ordre et la morale
Un film de Mathieu Kassovitz avec Mathieu Kassovitz, Iabe Lapacas et Malik Zidi
Drame, Historique – France – 2h16 – Sorti le 16 novembre 2011
Balada Triste
15 nominations aux Goyas, 2 prix à la Mostra de Venise, Balada Triste n’est pas passé inaperçu. Le cinéma de Alex de la Iglesia grossit les traits jusqu’à déformer les situations et hypertrophier les personnages. Poussé à l’extrême, ce cinéma donne Balada Triste.
Synopsis : Sous la dictature de Franco, Javier, fils d’un clown mort au champ de bataille, devient le clown triste d’un cirque peuplé de personnages invraisemblables et marginaux. Il y tombe immédiatement amoureux de Natalia, une acrobate dont est déjà épris Sergio.
On est parfois éblouis, parfois agacés, on hésite entre grandiose et boursouflure. Balada triste est un film gigantesque, grand-guignolesque, déraisonnablement ambitieux, dégoulinant d’emphase. Un monstre difforme et merveilleux. La réalisation baroque de Alex de la Iglesia est parfois carrément pachydermique mais le souffle narratif finit par emporter le morceau dans un raz-de-marée de douleurs individuelles et nationale.
Il est si rare qu’un tel pari soit tenté, et si surprenant que le résultat trouve malgré tout sa cohérence, qu’on finit par se laisser convaincre, admiratifs devant tant de pur cinéma, écrasés aussi par ce film-rouleau compresseur. La force vitale de Balada Triste est déchirante. Rarement un film aura tant hurlé la détresse et la beauté qui l’animent.
Note : 6/10
Balada Triste (titre original : Balada triste de trompeta)
Un film de Alex de la Iglesia avec Carlos Areces, Antonio de la Torre et Carolina Bang
Drame – Espagne, France – 1h47 – Sorti le 22 juin 2011
Lion d’argent du meilleur réalisateur et Prix Osella pour le meilleur scénario au Festival de Venise 2010
Contagion
En pleine boulimie créative, Steven Soderbergh livre 3 films coup sur coup : Contagion, Piégée et Magic Mike. Le premier, avec un casting digne d’Ocean’s Eleven et un pitch de blockbuster, déjoue toutes les attentes : il s’agit d’un film ingrat, peu aimable. C’est pourtant là que se trouve sa singularité.
Synopsis : L’histoire d’une pandémie dévastatrice qui explose à l’échelle du globe…
Contagion est un film-mystère. Visiblement, Soderbergh survole ses personnages et leurs situations particulières. Son propos semble être ailleurs, dans le grand tout dont il se fait l’observateur minutieux. Oui, mais que veut-il nous dire?
Certains y verront un pamphlet pour l’hygiène (pourtant, ici comme ailleurs, seul le hasard décide, on ne peut compter que sur la chance et l’isolation, programme peu réjouissant), d’autres pourront s’amuser de voir que le danger vient d’Asie. Les occidentaux sont en péril, victimes d’une mondialisation qui globalise tous les maux.
Mais ces sujets intéressent peu le cinéaste. Le film devrait être un récit apocalyptique digne de 28 jours plus tard. Pourtant, le blockbuster n’en est pas un. Et si tout simplement Soderbergh maitrîsait mieux que personne l’art du contrepied? Avec un casting et un budget dignes d’Ocean’s Eleven, le réalisateur de Solaris et de Bubble livre le film qu’on n’attend pas. Il passe consciemment à côté de la tragédie annoncée pour étudier froidement les mécanismes scientifiques, politiques et humains liés à une pandémie.
C’est cette manière de présenter des faits et rien que des faits qui donne paradoxalement sa valeur à Contagion. Le scénario, à force de multiplier les points de vue et d’éviter soigneusement de trop s’attacher aux histoires personnelles, ne permet aucune narration captivante. La surprise du film, c’est qu’il n’y aura pas de surprise. Soderbergh veut raconter le réel, il s’efface derrière son sujet et se transforme en reporter. Contagion est un film d’investigation. Finalement, la question cruciale n’est pas « où ça va? » mais « d’où ça vient? ». Contagion est un film en trompe-l’oeil, qui n’a de cesse de passer pour ce qu’il n’est pas.
Ce qu’il est, voilà exactement ce qui continue de nous interroger une fois le déroulé du film terminé. Contagion est une oeuvre qui nous demande de l’interroger. Pourquoi ce film? Qu’est-ce que cet objet, plus théorique que saisissant?
Si jamais Contagion doit donner quelque chose à penser en dehors de son propre statut, alors il ne s’agit sans doute ni d’hygiène, ni de politique. Cela est affaire de contexte. Non, il s’agit de fragilité. D’une humanité pleine de certitudes, d’organisations, de mécanismes, de procédures, de protections. Et d’une humanité qui pourtant n’est rien d’autre qu’une ligne incertaine dans le cours du temps. Pas moins vulnérable que ne l’étaient les dinosaures.
Quand on y réfléchit bien, Contagion est peut-être bien plus inquiétant qu’un film de Romero. Contagion ne fait pas appel à nos peurs irrationnelles d’enfants. Contagion est certes un film catastrophe sans âme. Mais la catastrophe n’en est que plus pure. Contagion ne romance pas, il parle de logique, de réalité, d’actualité. Un virus comme la grippe aviaire est d’autant plus terrifiant qu’on s’en est sortis. Car entre la réalité et les zombies, il y a un abîme. Mais entre un vrai virus qu’on arrive à maîtriser et ce même virus qui nous anéantit, il n’y a qu’une légère différence de scénario. Un petit concours de circonstances qui pourrait faire basculer la réalité toute entière dans l’oubli. Contagion parle de ça, de cette mécanique qui peut nous sauver, la plupart du temps, ou un jour nous être fatale.
Note : 5/10
Contagion
Un film de Steven Soderbergh avec Marion Cotillard, Matt Damon, Laurence Fishburne, Jude Law, Kate Winslet, Bryan Cranston, Jennifer Ehle et Gwyneth Paltrow
Drame – USA – 1h46 – Sorti le 9 novembre 2011
Les Crimes de Snowtown
L’histoire du serial killer le plus connu d’Australie, John Bunting, sous la forme d’un thriller social qui peu à peu se transforme en quasi-film d’horreur. Dur et intrigant.
Synopsis : Dans une banlieue où règnent chômage et abus sexuels, John Bunting, charismatique, passionnant, débarque dans la vie de Jamie et décide de le prendre sous son aile…
Le film est une illustration percutante de la fameuse banalité du mal dont parlait Hannah Arendt en évoquant les crimes Nazis. Ou comment les individus les plus ordinaires peuvent se rendre coupables des crimes les plus horribles.
Les Crimes de Snowtown commencent comme une chronique socio-politique ultra-naturaliste. Un fait divers dramatique se transforme, dans l’esprit d’une famille, en une lutte acharnée et extrémiste qui finit par prendre pour cible tous ceux qui ne vivent pas une sexualité « traditionnelle ». Petit à petit, les mots de John Bunting, dont ils tombent tous amoureux, se font de plus en plus durs, de plus en plus radicaux.
L’homme se construit petit à petit une forte emprise psychologique sur la mère et sur ses fils, et notamment sur Jamie, pour qui il prend la place vacante du père. Bunting a le don de mettre en valeur les gens, de leur donner l’importance qui leur manque tant dans leur quotidien misérable. Il a le don pour les impliquer dans une lutte forcément juste, forcément nécessaire, forcément essentielle. Tel un prédicateur, tel un gourou, il a le don pour les séduire, pour les convaincre, pour déceler autour de lui les âmes fragiles, celles qui ne cherchent qu’à adopter son point de vue.
Une fois qu’il a choisi sa victime, il la mène petit à petit au pire, à l’horreur absolue. Alors, le film se transforme en drame psychologique et horrifique, à la limite du soutenable. Doucement, le film social à la Ken Loach glisse et s’abandonne dans les abîmes de l’enfer, comme ces gens ordinaires qui glissent vers le meurtre, comme cette réalité quotidienne qui se remplit peu à peu d’atrocités commises ou acceptées silencieusement. La banalité du mal.
Après Animal Kingdom, le cinéma australien prouve en 2011 qu’il sait être saisissant, âpre, profondément violent, profondément inquiétant. La réalisation sans concession est parfois fatigante mais le résultat est franchement convaincant.
Note : 6/10
Les Crimes de Snowtown (titre original : Snowtown)
Un film de Justin Kurzel avec Lucas Pittaway, Daniel Henshall, Louise Harris
Drame – Australie – 2h00 – Sorti le 28 décembre 2011
Prix FIPRESCI de la critique internationale (Semaine de la Critique) au Festival de Cannes 2011
Another Earth
Passé relativement inaperçu lors de sa sortie en salles (et pourtant prix du jury à Sundance 2011), Another Earth est une petite perle de science-fiction réaliste, un film simple et puissant qui lit intimement un destin individuel à l’absolu universel, et dont le mystère est d’offrir un possible miroir à l’humanité.
Synopsis : Un soir, une nouvelle planète apparaît dans le ciel. Le même soir, le destin d’une brillante jeune femme est brisé alors qu’elle se trouve impliquée dans un terrible accident…
Another Earth est un film d’une douce simplicité, dans lequel même la brutalité a cette légèreté qui la rend quotidienne. La science-fiction n’est qu’un contexte, un révélateur qui met les personnages face à eux-mêmes et face à l’autre. On pense à Bienvenue à Gattaca et à Never let me go : le traitement est hyper-réaliste, les enjeux sont élémentaires, la science-fiction est un écrin discret et fascinant pour un drame à hauteur d’hommes.
Comme dans Rabbit Hole, les mondes parallèles sont le seul échappatoire possible à une réalité qu’on ne veut pas accepter. Mais Another Earth envoûte, il propose un questionnement sans fin et sans limite sur le cosmos et notre place à nous. Personne ne veut être seul. L’humanité, échouée sur une planète vivante mais solitaire, a toujours regardé vers le ciel. Et si…
Tout le reste du film est puissance évocatrice. Le spectateur peut tout imaginer, doit tout imaginer. Another Earth n’en dit pas beaucoup plus, il nous invite simplement à regarder les étoiles, à nous perdre dans l’immensité mystérieuse et à nous interroger comme nous le faisions, enfants, allongés dans l’herbe. Il y a la vie qui nous entoure, certaine, concrète, absurde, qui peut basculer d’un moment à l’autre, qui tient à si peu de choses. Et il y a l’inconnu, le grand tout derrière ces petits riens, des millions d’étoiles comme autant de miroirs, qui nous renvoient au lointain ailleurs tout autant qu’à l’intime.
Jusqu’au bout, Another Earth nous laisse dans l’expectative. Le film se termine sur l’un des derniers plans les plus marquants de l’histoire du cinéma. En 10 secondes, Mike Cahill raconte un second film. En 10 secondes, l’histoire commence enfin… et se termine. En 10 secondes, les réponses sont données, sans aucune explication. La frustration est immense, le plaisir aussi. Malgré quelques maladresses, Another Earth est un film magnétique, poétique, métaphysique. L’air de rien.
Note : 8/10
Another Earth
Un film de Mike Cahill avec Brit Marling et William Mapother
Science-fiction, Drame – USA – 1h32 – Sorti le 12 octobre 2011
Prix Spécial du Jury au Festival de Sundance 2011