Django Unchained
Oscars du meilleur scénario original et du meilleur acteur dans un second rôle. Ce qui souligne deux des plus grandes qualités du film : une histoire originale menée de main de maître et des personnages secondaires savoureux. La musique et les dialogues font le reste. Dommage alors qu’on reste gêné par la façon qu’a Tarantino de régler ses comptes avec les injustices du passé.
Synopsis : Le Dr Schultz, un chasseur de primes allemand, fait l’acquisition de Django, un esclave qui peut l’aider. Il lui promet de lui rendre ensuite sa liberté et de l’aider à libérer sa femme.
Tout dans Inglourious Basterds préparait Django Unchained. La suffocante scène d’introduction qui plaçait le film sur les rails du western avant de retrouver Paris et la Seconde Guerre Mondiale. Une inscription dans l’Histoire et les pires heures de l’humanité. Un peuple mis au pas, persécuté, anéanti. La vengeance jouissive d’une héroïne de ce peuple (et des fameux basterds du titre) contre les nazis, quitte à les anéantir à leur tour, quitte à refaire l’Histoire.
Django Unchained reprend la même ossature et se place cette fois-ci dans la mythologie américaine, celle d’une Histoire tourmentée et celle d’un genre majeur de son cinéma. L’esclavage et le western, que Tarantino a la bonne idée de réunir à l’écran. Comme souvent chez le cinéaste de Kill Bill, il ne s’agira pas forcément d’innover sur les thématiques, mais plutôt de compiler des influences fondatrices, des figures tutélaires, de les respecter et de les détourner pour en tirer un objet nouveau, une oeuvre pop et chic. Les motifs sont bien connus, le mélange l’est moins et pourtant il nous semble toujours familier.
Faire un western sur l’esclavage, voilà une première idée brillante. Confronter le mythe à une musique funk ou hip-hop résolument moderne et voilà le genre définitivement dépoussiéré. C’est actuel et haletant, les dialogues percutants et la dynamique de la mise en scène font le reste.
Si Django et sa femme sont plutôt neutres, il sont entourés de grands personnages de cinéma, le docteur Schultz (attendu mais tellement réussi), le dandy esclavagiste et, encore mieux, Stephen, le noir qui n’aime pas les noirs, un homme qui se cramponne au petit pouvoir qu’il a réussi à s’octroyer comme tant d’êtres, un peu moins martyrisés que leurs semblables, qui ont cru ainsi trouver une place dans un monde qui ne voulait pas d’eux. Samuel L. Jackson est drôle et très inquiétant, il livre une interprétation hors norme.
Enfin, la construction du film est parfaite. Le scénario est captivant, depuis la scène d’introduction, extrêmement bien menée, jusqu’au carnage final, apothéose toute tarantinesque qui donne envie de se lever sur son siège et d’applaudir. Entre les deux, quelques grands moments, et notamment la séquence où Django se débarrasse des frères Brittle, absolument jouissive. Ou encore l’apparition du Ku Klux Klan dans une scène formidable de drôlerie absurde et de terrible cruauté.
C’est justement entre le rire et la cruauté que Tarantino doit sans cesse arbitrer. Le second degré semble le protéger de tout : les esclaves peuvent souffrir, les bourreaux être exécutés sommairement, c’est pour rire, c’est du cinéma, et si on n’est pas totalement convaincus, les effusions de sang exagérées et l’outrance du récit sont là pour le rappeler.
Sauf que. Sauf que le recul ne justifie pas tout. Déjà dans Inglourious Basterds, on jubilait gênés devant la mort de centaines de nazis. Ici encore, on ne demande pas mieux : tuez les méchants et qu’on n’en parle plus, ils l’ont bien mérité. Oubliant que ce qui nous différencie d’eux, des criminels qui ont fait l’Histoire, c’est justement notre conviction qu’il n’y a aucune justice dans la simple vengeance. Notre refus de tuer sommairement, de faire souffrir pour le bonheur de faire souffrir, et ce quels que soient les actes que nous avons à juger.
Que Django, emporté par une haine aveugle, ne désire que la vengeance est une chose. Django n’est jamais ridicule ou ridiculisé, jamais le film ne prend de distance avec lui, jamais Django ne fait de clin d’oeil au spectateur comme le Dr. Schultz. Que ce Django, comme entouré d’une sorte de halo moral, exécute froidement ses victimes, même sans aucune nécessité, cela pose plus problème. Que le spectateur soit conforté dans son vœu de vengeance, qu’il soit amené à jubiler dessus, voilà la limite de l’entreprise de Tarantino. A force de jouer avec nos désirs instinctifs, le réalisateur américain flatte une vision du monde un peu simpliste. Certes, on est très loin de Taken et de son apologie naïve de la torture, certes il y a ici assez de garde-fous pour rester dans la pure fiction, mais on ne peut s’empêcher de ressentir une gêne.
D’autant plus qu’il y a peut-être pire. Pour arriver à ses fins, Django n’hésite pas à sacrifier des esclaves. A faire des victimes supplémentaires. Ici, la fin justifie les moyens. Django sacrifie son humanité pour sauver celle qu’il aime. Pour sauver son bonheur égoïste. La souffrance d’un homme, la fin d’une vie (ou d’un tas de vies) semblent négligeables devant les desseins de Django. C’est peut-être cela qui est le moins excusable dans Django Unchained.
Pour la vengeance pure, Tarantino se justifie par la bouche de son docteur Schultz : « Oups, j’ai pas pu m’en empêcher ». Petite blague potache qui coûte la vie. Oui, mais au moins, on aura vécu, même si ce n’est que sur un écran de cinéma, tout ce que nous voulions vivre, nous avons pu libérer tout ce que nous avions sur le coeur. Christoph Waltz est à ce moment-là un enfant qui n’a pas pu éviter son geste instinctif. Un petit garçon intrépide et inconscient qui avait besoin de se libérer et de ne pas penser aux conséquences. La démarche est cathartique.
Django Unchained est un exutoire pour Tarantino, pour des millions de noir américains qui ont un compte à régler avec l’histoire de leur pays, pour des milliards d’hommes et de femmes gênés par les terribles injustices du passé. C’est un film extrêmement bien conduit, un cinéma de pur bonheur, un classique original, un spectacle savoureux, une expérience puissamment enthousiasmante. Et pourtant, il reste quelque chose de gênant devant tant de violence non pas injustifiée (alors il n’y aurait rien à dire) mais mal justifiée. Pour Django, tous les moyens sont bons pour accomplir sa quête sortie tout droit d’une légende allemande. Quitte à accepter le pire (on repense notamment aux chiens dévorant un esclave blessé). Et le film oublie malheureusement un peu trop facilement de souligner que ce que Django accepte est absolument inacceptable.
Note : 7/10
Django Unchained
Un film de Quentin Tarantino avec Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio, Kerry Washington et Samuel L. Jackson
Western – USA – 2h44 – Sorti le 16 janvier 2013
Oscars 2013 du meilleur scénario original et du meilleur acteur dans un second rôle pour Christoph Waltz
Publié le 25 février 2013, dans Films sortis en 2013, et tagué Christoph Waltz, Jamie Foxx, Leonardo DiCaprio, Oscars, Quentin Tarantino, Samuel L. Jackson, western. Bookmarquez ce permalien. 4 Commentaires.
Et pour les même raisons que tu exprimes bien, je mettrai beaucoup moins à ce film car à force d’utiliser les même ficelles, je n’y vois plus vraiment d’originalité et j’y vois plutôt uniquement le coté malsain de la violence exacerbée. C’est peut être pour cela que mon préféré est Jackie Brown, chez Tarantino….malgré ses faiblesses
Oui je comprends. Je reste emballé par la manière qu’il a de revisiter le western, par le rythme et par les personnages secondaires, d’où la note.
Juste pour papoter, une petite divergence de point de vue :
Humainement et moralement, Django a perdu bien avant le film, il a perdu à sa naissance.
La seule chose tangible à laquelle il semble croire et adhérer, c’est l’amour. Le lien avec sa femme, ça sera sa seule route – tout le reste peut bien cramer en enfer.
L’unique « morale » (j’insiste sur les guillemets) qu’on lui présentera, en alternative de la « morale » permettant d’asservir une couleur de peau, est celle de Doc. Schultz : accepter un monde où on peut buter un père devant son gosse car il l’aurait mérité, un monde où pour mener à bien sa quête, on joue et on ne sort pas de son personnage, même si ça envoie quelqu’un (que dis-je : une propriété, un meuble vivant) dans le ventre d’un chien.
L’histoire baigne dans un manque de morale édifiant. Django ne baigne dans aucune humanité. Considéré comme sous-homme toute sa vie, il a été déchainé par un homme on ne peut plus ambigu : un représentant de la loi qui se présente avant tout comme un marchant de corps morts. C’est vrai qu’il n’y a aucune justice dans la simple vengeance, mais les affichettes « Wanted dead or alive » incarnent une justice… qui n’a de justice que le nom. (Et on peut partir loin sur le sujet, quand on suit une culture aussi borderline que celle des USA…)
On obtient une vision du monde simpliste car celle de l’esclave fraichement libéré (cf. Django qui, dans la petite histoire du « je vais acheter à un fermier son cheval » n’hésiterais pas à butter le fermier si celui ci refusait). Les esclaves souffrent et c’est la norme. Les bourreaux morflent car ils se dressent sur la route entre Django et Broomhilda – et pas parce qu’ils le mériteraient. Oui, même les frères Brittle, ceux que Django flingue pendant que Quentin nous flingue de flashbacks, sont liés à la séparation du couple d’esclaves.
Il quitte les chaines de l’esclavage pour celles des règles établies par Schultz lorsqu’il lui apprend le métier de chasseur de prime. Ce n’est qu’une petite liberté physique. Moralement, Django restera un esclave toute sa vie.
Comment Django pourrait il être porté par un halo moral, si dès la première partie du film, nous ne pouvons espérer aucune morale ? Il ne nous reste que des degrés d’amoralité (Schultz étant certainement un des moins chargés dans le domaine), si notre esprit à besoin de faire un petit tri à ce niveau…
Le personnage de Django n’est pas le symbole de l’esclavage, c’est un nègre en particulier avec une histoire particulière – Môssieur Candy nous le rappelle plusieurs fois. La vengeance qui l’entoure n’est pas celle de tous les esclaves, Django n’a aucune ambition de ce côté là – ce qui le différencie de Shosanna dans Inglourious Basterds qui se présente comme le visage de la vengeance juive… avec plus de risques (car de l’infinie liste de personnages anti-nazis, seuls deux survivent) et aucun espoir ni apaisement (ça reste une double mission suicide lors d’une guerre mondiale).
Alors de mon point de vue, si gêne il y doit y avoir, c’est de se retrouver face à une glorification de personnage amoral dans un cadre tout aussi amoral : le piédestal sur lequel Tarantino fait sourire Django à sa douce… après avoir cramé toute une exploitation négrière. Mais la gêne n’émanerait pas de la mauvaise justification de sa violence. J’ai toujours pris les résolutions des films de Tarantino comme étant un peu amères – voir cyniques. Celle ci l’est énormément – moins que celle d’Inglourious, qui était carrément nihiliste.
Après, ouais, c’est remuant et excitant !
Je ne suis pas tout à fait d’accord pour dire que Django n’a aucune ambition pour ce qui concerne la vengeance en tant qu’esclave. A la fin du film notamment, il a beau avoir retrouvé Broomhilda, il persiste à s’occuper des esclavagistes, libérant les noirs à l’exception de Stevens. Certes son objectif principal est de retrouver son amour, mais je dirais qu’il en profite pour rendre ce qu’il pense être la justice.
Du coup, je ne pense pas que Django Unchained soit un film sans morale. Les méchants payent leurs crimes, et même Schultz justifie ses meurtres par le fait que ce sont des hommes mauvais (ou encore, parce que la fin justifie les moyens, ce qui donne cette affreuse scène où Django reste dans son rôle au lieu de rester dans son humanité). C’est comme ça qu’il convainc d’ailleurs Django de tuer un homme sous les yeux de son fils.
Le dilemme moral est posé, et résolu, de manière bien insatisfaisante. Bref, je trouve que le film trouve des justifications à la violence de ses personnages. Par contre, je te rejoins sur la glorification des personnages. Amoraux ou immoraux, Django et sa femme sont glorifiés, et oui, je trouve cela gênant.
Comme tu dis, le film n’en reste pas moins remuant et excitant. Le second degré le protège, à mon sens, d’un jugement éthique trop sévère, mais cela reste gênant.