Archives Mensuelles: janvier 2013
Sugar Man
Prix du Public et Prix Spécial du Jury au Festival de Sundance 2012, en lice pour l’oscar du meilleur documentaire, Sugar Man fait parler de lui. Et en effet, peu de films documentaires portent une histoire aussi romanesque. Mi-thriller, mi-feel good movie, Sugar Man est d’abord un hommage convenu mais plaisant à la musique (presque oubliée) de Sixto Rodriguez.
Synopsis : Au début des années 70, Rodriguez enregistre 2 albums sur un label de Motown. C’est un échec et l’artiste disparaît, sans savoir que sa musique va être adulée en Afrique du Sud…
Sugar Man est un documentaire-conte de fée, et en cela il fait un peu penser à Benda Bilili!. Mais alors que le film de Renaud Barret et Florent de La Tullaye était une sorte de gigantesque making of, accompagnant le groupe de musique africain depuis ses débuts jusqu’à son explosion, Sugar Man serait plutôt à ranger du côté du cinéma d’investigation.
Sixto Rodriguez a existé, enregistré deux albums, puis il a disparu. Il s’agit pour Malik Bendjelloul de filmer des fans qui vont tout faire pour retrouver sa trace, se lançant dans une quête complexe et hasardeuse. Le film distille un suspense savamment dosé, il fait monter l’attente pour que les apparitions de Rodriguez (tout comme ses chansons, utilisées dans la bande originale) soient pour les spectateurs des moments de grande satisfaction.
Un conte de fée donc, une drôle d’histoire, le genre de récit qu’on raconte le dimanche soir au coin du feu : « vous connaissez l’histoire de ce chanteur qui… ». C’est réjouissant mais pas non plus inoubliable : finalement le film dit peu et montre peu, limité par un matériel en quantité insuffisante pour tenir tout un long métrage. Malik Bendjelloul comble alors les vides par des procédés divers, dessins, vidéos floues, interviews qui se répètent les uns les autres. On comprend un peu trop où le cinéaste veut nous emmener, le but de chaque témoignage, pour adhérer complètement.
Reste que le film peut mettre à son compte deux belles réussites. La première est de rendre un bel hommage à l’artiste et à son répertoire, lui offrant la chance d’une seconde vie, au moins en Europe et aux USA. La seconde est d’évoquer en creux une question sans doute plus universelle et essentielle que le simple destin de Sixto Rodriguez. A quoi tient le succès d’un artiste? Quels événements, quelles qualités, quels hasards, quelles concordances permettent à un auteur de rencontrer son public? L’histoire est écrite pour ceux qui ont perduré. Combien de génies ont péri dans l’oubli, simplement parce qu’ils n’avaient pas eu les bons éléments aux bons moments pour s’exprimer à leur hauteur, pour que leur talent soit reconnu? Combien d’oeuvres ont disparu (ou n’ont tout simplement pas pu exister) parce que les circonstances n’ont pas été favorables?
Sixto Rodriguez a pu enfin trouver la reconnaissance quand il ne l’attendait plus. Dans Le Sommeil d’or, de manière similaire, Davy Chou rend justice à l’inventivité d’artistes cambodgiens qui ont été obligés de tout arrêter à cause des khmères rouges. Il redonne leur dignité à des artistes brisés.
Sugar Man n’évoque pas seulement ce juste retour de gloire. Il s’agit aussi d’une ode à tout ce pan de l’art qui n’est pas resté, à toute cette partie de l’histoire qui demeure quelque part entre le passé et l’oubli, faisant forcément de nous des orphelins de tout ce qui ne nous est pas parvenu et qui aurait mérité la postérité.
Note : 6/10
Sugar Man (titre original : Searching for Sugar Man)
Un film de Malik Bendjelloul avec Sixto Díaz Rodríguez, Stephen Segerman, Dennis Coffey
Documentaire – Royaume-Uni, Suède – 1h25 – Sorti le 26 décembre 2012
Prix du Public International et Prix Spécial du Jury International (catégorie documentaire) au Festival de Sundance 2012
Les Cinq légendes
DreamWorks est toujours en-dessous de Pixar. Quand Pixar livrait des chefs d’oeuvre, DreamWorks proposait des films moyens. Quand Pixar se rate totalement avec Rebelle, alors DreamWorks arrive à faire encore moins bien avec ce film niais, archi-conventionnel, dépourvu de la moindre inventivité et du moindre risque. On rêve autant que devant une usine.
Synopsis : L’aventure d’un groupe de héros. Emmenées par Jack Frost, un adolescent rebelle et ingénieux, ils vont devoir protéger les espoirs, les rêves et l’imaginaire de tous les enfants.
Les Cinq légendes, c’est un blockbuster-navet pour enfants. Les scènes d’action s’enchainent comme des passages obligés sans inventivité et le scénario manichéen est extrêmement simpliste pour rester accessible aux plus petits. Chaque légende est d’abord une figurine à bientôt gagner dans son Happy Meal : les personnages sont des vignettes animées interchangeables sans histoire ni caractère, une équipe de produits marketing à la Kung Fu Panda, jamais le film n’apporte plus que l’argument de départ qu’il a piqué à la culture populaire.
Quant à l’intrigue elle-même, non seulement elle tient sur un timbre poste, mais en plus elle a déjà été vue un million de fois. Une armée d’effets spéciaux au service… des mensonges qu’on sert aux gamins et qu’il faudrait absolument préserver pour que le monde reste ce qu’il est, merveilleux et féérique (si si, tous les enfants de la Terre sont heureux aujourd’hui grâce au Père Noël et au Lapin de Pâques qui pensent à eux…). Bref, Les Cinq légendes, c’est une vision du monde bêta et chamallow difficile à supporter pendant 1h30. Rajoutons qu’on ne rit jamais, et qu’il n’y a pas le moindre suspense ou la moindre surprise pour nous sortir de notre torpeur.
Un produit commercial calibré, sans risque, sans poésie, sans idée, sans contenu. Une compilation de clichés pour formater les enfants dès leur plus jeune âge (les autres s’ennuieront ferme).
Note : 0/10
Les Cinq légendes (titre original : Rise of the Guardians)
Un film de Peter Ramsey avec les voix de Alec Baldwin, Jude Law, Hugh Jackman…
Film d’animation – USA – 1h37 – Sorti le 28 novembre 2012
Cogan : Killing Them Softly
On avait été impressionné par le saisissant western L’Assassinat de Jesse James... Ici, Andrew Dominik parle du monde au présent (celui de la crise économique) et livre une œuvre étrange, quelque chose qui ressemblerait à un thriller sans suspense, à une comédie sans humour, à un brûlot politique sans idéal à défendre. En somme, un film peu aimable mais très appréciable.
Synopsis : Lorsqu’une partie de poker illégale est braquée, le monde des bas-fonds de la pègre est menacé. Les caïds de la Mafia font appel à Jackie Cogan pour trouver les coupables.
Après l’époustouflant L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, Andrew Dominik revient avec un film qui parle toujours d’assassinats et de lâcheté, mais dans les USA d’aujourd’hui.
Cogan : Killing them softly suit des petites frappes qui risquent leur vie pour un peu d’argent, et un tueur solitaire et impassible qui a pour mission de les punir. Si l’histoire en elle-même n’a que très peu d’envergure, il n’en est pas de même de la façon dont elle est racontée. Andrew Dominik se propose de faire le portrait de son pays à travers des personnages de losers pathétiques pris dans une intrigue sans échappatoire, comme une grande métaphore du « peuple » américain, des citoyens qui sont tous plus ou moins dans la situation que décrit le film.
Cogan est l’un des films les plus violemment antiaméricains jamais écrit. Le pays des libertés et de la réussite individuelle est en fait le territoire du business et de la solitude, celui de l’échec individuel. Quand le système financier prend l’importance qu’il a aux Etats-Unis (et aujourd’hui partout ailleurs), alors il n’y a plus de place dans les relations humaines que pour les affaires. Dans Cogan, aucun personnage n’entre en contact avec un autre s’il n’est d’abord question d’argent, l’un devant payer l’autre ou les deux s’associant pour en gagner ensemble. Les interventions d’Obama ou de Bush reviennent régulièrement dans le film comme une litanie de mensonges avec lesquels les gens doivent vivre, même s’ils n’y accordent aucune importance.
Ceux qui y croient un peu (Frankie, Markie, Russell) ou qui font semblant d’y croire (Mickey, Johnny, le représentant des tripots) finissent par se faire avoir. Seule la lucidité de Cogan lui permet de survivre dans cet univers du chacun pour soi qu’on appelle les Etats pourtant Unis d’Amérique.
Les personnages de truands paumés et bavards semblent sortir tout droit d’un film de Tarantino, avec leurs longues tirades où ils racontent leurs difficultés sentimentales, leurs mésaventures de brigands ou leurs incertitudes. Ce monde lourd et poisseux, qui tourne en rond en suivant une logique implacable et cynique, s’enfonce peu à peu dans l’absurdité la plus noire. L’univers dépressif devient vite un univers d’indifférence, prenant le risque de désintéresser le spectateur d’une intrigue où les personnages ne sont ni attachants ni inquiétants, et courent avec évidence vers leur perte, qui n’en sera une pour personne.
A force d’étouffer l’humour, pourtant omniprésent, par un pessimisme total, le film devient, suivant le mot du réalisateur, une « comédie pas drôle », une farce aride et glauque à la mécanique désagréable. Parfois, la réalisation prend un peu de hauteur sur cette intrigue miteuse, comme dans cette scène élégiaque de meurtre au ralenti, étourdissante, avec brisures de verre, balles aveugles et derniers réflexes d’autodéfense.
Cogan est un film ingrat car il se veut le reflet d’un pays où la vie est pénible et où il n’y a pas d’idéal en dehors des discours creux. Ses personnages sont des insectes écrasés par la liberté individuelle qui ne les mène qu’à l’égoïsme et à l’isolement. Andrew Dominik livre un portrait du Nouveau Monde spectaculairement désenchanté.
Note : 6/10
Cogan : Killing Them Softly (titre original : Killing Them Softly)
Un film d’Andrew Dominik avec Brad Pitt, Scott McNairy, James Gandolfini, Richard Jenkins, Ray Liotta, Ben Mendelsohn, Vincent Curatola et Sam Shepard
Thriller – USA – 1h37 – Sorti le 5 décembre 2012
Jours de pêche en Patagonie
Après Historias minimas et Bombon el perro, le cinéaste argentin Carlos Sorín revient avec un nouveau récit dépouillé, qui s’attache aux pas d’un homme en quête de rédemption. Le film est lent, pas vraiment passionnant, mais les acteurs sont touchants et parfois ils donnent au drame une certaine grâce.
Synopsis : A la recherche d’un nouveau départ, Marco part en Patagonie s’initier à la pêche au requin. Mais ce n’est pas l’unique raison de son arrivée dans la ville de Puerto Deseado…
Un film d’une simplicité désarmante sur un homme qui essaie de renaître. Fidèle à ses convictions minimalistes, Carlos Sorin en dit le moins possible. Du passé de Marco, on ne connaîtra presque rien : un métier décrit rapidement, quelques difficultés avec l’alcool, un éventuel problème de santé.
De ses relations avec sa fille et son ex-femme, encore moins : cinq phrases tout au plus, lancées au détour d’une conversation, et quelques regards évocateurs permettent de reconstituer une séparation douloureuse.
Pourquoi la relation de Marco et d’Ana s’est-elle à ce point distendue? Comment un homme qui parait aussi raisonnable, sympathique et souriant que Marco a-t-il pu abandonner les siens et (peut-être) tomber dans l’alcool? Le réalisateur préfère se concentrer sur quelques rencontres : un entraîneur de boxe, un spécialiste de la pêche au requin.
Tout cela occupe un peu le temps solitaire d’un homme qui voudrait plus que tout renouer des liens. Tant de non-dits frustrent, tant de simplicité touche au simplisme.
Pourtant, les acteurs, irréprochables, rendent le drame intime crédible d’un bout à l’autre, et la superbe musique, triste et pleine d’espoirs en même temps, participe à l’émotion diffuse qui parcourt le film. Jours de pêche en Patagonie est un film sensible sur un bout d’humanité, mais un bout si petit et si ordinaire qu’on aura bien du mal à s’emballer pour ce cinéma-là.
Note : 4/10
Jours de pêche en Patagonie (titre original : Días de Pesca)
Un film de Carlos Sorín avec Alejandro Awada, Victoria Almeida et Oscar Ayala
Drame – Argentine – 1h18 – Sorti le 26 décembre 2012