Archives Mensuelles: novembre 2011

La Source des femmes

Comme toujours, Radu Mihaileanu construit son film avec des rires et des drames, entre tragédies individuelles et fortes problématiques historiques. Et toujours 2 recettes principales : un groupe d’acteurs qui fait des étincelles et une énorme dose d’humanisme. Ici, elle rend le film quelque peu indigeste, sympathique mais légèrement caricatural et forcément inégal.

Synopsis : Quelque part entre l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Les femmes vont chercher l’eau à la source, en haut de la montagne. Leila, jeune mariée, propose aux femmes de faire la grève de l’amour : plus de sexe tant que les hommes n’apportent pas l’eau au village.

La Source des femmes - critiqueDepuis quatre films, Radu Mihaileanu démontre son talent pour faire jaillir la vie et le folklore dans un groupe à fort ancrage culturel. Ici, il s’intéresse aux arabes, sans préciser si le village se trouve au Maghreb ou au Moyen-Orient. Le réalisateur de Train de Vie décide une nouvelle fois de traiter son histoire comme une fable symbolique, un rêve fait de réalité et d’imagination qui n’est pas sans rappeler un autre film sorti quelques semaines auparavant et soulignant aussi le clivage hommes-femmes dans une société arabe : Et maintenant on va où?.

Radu Mihaileanu tombe d’ailleurs dans les mêmes pièges que Nadine Labaki, livrant un portrait manichéen de la guerre des sexes, auquel n’échappe vraiment que Sami, l’instituteur du village. Pourtant, l’idiotie des hommes et la fraîcheur des femmes est ici moins systématique que dans Et maintenant on va où?. Le film de la réalisatrice libanaise était bien plus gênant : toutes les femmes étaient héroïques, tous les hommes étaient stupides, et la paix des peuples ne devenait qu’un prétexte à la guerre des sexes.

La Source des femmes est bien plus honnête car il ne se trompe pas de sujet : son titre déjà annonce la couleur, il s’agira bien de féminisme, Radu Mihaileanu n’a aucune intention de le dissimuler derrière un propos plus vaste et consensuel. Bien plus honnête aussi parce qu’il montre un clivage à l’intérieur même de la communauté des femmes : certaines sont conservatrices et sont aussi bornées que les hommes eux-mêmes. Quant à la gent masculine, c’est par sa frange progressiste que la femme pourra s’émanciper puisque l’éducation lui est pour le moment inaccessible. Sami est le type même de l’homme éclairé qui veut donner aux femmes les outils pour penser par elles-mêmes. Et d’autres hommes répugnent à punir les femmes, comme le facteur ou le père de Sami.

L’énergie extraordinaire que Mihaileanu sait communiquer à ses actrices trouve cependant sa limite dans la manière qu’il a de grossir les traits jusqu’à étouffer toute possibilité de subtilité. A force d’en faire trop tout le temps, le réalisateur du Concert perd son film dans une soupe de bons sentiments. C’est d’autant plus dommage que sa démonstration ne manque ni de conviction, ni d’intelligence.

Le combat qu’il propose et l’évidence avec laquelle il montre la nécessité de se rebeller finit tout de même par emporter notre sympathie. Et tant pis s’il nous force un peu la main.

Note : 5/10

La Source des femmes
Un film de Radu Mihaileanu avec Leïla Bekhti, Hafsia Herzi et Biyouna
Comédie dramatique – France – 2h04 – Sorti le 2 novembre 2011

Vivement dimanche !

Dernier film de François Truffaut, Vivement dimanche ! montre toute l’admiration du réalisateur phare de la Nouvelle Vague pour le genre du film noir et pour Alfred Hitchcock. Malheureusement, au-delà de l’hommage et de la surprenante légèreté de ton, l’intrigue est toute banale et on n’est jamais vraiment convaincu par cette histoire d’amour insignifiante.

Synopsis : Une femme et son amant sont assassinés. Le mari, suspect n°1, décide de s’enfuir et de se cacher quelque temps. Sa secrétaire, Barbara Becker, mène sa propre enquête.

Vivement dimanche ! - critiqueVivement dimanche ! est un film noir qui épouse tous les codes du genre. Le film est un hommage très appuyé aux films des années 40 et 50 qui formèrent ce courant : le noir et blanc est de rigueur, le faux coupable évoque Hitchcock tout comme les nombreux combats à suspense dans lesquels le héros ou l’héroïne essaient de se défendre contre un voyou qui veut leur peau.

Ainsi, Quand Fanny Ardant voit, impuissante depuis la rue, la lutte qui oppose Jean-Louis Trintignant à un inconnu à la fenêtre d’un immeuble, on ne peut s’empêcher de penser à l’une des dernières séquences de Fenêtre sur cour.

Parfois, François Truffaut se permet des moments de comédie : il souffle sur tout le film un vent de liberté qui rappelle directement la Nouvelle Vague et les premiers films du réalisateur, comme la scène d’introduction, sympathique et parfaitement inutile pour l’intrigue. Cependant, la légèreté qui baigne le film et les nombreuses touches d’humour nous empêchent de nous sentir concernés par le drame qui se joue. Le suspense est souvent désamorcé, rien ici ne parait bien grave. Les personnages semblent avoir bien du mal à prendre au sérieux leur aventure et le ton d’habitude fataliste du genre laisse place à un optimisme un peu inconsistant.

Le scénario très banal rapproche Vivement dimanche ! du pastiche plutôt ennuyeux. Si la désinvolture de la mise en scène sauve le film, elle n’arrive pas à le rendre vraiment intéressant. Le dernier film de François Truffaut est malheureusement assez anecdotique.

Note : 3/10

Vivement dimanche !
Un film de François Truffaut avec Fanny Ardant, Jean-Louis Trintignant et Jean-Pierre Kalfon
Policier – France – 1h55 – 1983

Frankenstein Junior

Quand Mel Brooks s’attaque à un classique majeur du cinéma fantastique. Un film déconstruit mais souvent très drôle, qui inspirera Aerosmith pour le titre de l’un de ses plus grands tubes, Walk this way. Et effectivement, il s’agit là d’une référence à un gag hilarant et très significatif de cet hommage parodique qu’est Frankenstein Junior.

Synopsis : Honteux de son ascendance, le Dr Frederick Frankenstein, petit-fils du célèbre homonyme, est pourtant rattrapé par la folie familiale et décide de poursuivre les expériences.

Frankenstein Junior - critiqueSorti 44 ans après, Frankenstein Junior est le petit-fils du Frankenstein de James Whale de 1931. Comme tout bon petit-fils, il est plein de révérence et d’admiration pour son aïeul: Mel Brooks utilise un noir et blanc nostalgique, ses personnages occupent les décors et utilisent les accessoires du film d’origine. L’histoire est aussi sensiblement la même, bref il pourrait s’agir là d’un hommage à un classique indépassable.

Et pourtant, comme tout petit-fils, Frankenstein Junior vit avec son temps : il se moque gentiment de son original, il adopte un ton résolument moderne, n’hésitant pas à tourner en dérision les terreurs de son enfance. Le pastiche est mis en abîme : Frédérick Frankenstein est lui-même le petit-fils du fameux Frankenstein, il joue le détachement vis-à-vis de ce parent encombrant mais il est finalement imprégné des mêmes passions, des mêmes pulsions, d’une vénération sans borne devant les travaux de son célèbre papi.

Frankenstein Junior, au-delà de cette intrigue et de cette esthétique empruntées à l’histoire du cinéma, propose un humour absurde qui lui est très contemporain. Il sort en effet la même année que le Sacré Graal des Monty Python avec lequel il partage un sens aigu des situations ridicules, des dialogues extravagants et des personnages stupides. Marty Feldman, qui vient justement de la troupe britannique, est hilarant, il est, avec ses yeux exorbités, sa bosse mouvante et ses répliques incisives, le principal atout comique du film. L’univers grotesque et menaçant, surchargé et foutraque, rappelle également le Rocky Horror Picture Show, sorti aussi la même année : un vent de folie libératrice et d’indécence à peine étouffée rythment les aventures expérimentales et saugrenues d’antihéros mystérieux. Le nonsense le plus total envahit la fin du film, sur une variation du thème de La Belle et la bête.

Frankenstein Junior est un film souvent drôle (on aime beaucoup quand le monstre essaie en vain de se faire des amis), toujours brouillon, un hommage et une parodie. Inégal mais séduisant.

Note : 6/10

Frankenstein Junior (titre original : Young Frankenstein)
Un film de Mel Brooks avec Gene Wilder, Peter Boyle, Marty Feldman et Madeline Kahn

Comédie, Fantastique – USA – 1h46 – 1974

Les Géants

Trois jeunes adolescents abandonnés dans des paysages presque mystiques, luttant contre une humanité violente et désolée. Trois points de lumière qui essaient de rendre leur destin meilleur. Les Géants, c’est la version belge et dépressive de Super 8. Quelques moments de grâce s’échappent parfois de cette longue étendue d’ennuis qu’est l’enfance selon Bouli Lanners.

Synopsis : C’est l’été, Zak et Seth se retrouvent seuls et sans argent dans leur maison de campagne. Avec un autre ado du coin, ils vont vivre la grande et périlleuse aventure de leur vie.

Les Géants - critiqueTout est presque normal et pourtant tout est étrange dans ce film singulier, petite fable minimaliste qui associe une ambiance de western crépusculaire à la douce dinguerie dépressive qui parcourt le cinéma belge.

D’abord, la situation de base, présentée comme une évidence mais qui ne finit pas de nous interroger tout au long du film. Deux jeunes garçons, peut-être fils d’ambassadeurs, sont laissés seuls au milieu de nulle part, sans argent, sans vrai moyen de subsistance, comme abandonnés à leur désœuvrement. L’absurdité est totale : tels Vladimir et Estragon dans la célèbre pièce de Beckett, les deux enfants attendent Godot, c’est-à-dire une mère qui se contente de passer un rapide coup de fil tous les trois jours pour dire qu’elle ne peut pas venir les chercher tout de suite.

Ensuite, les personnages, typiques des rencontres absolument inattendue qu’on peut faire dans les films de Kervern et Délépine, dans ceux du trio Abel-Gordon-Romy ou déjà dans ceux de Bouli Lanners. Légèrement moins drôles que d’habitude cependant. Ici, l’accent est mis sur la violence et le désespoir ou, a contrario, sur l’innocence et la bonté. Quoi qu’il en soit, le monde des adultes semble condamné. Seuls les enfants sont encore des êtres de lumière. Seuls, ils portent l’espoir d’une humanité meilleure.

Enfin, il y a l’histoire qui n’avance pas. Rien ou presque rien ne se passe dans Les Géants. Il s’agit plutôt d’un tableau, de la description tendre de trois êtres magnifiques (et il faut dire que les trois acteurs ont des vraies têtes d’ange et qu’ils sont toujours crédibles quand ils se débattent dans cet univers insensé et hostile). Le film est une succession de moments volés à la jeunesse, une jeunesse qui hérite malgré elle d’un monde assez moche et qui essaie de vivre, de rire, et d’aimer malgré ça.

Le cinémascope donne l’illusion d’une issue : quelque part, à l’ouest peut-être comme autrefois, il y a le rêve d’une vie meilleure. Le film ne peut qu’aboutir à la fuite : dans ce cadre-là, il n’y a rien à espérer.

Le principal problème des Géants de Bouli Lanners, c’est que l’univers créé n’a rien de fondamentalement différent de ceux qu’on a déjà découverts dans de nombreux films belges depuis dix ans. A force de se répéter, ce cinéma-là devient une sorte de marque déposée, un filon qu’on pourrait exploiter encore longtemps mais qu’il n’est pas toujours évident de renouveler. Des êtres perdus rencontrent des êtres étranges qui leur nuisent ou leur apportent leur aide. Ici, il s’agit aussi d’enfance, d’innocence et d’espoir. C’est intéressant, parfois vraiment juste, mais souvent lent et un peu vide. Et à force de tourner en rond, ça ne va nulle part. C’est dommage, quand on voit la puissance dégagée par ces trois adolescents.

Note : 4/10

Les Géants
Un film de Bouli Lanners avec Zacharie Chasseriaud, Martin Nissen et Paul Bartel
Comédie dramatique – Belgique – 1h25 – Sorti le 2 novembre 2011
Prix SACD et Art Cinema Award à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2011

Intouchables

Les gags sont assez convenus et pourtant on rigole franchement grâce à des acteurs dans une forme épatante. Dans Intouchables, tout le monde est beau et gentil (mis à part les candidats à l’aide à domicile), la bonne humeur est communicative et la fracture sociale disparaît. Rien de très original, mais un ultra feel-good movie qui prend déjà d’assaut le box-office.

Synopsis : Philippe, riche aristocrate tétraplégique, engage comme aide à domicile Driss, un jeune de banlieue tout juste sorti de prison… Le duo que tout oppose va faire des étincelles…

Intouchables - critiqueLe dernier film du duo Nakache-Toledano est bien parti pour être intouchable au box-office français de 2011. Pas vraiment étonnant : c’est drôle et les bons sentiments dégoulinent de toute part. En ces temps moroses de crise économique, Intouchables a tout pour redonner le sourire à des millions de français : une bonne humeur gigantesque sur un sujet pourtant plutôt glauque, un optimisme à toute épreuve même quand la vie demande d’affronter les pires difficultés, et la conviction bienvenue que les différentes classes sociales ont beaucoup à partager, beaucoup à apprendre, beaucoup à s’enrichir les unes des autres.

Entre une aristocratie immobile, bloquée dans le passé, et une jeunesse des cités turbulente, bloquée dans le présent, il y a pourtant la grande majorité des français mais tant pis, Intouchables ne fera pas dans le détail, plutôt dans le symbole, quitte à utiliser outrageusement les clichés pour mieux appuyer ses messages d’espoir démesuré. Un triple conte de fée en somme. D’abord, le chômage et la délinquance ne sont pas des fatalités, on peut toujours s’en sortir. Ensuite, le deuil et le handicape ne condamnent pas au malheur, tant qu’il y a la vie, il y a la possibilité de vivre heureux. Enfin, les différences entre les hommes ne sont jamais insurmontables, l’amitié peut naître, même entre des êtres que tout oppose.

Dans Intouchables, tout le monde a le droit au bonheur, les riches, les pauvres, les handicapés, les noirs, les vieilles filles, les lesbiennes, même les adolescentes en crise existentielle. Comment ne pas adhérer? Comment ne pas sortir de là le sourire aux lèvres, le moral rechargé pour au moins une bonne soirée?

Pourtant, on n’est pas totalement convaincus. Justement parce qu’à force d’en faire trop, le film perd en sincérité ce qu’il gagne en béatitude. La caution « ceci est une histoire vraie » n’est qu’une justification sans intérêt pour une seconde partie de film sans idée et sans mordant. Tout le monde est trop gentil, il y a trop de bon coeur pour qu’on puisse y croire vraiment. Plus le film avance, plus les séquences sont improbables, plus l’humour légèrement irrévérencieux s’éteint pour laisser place à un mélodrame sans finesse.

On préfère donc la première heure du film et ses quelques véritables grands moments de comédie. Comme dans Tellement proches, Toledano et Nakache s’amusent à mélanger des milieux sociaux très différents et à observer les situations décalées qui naissent de la rencontre entre des personnages qui n’ont ni les mêmes habitudes, ni les mêmes repères, ni les mêmes valeurs. Souvent, le film se transforme en catalogue de blagues sur les handicapés, mais les gags fonctionnent, même les moins originaux, en grande partie grâce aux acteurs qui visiblement prennent du plaisir, et grâce au rire très communicatif d’un Omar Sy en grande forme, confronté à l’ironie mi-amusée mi-agacée de François Cluzet.

Malheureusement, avec un tel pitch et la volonté absolue de livrer un pur moment de bonheur, les deux réalisateurs se trouvent vite limités pour développer leur intrigue. Celle-ci se termine de la façon la plus attendue possible. Malgré l’extraordinaire sourire d’Omar, le gros bonbon bien rose et bien sucré a du mal à passer.

Intouchables, ce n’est pas du grand cinéma mais c’est un bon moment passé en salle et quelques vrais éclats de rire. Certains diront que ça suffit, et effectivement ce n’est déjà pas si mal.

Note : 5/10

Intouchables
Un film de Eric Toledano et Olivier Nakache avec François Cluzet, Omar Sy et Anne Le Ny
Comédie – France – 1h52 – Sorti le 2 novembre 2011