Archives Mensuelles: février 2012

A Dangerous Method

La rencontre entre Freud et Jung, leur amitié et leur rupture, l’opposition de 2 hommes, 2 générations, 2 cultures, 2 démarches, 2 visions du monde et de l’humanité. La naissance d’une science, la femme au centre de tout désir et de toute pensée. Le film discute, serpente dans les arcanes de l’âme, quitte à laisser le spectateur dans la plus grande perplexité.

Synopsis : Sabina Spielrein, jeune femme souffrant d’hystérie, est soignée par le psychanalyste Carl Jung. Elle devient bientôt sa maîtresse en même temps que sa patiente. Leur relation est révélée lorsque Sabina rentre en contact avec Sigmund Freud.

A Dangerous Method - critiqueA Dangerous Method est un film sobre et élégant, peut-être trop sobre et trop élégant. La caméra de Cronenberg s’efface derrière l’ampleur de son sujet. Le réalisateur reste le plus neutre possible, présentant chaque personnage face à ses dilemmes, face à ses souffrances, face à ses limites.

Entre la géniale lucidité prétentieuse de Sigmund Freud et la faiblesse toute humaine d’un Carl Jung qui dérive lentement vers le mysticisme, entre la rigueur scientifique et morale du premier et les convictions presque religieuses du second, le spectateur assiste à l’évolution des idées, aux avancées de la pensée humaine et à ses retours en arrière.

L’histoire de la psychanalyse balbutie à l’écran. Freud cherche un héritier qui pourra continuer son travail, poursuivre sa quête, Jung essaie comme il peut de tuer le père malgré toute l’admiration qu’il lui porte, dans une démarche de pure psychanalyse. Autour d’eux, Sabina Spielrein s’intéresse aux pulsions, Otto Gross veut les libérer totalement. A l’écran, la lutte entre la morale traditionnelle et ces pulsions créatrices, destructrices, essentielles, devient le moteur déroutant et sensuel d’une intrigue au plus profond de l’homme.

Le film est alors un grand débat, une discussion psycho-philosophique de 1h40, une joute verbale passionnante dans laquelle le spectateur s’interroge, se remet en question, et finit par se perdre.

David Cronenberg utilise une méthode d’objectivité effectivement dangereuse mais particulièrement stimulante. Les opinions se contredisent, s’affrontent, se détruisent, il n’y a ni répit, ni conclusion satisfaisante. A Dangerous Method risque de laisser les spectateurs perplexes, orphelins d’une idée maîtresse à laquelle se raccrocher. C’est un film sans thèse, un film d’exploration complexe et tortueux (à l’image de la psychanalyse elle-même) qui dissémine de très nombreux points cruciaux de réflexion et se termine sur lui-même, laissant au cours de l’Histoire le soin de rendre raison ou tort aux personnages et à leurs idées.

Note : 7/10

A Dangerous Method
Un film de David Cronenberg avec Keira Knightley, Michael Fassbender, Viggo Mortensen, Vincent Cassel
Drame psychologique – Royaume-Uni, Allemagne, Canada – 1h39 – Sorti le 21 décembre 2011

La Délicatesse

Quand un écrivain adapte lui-même son roman au cinéma, on se demande toujours s’il saura s’approprier avec bonheur les nouveaux moyens mis à sa disposition. David Foenkinos échoue : son film est mou, boiteux, superficiel. On rit un peu et on oublie vite.

Synopsis : Après la mort de son mari, Nathalie, jeune et belle, se jette à corps perdu dans le travail. Elle se ferme à la vie jusqu’au jour où elle embrasse sans raison Markus…

LLa Délicatesse - critiqueLes trente premières minutes accumulent tous les clichés du coup de foudre amoureux et du drame qui survient. On pense beaucoup aux Adoptés de Mélanie Laurent, sans pourtant l’ambition de mise en scène. Ici, la réalisation et la photographie sont plates, la folie est calculée, les postures sont calibrées, les réactions sont artificielles, tout est travaillé au millimètre comme dans un catalogue Ikéa.

Quand l’histoire de la Belle et la Bête commence vraiment, on rit à quelques situations, à quelques bons mots, mais on reste en surface de cette romance de papier glacé. François Damiens est certes sympathique mais son personnage n’arrive pas à se sortir de son paradoxe originel : Markus est un grand bêta, trop gauche pour comprendre les autres, trop banal pour s’être fait remarquer par quiconque, professionnellement ou socialement, trop ahuri pour se fagoter correctement, trop médiocre pour avoir du goût. Pourtant, pour que l’histoire soit romantique, il va falloir qu’il se révèle au fur et à mesure. Mais qu’a-t-il à révéler? Son intelligence et sa sensibilité apparaissent soudainement dans le dernier tiers du film, sans trouver de cohérence avec le personnage tel qu’il a été décrit depuis le début.

Seul Bruno Todeschini tire véritablement son épingle du jeu grâce à un second rôle drôle, pathétique et attachant. L’entreprise qu’il dirige est d’ailleurs l’objet des meilleurs moments du film. La dernière demi-heure de La Délicatesse est interminable, l’histoire s’étire et s’étire sans avoir plus rien à nous dire. C’est bancal et finalement assez énervant. Un début poncif, un dénouement poussif : il n’y avait décidément pas grand chose de délicat là-dedans.

Note : 2/10

La Délicatesse
Un film de David Foenkinos et Stéphane Foenkinos avec Audrey Tautou, François Damiens, Bruno Todeschini
Romance – France – 1h48 – Sorti le 21 décembre 2011

Le Havre

Quelques mois avant l’élection présidentielle française, Aki Kaurismäki vient tourner au Havre et nous parle d’un jeune sans-papiers et de l’absurdité d’une société qui traque des enfants innocents. On pense un peu aux Mains en l’air de Romain Goupil mais le réalisateur finlandais fait de la poésie plutôt que de la politique. Le résultat est un monde désuet et charmant.

Synopsis : Marcel, ex-écrivain, vit une vie simple de cireur de chaussures au Havre. La soudaine maladie de sa compagne et sa rencontre avec un jeune sans-papiers bouleversent son quotidien.

Le Havre - critiqueDrôle de coïncidence : Aki Kaurismäki n’est pas le seul réalisateur étranger à avoir sorti un film tourné au Havre en 2011. Les belges Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy ont aussi parcouru la ville dans une romance décalée et burlesque, La Fée. Le lieu n’est pas le seul point commun aux deux films : la mise en scène de héros simples et seuls, leur lutte contre la mécanique d’une société déshumanisée, la poésie de l’absurdité, le minimalisme des dialogues, des attitudes et des intrigues, tout cela les rapproche, tout cela dresse du Havre un portrait étrange, entre misère affective et rencontres essentielles. C’est une ville où les marginaux vivent, se croisent, se perdent, se cherchent, et trouvent quelque part, au détour d’un vague regard, d’une situation éphémère, le bonheur modeste auxquel ils aspirent.

Chez Kaurismäki cependant, les personnages s’affirment, la lutte est solidaire, la poésie est politisée, les répliques sont élégantes, les attitudes sont dignes, les intrigues sont importantes. L’humour est presque invisible, et pourtant il surgit partout, dans les mots, dans les visages, dans la composition des plans. C’est un burlesque étouffé, mis sous cloche. Dans La Fée, le doux ridicule est immédiat, le rire aussi. Dans Le Havre, c’est la société qui est ridicule. Les hommes qui y évoluent sont contraints à la distance pour garder leur intégrité. On s’amuse de leurs adresses plus que de leurs maladresses, de leur pudeur plus que de leur décalage. Chacun prononce son texte fort et distinctement, comme s’il voulait être sûr d’être compris. Chacun s’exprime frontalement, presque absent de lui-même, comme s’il essayait de cacher son émotion.

Et pourtant, tout le monde est fragile et tout le monde se protège et essaie de protéger l’autre. Ici, on se fait une arme de l’absurdité, on lutte contre les politiques insensées, contre les situations inhumaines. On s’enrichit de l’autre, d’autant plus si l’autre est un sans-papiers, d’autant plus si l’autre est interdit.

Certes, le point de vue candide et la bonté artificielle des personnages peuvent agacer. Certes, l’humour et la politique sont un peu trop simples pour vraiment apporter quelque chose au débat. Mais Kaurismäki ne débat pas, il rêve. Le Havre est une douce utopie : ici, les gens se soucient des autres et s’entraident. Le film, en résistance contre une mondialisation sans âme, regarde un peu trop vers le passé, à la recherche de l’ombre de Jacques Tati. Le tout est par conséquent un brin réactionnaire, mais résolument humaniste.

Note : 6/10

Le Havre
Un film de Aki Kaurismäki avec André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin et Blondin Miguel
Comédie dramatique – France, Finlande, Allemagne – 1h33 – Sorti le 21 décembre 2011
Prix Louis-Delluc 2011 et Prix Fipresci de la critique international au Festival de Cannes 2011

17 filles

A l’origine du film, un fait divers réel survenu aux USA en 2008. Les réalisatrices adaptent cette histoire à la ville dont elles viennent, Lorient, filmée comme un lieu de douce dépression quotidienne et de désillusion. 17 filles parle un peu d’espoirs déçus, d’utopie ratée. Mais il reste coincé dans le non-événement qu’il raconte et devient, à son image, purement anecdotique.

Synopsis : Dans une petite ville au bord de l’océan, 17 adolescentes d’un même lycée décident de tomber enceintes en même temps, dans l’incompréhension générale des adultes.

17 filles - critique17 filles est un film un peu perdu entre le fait divers curieux, la chronique adolescente naturaliste et le mysticisme d’un acte de vie collectif. En choisissant de rester très objectives par rapport à leur sujet, en évitant d’adopter un point de vue marqué, en refusant tout jugement, les réalisatrices donnent au film une teinte presque documentaire.

Tous les adultes qu’elles mettent en scène sont perdus, impuissants face à ce phénomène qu’ils ne comprennent pas. Les jeunes filles, elles, semblent portées par une utopie qui leur permettrait d’échapper à un destin écrit d’avance et peu glorieux. Échapper au monde adulte en le court-circuitant, en devenant adulte avant de l’être.

17 filles pourrait alors être le portrait d’une opposition fondamentale et paradoxale : celle qui existe entre une jeunesse qui croit encore que tout est possible et des adultes résignés, bloqués dans des vies qu’ils n’ont pas voulues et dont ils ne souhaitent même plus sortir. Des adultes qui ont pourtant été jeunes, une jeunesse qui se débat pour ne pas être condamnée à se résigner à son tour.

Pourtant, le récit se fait trop souvent journal intime pour pouvoir être une analyse vraiment crédible d’un phénomène social saisissant. Et le réalisme social lui-même empêche 17 filles de s’élever vers des hauteurs plus éthérées. Du coup, on reste bloqué dans l’anecdote, dans la curiosité sans relief. 17 filles ont décidé de tomber enceintes en même temps, dans un même lycée. Il y avait certes l’espoir d’une utopie collective, il y avait certes l’espoir d’une aventure spirituelle. Mais comme les adolescentes, le spectateur est fatalement déçu, frustré. Finalement, le film n’est que ça : la mise en image d’un fait divers amusant.

Note : 4/10

17 filles
Un film de Muriel Coulin et Delphine Coulin avec Louise Grinberg, Juliette Darche, Roxane Duran, Esther Garrel, Yara Pilartz, Solène Rigot, Noémie Lvovsky et Florence Thomassin
France – Comédie dramatique – 1h27 – Sorti le 14 décembre 2011

Hugo Cabret

Hugo Cabret. Une fresque forcément féérique, forcément grandiose. Scorsese nous parle de Méliès dans un conte pour enfants en 3D. Que demander de plus? Eh bien, tout simplement une âme. Hugo Cabret est un film d’horloger, un film de faiseur virtuose, un film d’illusionniste. Un film qui fait semblant.

Synopsis : Paris, années 30. Le jeune Hugo est un orphelin de douze ans qui vit dans une gare. De son père, il ne lui reste qu’un étrange automate dont il cherche la clé…

Hugo Cabret - critiqueEn 2011, certains réalisateurs très cinéphiles livrèrent au public quelques grands hommages à l’histoire du cinéma. J.J. Abrams eut ainsi l’ambition, avec son Super 8, de nous refaire un film de science-fiction enchanteur et familial comme il en existait dans les années 80 autour de réalisateurs comme Steven Spielberg ou Robert Zemeckis. Michel Hazanavicius remonta le temps bien plus encore en nous offrant un film muet comme il s’en faisait dans les années 20, arrivant pourtant à insuffler à The Artist une âme neuve et un souffle d’aujourd’hui.

Martin Scorsese ferma la marche en évoquant les touts débuts du septième art en un hommage très appuyé à l’immense Georges Méliés. Le cinéaste met alors en scène sa fascination pour les balbutiements de la technique cinématographique, quand le cinéma était avant tout un tour de magie, une mécanique enchanteresse, un rêve sur grand écran.

Pour raconter cette épopée, Scorsese choisit de tourner son film en numérique et en 3D, comme pour rappeler qu’il n’y a pas dans sa démarche une quelconque glorification du passé au dépend du présent : le réalisateur de Taxi Driver aime toujours autant le cinéma et ses nouvelles façons d’émerveiller les spectateurs. Il est aussi amoureux des effets spéciaux faits main des premiers temps que de l’immersion 3D qui foisonne sur nos écrans depuis deux ans et la sortie d’Avatar.

Hugo Cabret est donc un retour aux sources, une déclaration d’amour au cinéma et à son histoire. Le seul souvenir qui reste à Hugo de son père est un automate cassé que celui-ci essayait patiemment de réparer. Le petit garçon est persuadé que s’il parvient à redonner sa splendeur à l’automate, il pourra reprendre contact avec son père disparu. Hugo Cabret pense que ramener son automate à la vie pourrait briser sa solitude et lui révéler des contrées insoupçonnées, bref il cherche l’âme derrière la mécanique.

Le spectateur aussi cherche l’âme derrière la mécanique, l’art derrière la technique. Hugo Cabret est un film parfaitement maîtrisé, une machine d’entertainment savamment orchestrée. Les images sont belles, l’univers, à mi-chemin entre Jean-Pierre Jeunet et Tim Burton, est accrocheur, l’histoire avance comme une grande aventure de l’enfance, chaque personnage rencontré doit être tout autant fascinant que menaçant, chaque lieu doit comporter sa magie et ses dangers, la quête éternelle de l’orphelin pour trouver une famille prend des allures mythiques quand les dessins de Méliès s’envolent dans la chambre, laissant échapper toute l’essence du cinéma qu’on avait essayé d’oublier au fond d’une armoire.

Et pourtant, toute cette belle mécanique n’a pas d’âme. Car cet univers féérique est un univers de papier glacé, étouffé par une technique trop soignée. Car ces personnages secondaires, « fascinants et menaçants », ne sont que des vignettes, des archétypes-fantômes qui ne font ni rêver, ni trembler, qui ne font que peupler une gare artificielle (seul Sacha Baron Cohen, parce qu’il joue un homme-mécanique, tire parfois son épingle du jeu). Car l’histoire est cousue de fil blanc. A part l’identité de Papa Georges, il n’y a rien à découvrir, rien à révéler. Le film s’amuse à créer de l’aventure et du suspense là où il n’y a finalement qu’une histoire plate, sans idée et sans substance. Evoquer George Méliès est un peu trop facile pour mettre de la magie dans un scénario dépourvu d’imagination.

L’intrigue avance par à-coups, les différentes séquences sont mal liées les unes aux autres, on pourrait presque toutes les supprimer sans que l’histoire ne perde de son sens. C’est que Hugo Cabret est un film très rempli de vide. L’évidence du sujet, la surcharge des décors, la virtuosité de la caméra et de la 3D cachent mal l’absence totale de vraies péripéties, de rebondissements, de propos, d’originalité.

Ne demandez pas à un automate de créer. Demandez-lui plutôt de faire illusion, de reproduire avec brio ce qu’on lui a appris à faire, à refaire, à rerefaire. Ne demandez pas à Hugo Cabret de vous émerveiller. La mécanique est parfaite, les rouages fonctionnent. Mais seuls les enfants qui veulent croire qu’un automate a une âme pourront se laisser surprendre par ce film-machine.

Note : 3/10

Hugo Cabret
Un film de Martin Scorsese avec Asa Butterfield, Chloe Moretz, Ben Kingsley et Sacha Baron Cohen
Film d’aventure – USA – 2h08 – Sorti le 14 décembre 2011
Golden Globe 2012 du meilleur réalisateur pour Martin Scorsese