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Bilan cinéma 2012 (2) – Les réalisateurs

Derrière chaque film il y a un auteur, quand la logique de la société de production ne prend pas le dessus. En 2012, de nombreux grands réalisateurs étaient au rendez-vous, de Steven Spielberg à Jacques Audiard en passant par Ken Loach. Des triomphes, des catastrophes, des retours, des surprises : petit tour d’horizon des cinéastes.

Michael Haneke et sa Palme d'or pour son film Amour

Michael Haneke et sa Palme d’or pour son film Amour

Trois cinéastes au sommet

Le Festival de Cannes 2009 offrait sa Palme d’or au Ruban blanc de l’autrichien Michael Haneke et son Grand Prix au Prophète du français Jacques Audiard. Il s’agissait effectivement de deux des films les plus saisissants de l’année. En février 2010 sortait un film d’animation très enthousiasmant, le Fantastique Mr. Fox de l’américain Wes Anderson.

En 2012, ces trois cinéastes sont de nouveau à l’honneur avec leur film suivant. Les trois ont eu l’honneur de la croisette et c’est encore Haneke qui a triomphé. Tout comme Isabelle Huppert 3 ans avant lui, Nanni Moretti, président du jury, lui a une nouvelle fois remis la prestigieuse Palme d’or pour Amour. Audiard et Anderson eux, ont été oubliés par le jury. Pourtant, Audiard reste aux sommets avec De rouille et d’os, un film dense et intense, une petite merveille de cinéma. Quant à Wes Anderson, il livre peut-être son plus beau film, une aventure romantique délicate et décalée, sans doute la sucrerie la plus réjouissante de l’année.

Le film le plus intense de l’année : De rouille et d’os (de Jacques Audiard)
Le film le plus réjouissant de l’année : Moonrise Kingdom (de Wes Anderson)
Le film le plus glacial de l’année : Amour (de Michael Haneke)

De rouille et d'os

De rouille et d’os, le film le plus intense de 2012


Le rêve et l’évasion : deux réalisateurs qui croient aux pouvoirs magiques du cinéma

D’autres grands cinéastes ont eu l’occasion cette année d’enrichir leur œuvre : parmi eux, citons notamment Steven Spielberg et Ang Lee qui continuent à nous faire rêver sur très grand écran. Le premier, définitivement l’un des monstres vivants du septième art, continue d’impressionner avec son Cheval de guerre : il sublime un thème peu attractif par une réalisation époustouflante et revient aux sources de son cinéma. Entre Indiana Jones et le Soldat Ryan, entre E.T. et Tintin, Spielberg continue d’émerveiller l’enfant qui sommeille en chaque spectateur. Ang Lee, à la filmographie beaucoup plus irrégulière, livre pour sa part son meilleur film depuis Tigres et dragons avec L’Odyssée de Pi, une aventure saisissante et moins naïve qu’il n’y parait.

Le film le plus candide et féérique de l’année : Cheval de guerre (de Steven Spielberg)
Le film le plus impressionnant de l’année : L’Odyssée de Pi (de Ang Lee)

L'Odyssée de Pi

L’Odyssée de Pi, le film le plus impressionnant de 2012


Quelques autres noms mythiques du septième art

Le come-back de l’année est à mettre au crédit de Leos Carax. 13 ans après son dernier film, l’enfant terrible du cinéma français expérimente toujours avec l’œuvre la plus surprenante de l’année, Holy Motors, injustement boudé lui aussi par le jury cannois.

Ken Loach livre un nouveau Ken Loach (La Part des anges, séduisant), Woody Allen un nouveau Woody Allen (To Rome with love, dans lequel il continue son tour d’Europe quitte à s’essouffler), Denis Podalydès un nouveau Podalydès (Adieu Berthe, drôle et tendre), et Tim Burton deux nouveaux Tim Burton (Frankenweenie, classique et sympathique et Dark Shadows, classique et raté).

Le cinéaste coréen Hong Sang-Soo nous offre lui aussi deux films (Matins calmes à Séoul et le très joli In another country dans lequel il explore justement les motifs de la répétition et de la variation, avec au passage l’un des plus beaux rôles d’Isabelle Huppert). Abbas Kiarostami, lui, est allé tourner au Japon son Like someone in love dans lequel il poursuit sa réflexion sur les faux-semblants entamée dans Copie conforme. François Ozon n’est pas loin de ces considérations sur l’ambitieux (mais inégal) Dans la maison.

Le film le plus surprenant et original de l’année : Holy Motors (de Leos Carax)
Le film le plus tendre : Adieu Berthe – L’enterrement de mémé (de Denis Podalydès)

Holy Motors

Holy Motors, le film le plus original de 2012

Notons enfin, pour finir avec les grands réalisateurs, qu’à 77 ans, William Friedkin ne perd pas la main : son Killer Joe est l’un des films les plus violemment séduisants de l’année. Abel Ferrara nous laisse rêveur face au Dernier jour sur Terre. Ridley Scott, qui aura perdu son frère cette année (Tony Scott, le réalisateur de Top Gun et True Romance), sera revenu aux origines avec Prometheus, inspiré de la saga Alien. En France, Benoît Jacquot livre Les Adieux à la reine, un film inquiétant dont on retient notamment un magnifique plan-séquence dans les couloirs de Versailles.

Le plus beau plan-séquence de l’année : Les Adieux à la reine (de Benoît Jacquot)
Le film le plus glauque de l’année : Killer Joe (de William Friedkin)

Des cinéastes qui confirment tout le bien qu’on pensait d’eux

Certains ne sont pas encore des vieux de la vieille, mais ils deviennent des cinéastes avec qui il faut compter. Il y a d’abord le jeune canadien Xavier Dolan qui s’améliore à chaque film et qui livre l’une des pépites de l’année, le film le plus démesuré de 2012, Laurence Anyways. Nous avons aussi pu découvrir cette année un film de 2004 de l’iranien Asghar Farhadi (sorti en France grâce au succès l’année dernière d’Une séparation), le très beau Les enfants de Belle Ville. Fin du tour du monde avec le Japon : après le mélancolique Still walking, Hirokazu Kore-Eda nous offre I wish, un très joli conte sur l’enfance.

Côté cinéma européen, Kervern et Délépine explorent toujours leur univers dépressif et décalé mais Le Grand soir est sans doute leur film le plus mature et le plus abouti. Le roumain Cristian Mungiu, après sa Palme d’or pour 4 mois 3 semaines 2 jours, gagne le Grand Prix avec le saisissant Au-delà des collines, l’un des films les plus noirs de l’année.

Et le britannique Joe Wright continue de filmer Keira Knightley en costumes (après Orgueil et préjugés et Reviens-moi) dans Anna Karenine, un film à la mise en scène surprenante et enthousiasmante. La plus belle scène de danse de l’année aussi, et ce en dépit des quelques jolis moments de Main dans la main. Pour son troisième film, Valérie Donzelli ne réitère pas le succès rafraichissant de La Guerre est déclarée, et s’il ne faut pas bouder les qualités de sa dernière romance, il faut avouer qu’elle est un peu bâclée.

Côté américain enfin, Christopher Nolan clôt sa trilogie Batman avec élégance, sans atteindre le génie de son Dark Knight.

Le film le plus punk de l’année : Le Grand soir (de Benoît Délépine et Gustave Kervern)
Le film le plus noir et étouffant de l’année : Au-delà des collines (de Cristian Mungiu)
Le film le plus romantique et démesuré : Laurence Anyways (de Xavier Dolan)

Laurence Anyways

Laurence Anyways, le film le plus romantique de 2012


Des jeunes auteurs qui émergent

Quelques jeunes cinéastes sont à surveiller de près. Après l’épatant Morse, le suédois Tomas Alfredson livre La Taupe, le film le plus cérébral de l’année, un thriller d’espionnage complexe, parfois un peu trop. Après l’étonnant Rubber, Quentin Dupieux continue à étonner : Wrong n’est pas complètement réussi, mais il reste le film le plus taré de 2012. Et après son superbe Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, l’américain Andrew Dominik livre un film ingrat mais fascinant avec Cogan.

Le film le plus cérébral de l’année : La Taupe (de Tomas Alfredson)
Le film le plus taré de l’année : Wrong (de Quentin Dupieux)
Le film le plus politique de l’année : Cogan, Killing them softly (de Andrew Dominik)

Les plus belles surprises viennent de deux réalisateurs britanniques, David MacKenzie et Ben Wheatley, qui ont tous les deux sorti deux films cette année. Pour le premier, c’est surtout Perfect sense qui marque. Contrairement à la comédie Rock’n’Love, Perfect sense est une tragédie âpre et captivante, sans doute le meilleur scénario de l’année. Ben Wheatley s’est lui fait remarquer avec Kill List et Touristes. Ce dernier film est une petite perle d’humour décalé, de mauvais esprit libérateur et d’inquiétude politique.

Le film le plus fascinant de l’année : Perfect Sense (de David MacKenzie)
Le film le plus méchamment drôle de l’année : Touristes (de Ben Wheatley)

Perfect sense

Perfect sense, le film le plus fascinant de 2012


Des premiers films qui comptent

Côté premiers films, c’est le belge Michaël J. Roskam qui impressionne le plus avec son Bullhead, le choc cinéma de l’année. Mais l’américain Benh Zeitlin le talonne de près, et son merveilleux Les Bêtes du sud sauvage méritait bien sa Caméra d’or à Cannes. Côté français, c’est Régis Roinsard qui s’est imposé en prenant en main dès son premier film une grande production et en en faisant une comédie au charme rétro. Populaire est le film le plus frais de l’année.

Le choc de l’année : Bullhead (de Michaël J. Roskam)
Le film le plus émouvant de l’année : Les Bêtes du sud sauvage (de Benh Zeitlin)
Le film le plus frais de l’année : Populaire (de Régis Roinsard)

Bullhead

Bullhead, le choc de 2012


Les grands réalisateurs qui se sont plantés

Pour finir, quelques ratés. La perle pour David Cronenberg : Cosmopolis est prétentieux et vide, le film le plus toc de 2012. Alain Resnais déçoit terriblement avec Vous n’avez encore rien vu (c’est rien de le dire) qui pêche notamment par narcissisme. Les frères Taviani filment aussi une pièce de théâtre : tant pis pour nous, ce n’est pas plus enthousiasmant.

Sam Mendes se laisse bouffer par la franchise James Bond et livre un film impersonnel et inintéressant. Walter Salles est étouffé par l’ampleur de l’œuvre qu’il a essayé d’adapter. Son Sur la route est ennuyeux comme jamais. Ennuyeux : c’est aussi le cas du dernier Clint Eastwood (J. Edgar), un film sans souffle et sans magie, et de Young Adult, signé Jason Reitman, une comédie lourde et mal rythmée (premier véritable échec pour le réalisateur de Thank you for smoking et Juno).

Le film le plus toc de l’année : Cosmopolis (de David Cronenberg)
Le film le plus impersonnel de l’année : Skyfall (de Sam Mendes)
Le film le plus regrettablement chiant de l’année : Sur la route (de Walter Salles)

Cosmopolis

Cosmopolis, le film le plus prétentieux et vide de 2012

Pour certains, l’inventivité n’est pas de mise cette année. Peter Jackson bégaye sa Terre du Milieu avec son premier Hobbit. C’est long. Guy Ritchie bégaye son Sherlock Holmes (c’est plus vivant, mais tout aussi oubliable), Julie Delpy bégaye son 2 days in Paris dans New York, David Fincher bégaye une adaptation de Millenium qu’on avait trouvé certes moins classieuse mais plus trépidante quand le suédois Niels Arden Oplev était à la mise en scène. Michel Ocelot bégaye son Kirikou, Blue Sky son Age de glace, Pixar bégaye son Disney dans Rebelle, DreamWorks son Madagascar (quand il ne livre pas l’épouvantable Les Cinq légendes).

Au contraire, Francis Ford Coppola essaie toujours d’inventer, mais son Twixt sonne faux. On aurait aimé mieux tant il y avait matière à du beau, mais en fait c’est assez moche et le scénario est follement vaseux. Stephen Daldry s’embrouille avec un film extrêmement naïf et incroyablement bof. Costa-Gavras continue le combat politique avec pertinence mais sans finesse (Le Capital).

Le film le plus déjà-vu de l’année : Le Hobbit, un voyage inattendu (de Peter Jackson)
Le film le plus fumeux de l’année : Twixt (de Francis Ford Coppola)

Finissons sur deux succès peu mérités : d’abord le triomphe aux Golden Globes de Ben Affleck. Argo est certes un film bien fait, mais plutôt branché qu’intelligent. Gone Baby Gone était beaucoup mieux. Enfin le succès critique et cannois de La Chasse de Vinterberg. Un film maladroit qui reprend pourtant les thématiques de l’excellent Festen.

Le film le plus surestimé de l’année : Argo (de Ben Affleck)

Voir aussi : Bilan cinéma 2012 (1) – Le top 20
et Bilan cinéma 2012 (3) – Les thématiques

Bilan cinéma 2012 (1) – Le Top 20

Les nominations aux Césars et aux Oscars ont enfin été annoncées, et il est temps pour moi de donner mes coups de coeur de l’année (films sortis en France en 2012). 20 films, principalement français et américains, mais qui mettent aussi en avant les cinémas belge, britannique, canadien, roumain, iranien, mexicain et congolais! Petit retour sur les petits bijoux de 2012!

De rouille et d'os - affiche

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1 – De rouille et d’os (de Jacques Audiard, France-Belgique)

Jacques Audiard prouve qu’il peut faire aussi bien que le magnifique Un prophète. Il y a dans De rouille et d’os une telle croyance en l’art du récit, une telle science de la mise en scène, une telle densité de cinéma qu’on reste KO.

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Bullhead - affiche

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2 – Bullhead (de Michaël R. Roskam, Belgique)

Un premier film à couper le souffle. Dans un monde noir de misère affective et de combines mafieuses, le réalisateur belge trouve une étincelle de vie et en fait jaillir un feu ardent et destructeur.

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Moonrise Kingdom - affiche

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3 – Moonrise Kingdom (de Wes Anderson, USA)

Wes Anderson livre sans doute son oeuvre la plus accomplie : un très joli film en même temps qu’une ode bouleversante à l’innocence et aux utopies. Peu de cinéastes sont capables de sonder le bonheur avec tant de délicatesse.

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Perfect sense - affiche

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4 – Perfect sense (de David MacKenzie, Royaume-Uni-Suède)

Un film de fin du monde différent, puissant, effrayant, à mi-chemin entre l’intime et l’universel. Le film le plus fascinant et le plus inquiétant de l’année.

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Amour - affiche.

5 – Amour (de Michael Haneke, France-Autriche)

Construit avec une précision d’orfèvre, le film épie la violence au coeur du quotidien et de l’intimité. Il explore avec génie les tréfonds de l’âme humaine, dans toute sa splendeur et dans toute son atrocité.

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Holy Motors - affiche

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6 – Holy Motors (de Leos Carax, France)

Une réflexion poétique sur la force créatrice du cinéma, sur la nécessité absolue de (se) raconter des histoires, sur la fuite du réel et sur l’impossibilité, plus métaphysique, de se définir en tant qu’individu.

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Laurence Anyways - affiche

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7 – Laurence Anyways (de Xavier Dolan, Canada-France)

Laurence Anyways est un film trop long, trop plein, trop tout, mais c’est aussi un très beau film. Une histoire d’amour qui n’a pas peur de la démesure.

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Les Bêtes du sud sauvage - affiche.
8 – Les Bêtes du sud sauvage (de Benh Zeitlin, USA)

Un premier film percutant : le sujet est fort et original, alliant la singularité d’un mode de vie à des combats et des sentiments universels; la mise en scène est celle d’un film d’aventures métaphysique, partagée entre naturalisme et mysticisme.

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Touristes - affiche.

9 – Touristes (de Ben Wheatley, Royaume-Uni)

Un road trip barré, un film de serial killer déguisé en comédie sociale, une petite pépite inattendue. C’est aussi le portrait malade d’une société fatalement individualiste et d’un idéal de vie riquiqui.

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Le Grand soir - affiche

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10 – Le Grand soir (de Benoît Délépine et Gustave Kervern, France)

Sans doute l’un des meilleurs films réalisés sur la crise économique qui secoue le monde depuis 2008. Un vrai film punk, plein d’idées, drôle et absurde, qui fait le portrait finalement un peu triste d’une société du vide.

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Viva Riva ! - affiche

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11 – Viva Riva ! (de Djo Tunda Wa Munga, Congo-France-Belgique)

Premier film congolais depuis 20 ans et c’est une réussite incontestable. Viva Riva !, c’est du Tarantino à la sauce africaine. Les maladresses sont largement compensées par une réalisation électrique et des scènes puissantes et sexys.

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Une nuit - affiche.

12 – Une nuit (de Philippe Lefebvre, France)

Un film admirable, nerveux, épais. Un Roschdy Zem épatant, un scénario très bien pensé. Simplement l’une des plus belles surprises de 2012.

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Au-delà des collines - affiche.

13 – Au-delà des collines (de Cristian Mungiu, Roumanie)

Après deux femmes aux prises avec l’avortement illégal, le réalisateur roumain s’intéresse à deux femmes en lutte avec Dieu. Un film intense et ambitieux.

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Killer Joe - affiche.
14 – Killer Joe (de William Friedkin, USA)

Tout dans ce film est outrancier, depuis le pitch, improbable, jusqu’aux personnages, tous piteux. Simplement jouissif, un voyage dans les recoins les plus sombres de l’âme humaine.

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Les Adieux à la reine - affiche.

15 – Les Adieux à la reine (de Benoît Jacquot, France)

Le réalisateur arrive à saisir le chaos de ces instants énigmatiques où tout change, où un monde cède sa place au suivant, de ces journées charnières qui s’inscrivent immédiatement dans l’Histoire.

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Camille Redouble - affiche

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16 – Camille Redouble (de Noémie Lvovsky, France)

Un vent de fraîcheur rajeunissant, une énergie euphorisante. Noémie Lvovsky réussit son pari : sa comédie est drôle, sa romance est passable, son intrigue fantastique est excitante.

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Cheval de guerre - affiche

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17 – Cheval de guerre (de Steven Spielberg, USA)

Sans doute seul Steven Spielberg peut-il faire cela aujourd’hui : un film d’aventure au premier degré, une épopée mélodramatique sans clin d’oeil. Il recrée les fables intemporelles qui nous faisaient rêver quand nous étions petits.

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Les Enfants de Belle Ville - affiche

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18 – Les Enfants de Belle Ville (de Asghar Farhadi, Iran)

L’intrigue est sans doute moins originale que celle d’Une Séparation, mais les enjeux du film sont plus puissants, ce qui en fait un très beau moment de cinéma.

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Looper - affiche.

19 – Looper (de Rian Johnson, USA)

Une idée brillante, des situations intrigantes et complexes, un univers crédible et stimulant, le tout en dépit d’un scénario mal maîtrisé.

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Después de Lucia - affiche.

20 – Después de Lucia (de Michel Franco, Mexique-France)

Un film énigmatique sur la violence, celle de l’adolescence, celle du deuil, celle du monde extérieur et celle de nos propres pulsions.
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Pour compléter cette liste, quelques autres films marquants malgré des défauts ou des maladresses : Wrong (de Quentin Dupieux), Populaire (de Régis Roinsard), In another country (de Hong Sang-Soo), Ernest et Célestine (de Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier), L’Odyssée de Pi (de Ang Lee), Anna Karenine (de Joe Wright), Starbuck (de Ken Scott), Take Shelter (de Jeff Nichols), Hasta la vista (de Geoffrey Enthoven), La Taupe (de Tomas Alfredson), Tabou (de Miguel Gomes) et Rengaine (de Rachid Djaïdani).

Voir aussi : Bilan cinéma 2012 (2) – Les réalisateurs
et Bilan cinéma 2012 (3) – Les thématiques

Les Invisibles

Alors que le mariage homosexuel déchaîne les passions, provoquant manifestations et contre-manifestations et faisant ressortir les propos homophobes les plus absurdes, Les Invisibles est nominé au César 2013 du meilleur documentaire. Un film certes imparfait, mais qui a le mérite de donner la parole à des amoureux qu’on voit peu et qui aiment pourtant d’autant plus fort.

Synopsis : Des hommes et des femmes, nés dans l’entre-deux-guerres, se racontent. Ils n’ont aucun point commun sinon d’être homosexuels et d’avoir choisi de le vivre au grand jour.

Les Invisibles - critiqueDeux sujets se mêlent dans Les Invisibles : la façon pour les homosexuels de vivre leur homosexualité (notamment il y a 30, 40 ou 50 ans) et la sexualité des plus de 70 ans.
Le premier devient passionnant notamment quand il est question d’engagement et de revendications. Aux deux tiers, le film s’accélère et s’enflamme pour la formidable aventure collective que fut la libération sexuelle et la lutte contre une société conservatrice et stigmatisante.

Le second thème du film est plus intime, plus personnel. Sébastien Lifshitz laisse à chaque témoin une vraie place pour s’exprimer, pour se raconter, pour souffrir à l’écran, quitte à se retrouver à côté du sujet (comme cette femme pleurant le temps qui passe devant les murs d’une gare qui seuls gardent le souvenir de son père). Ici, chacun démontre que les êtres humains, qu’ils aient 20, 40, 60 ou 80 ans, ont en eux une incroyable envie d’amour et de plaisir, une force d’aimer qui résiste formidablement au temps. Les témoins choisis sont admirables car ils ne se résignent jamais à être vieux. Certes ils sont invisibles, certes la société cantonne l’amour à la jeunesse (comme elle le cantonne souvent à une relation entre un homme et une femme), mais leur ardeur n’en est pas moins là. Et ils nous le disent, dans des confessions face caméra souvent émouvantes.

Dommage alors que le film ne convainque qu’à moitié, la faute à un rythme plutôt mou, à une volonté de mise en scène trop appuyée, avec ces longues mises en contexte convenues. On préfère retenir la liberté de ton et la liberté de vie de ces beaux personnages. On préfère retenir que l’amour à 70 ans peut rester vif et passionnel. On préfère retenir ce merveilleux vent de contestation et d’affirmation de soi qui existait dans les années 70, dont l’esprit a aujourd’hui disparu et dont il ne reste plus que les acquis, dans une société sans engagement de masse et qui se renferme sur ses valeurs conservatrices.

Note : 5/10

Les Invisibles
Un film de Sébastien Lifshitz
Documentaire – France – 1h55 – Sorti le 28 novembre 2012

Rue Mandar

Emmanuelle Devos et Sandrine Kiberlain en sœurs opposées dans une tragi-comédie familiale. C’est sur ces deux actrices que le film aurait pu trouver sa ligne de force. Mais Idit Cebula, trop occupée à imiter ses souvenirs, a négligé d’approfondir les personnages et les situations. Rue Mandar est une succession de scènes artificielles et déjà vues, un film à la folie très calibrée.

Synopsis : À l’occasion de funérailles rocambolesques, deux sœurs et un frère se retrouvent ! Rencontres électriques pour cette fratrie qui ne sait comment se dire son amour réciproque.

Rue Mandar - critiqueLe film est comme l’affiche : un assemblage de vignettes bien connues, mises les unes à côté des autres sans imagination, posées sur un fond vide et illustrées par une écriture rose sursignifiante. Chaque personnage a le droit à son portrait tout sourire, et au milieu une photo de groupe. Voilà donc ce qui relie tout ce beau monde : la famille. On est tout de suite dans l’ambiance : ce sera un spectacle joyeux, intime et foisonnant, sympathique et convenu, un spectacle beauf qui trouvera parfaitement sa place dans la grille de programmes de TF1.

Rue Mandar est donc le stéréotype de la comédie familiale à la française, à mille kilomètres cependant de l’inventivité d’Un Conte de Noël ou même du jeux de massacre bobo Le Prénom. La culture juive offre au film son seul souffle : une espèce de folie qui contamine tous les plans de groupe jusqu’à devenir artificielle. Souvent, en voyant tous les personnages parler en même temps, se crier dessus, se courir après et s’agiter en tout sens, on ressent plus le travail de la réalisatrice que la vérité d’une famille juive dans tous ses états. Non pas que ce soit mal décrit, c’est exactement ça, mais ici ça sonne faux, on voit plutôt les efforts de mise en scène pour coller à l’exubérance recherchée. Ronit Elkabetz avait saisi avec beaucoup plus d’acuité la famille juive en deuil dans son très beau Les Sept jours.

Et le récit? Un deuil, une histoire d’amour naissante, des couples en crise, des frères et des sœurs qui ont du mal à s’accepter les uns les autres. Tous les clichés sont là, traités superficiellement et sans aucune inventivité. Quand le film se termine, on a eu le droit à tous les bons sentiments qui vont bien. Tout ici est d’une fatigante banalité. Pour voir une comédie sensible et originale sur la perte d’un proche, on regardera l’Adieu Berthe de Bruno Podalydès, sorti il y a quelques mois.

On sent bien la sincérité d’Idit Cebula dans cette histoire autobiographique, mais Rue Mandar souffre du gouffre qui peut exister entre la sincérité d’un projet et l’authenticité du résultat.

Note : 1/10

Rue Mandar
Un film d’Idit Cebula avec Sandrine Kiberlain, Richard Berry et Emmanuelle Devos
Comédie – France – 1h35 – Sorti le 23 janvier 2013

Ultimo Elvis

Très loin du Podium de Yann Moix, ce film raconte le quotidien et les aspirations d’un sosie sous l’angle du drame pur. Jamais drôle, jamais moqueur, jamais méprisant, Armando Bo filme simplement un être mal dans sa vie en s’appuyant sur la performance convaincante de John McInerny. Trop simplement d’ailleurs : le récit manque de souffle, d’enjeux, peut-être de rythme. Un film sincère mais trop modeste.

Synopsis : A Buenos Aires, Carlos Gutiérrez est Elvis, à l’usine comme sur scène où il officie pour une agence de sosies. Un accident l’oblige cependant à s’occuper de sa fille…

Ultimo Elvis - critiqueUltimo Elvis décrit l’opposition entre la vie réelle et la vie rêvée d’un homme. L’idole Elvis Presley et le sosie Carlos Gutiérrez n’appartiennent pas au même monde. Coincé dans une vie de médiocrité, Carlos essaie de coller le plus possible à son modèle. Son existence étriquée lui est devenue insupportable, mais comment devenir Elvis quand on n’est pas Elvis, comment résoudre cette contradiction identitaire, celle de vouloir être quelqu’un, de se sentir être quelqu’un, alors qu’on ne pourra jamais avoir une vie même un tout petit peu semblable?

Prisonnier de désirs de grandeur, de désirs en total désaccord avec son quotidien, Carlos ressent la nécessité de fuir. Et puis un jour, la vie se met entre lui et la porte de sortie, sous le visage angélique de sa petite fille qui a besoin de lui. Brusque retour au réel. Alors, Carlos va-t-il se laisser prendre par les plaisirs simples et banaux que la vie peut lui offrir, va-t-il abandonner ses rêves impossibles?

Armando Bo filme le décalage entre ce que vit Carlos et ce qu’il imagine (ou voudrait imaginer) vivre. Quand la réalité essaie de copier la légende, cela donne un effet toc. Pathétique et admirable, Carlos est à la fois un ouvrier insatisfait et un rêveur infatigable. Il n’y a peut-être alors qu’un seul moyen de résoudre son incompatibilité existentielle, celle de ne pas être celui qu’il voudrait être.

Si le récit est assez convaincant, il manque d’une certaine ampleur pour s’imposer à nous avec la force des tragédies intimes. Quand on pense aux idéaux échoués, on pense au poignant The Wrestler ou au sarcastique American Beauty.

Ultimo Elvis est loin de ces références car il lui manque un ton, un motif un peu plus enthousiasmant que celui d’une parenthèse (ni enchantée, ni désenchantée). Nous assistons aux jours qui défilent les uns après les autres, ne faisant que repousser un peu plus la décision de Carlos. Quand celui-ci, vers la fin du film, regarde le canapé dans lequel dormait sa petite fille, alors enfin il se passe quelque chose, une inflexion, une flamme. On attend cela tout le film, on n’y a le droit qu’à de trop rares moments. Le reste du temps, comme son antihéros, Ultimo Elvis reste collé à la banalité du quotidien.

Note : 4/10

Ultimo Elvis (titre original : El Último Elvis)
Un film d’Armando Bo avec John McInerny, Griselda Siciliani, Margarita Lopez
Drame – Argentine – 1h32 – Sorti le 16 janvier 2013