Grigris

Sortie aujourd’hui du seul film africain de la compétition cannoise 2013. Mahamat Saleh Haroun avait déjà connu le succès sur la croisette il y a 3 ans avec le Prix du Jury pour le très beau Un homme qui crie. Malheureusement, en dépit du beau personnage-titre, Grigris raconte une histoire beaucoup moins forte, qui peine à vraiment nous convaincre.

Synopsis : Alors que sa jambe paralysée devrait l’exclure de tout, Grigris, 25 ans, se rêve en danseur. Un défi. Mais son rêve se brise lorsque son oncle tombe gravement malade…

Grigris - critique cannoiseGrigris pense que rien ne lui est impossible, malgré sa jambe malade. Il rêve d’être un danseur reconnu, une star, il rêve de Mimi, cette fille magnifique qui voudrait devenir mannequin, il rêve de pouvoir offrir à son oncle malade tout ce dont il a besoin.

Grigris aimerait être le fils prodigue. Alors, sans beaucoup parler, sans jamais se livrer, il fait ce qui est en son pouvoir sans se soucier des conséquences. La force du film de Mahamat Saleh Haroun, c’est ce personnage taciturne et ambitieux, cet homme naïf et inconscient qui imagine le monde plus beau et plus facile qu’il ne l’est.

Malheureusement, le récit est bien trop ordinaire pour vraiment nous surprendre ou nous donner des émotions. Le réalisateur tchadien semble avoir placé son beau personnage dans une histoire qui n’a que peu d’arguments pour bien le mettre en valeur. Dans cette banale intrigue d’activités illicites et de règlements de compte entre truands, Grigris poursuit simplement son rêve avec candeur.

Le jeu très approximatif d’Anaïs Monory finit de rendre le film légèrement bancal. Dommage car il y avait là un fort potentiel romanesque.

Note : 4/10

Grigris
Un film de Mahamat Saleh Haroun avec Soulémane Démé, Marius Yelolo et Anaïs Monory
Drame, Thriller – Tchad, France – 1h40 – Sortie le 28 août 2013

Gatsby le Magnifique – critique cannoise

Suite du tour d’horizon de Cannes 2013 avec le film d’ouverture du Festival, présenté hors compétition. Le réalisateur de Moulin Rouge s’empare du célèbre roman de Fitzgerald avec l’exubérance festive qu’on lui connaît. S’il arrive à saisir les moeurs étourdissantes de la société new-yorkaise des années 20, les profondeurs délicates du roman lui glissent entre les doigts.

Synopsis : Printemps 1922. Nick Carraway s’installe à New York et se retrouve au cœur du monde fascinant des milliardaires, de leurs illusions, de leurs amours et de leurs mensonges.

Gatsby le Magnifique - critique cannoiseDifficile de ne pas faire le parallèle entre le personnage de Francis Scott Fitzgerald et Baz Luhrmann, tant le cinéma de ce dernier est faste et clinquant, tout entier tendu vers l’objectif de nous en jeter plein les yeux, de nous séduire jusqu’au vertige, de nous imposer son luxe comme la preuve irréfutable de sa qualité.

Le talent de prestidigitateur du réalisateur australien est intact, la caméra nous déboussole et nous excite, grâce au support d’une bande originale anachronique très pertinente (la démesure hip-hop comme réponse moderne au tourbillon jazz des années 20), grâce à la matière du formidable roman de Fitzgerald.

Pourtant, tel Gatsby dans sa grande maison vide une fois la fête terminée, le spectateur a bien du mal à garder quelque chose d’autre du film que le souvenir d’un moment de folie tapageuse. La profonde mélancolie du roman reste lointaine, comme cette lumière verte inaccessible. D’abord maître du divertissement, Baz Luhrmann n’arrive à gratter que la surface chic du mélodrame.

Si Carey Mulligan, Elizabeth Debicki et surtout Leonardo DiCaprio sont très bien, on est beaucoup moins convaincus par Joel Edgerton, qui campe un Tom Buchanan trop rustre, presque ridicule, enlevant beaucoup à l’épaisseur du personnage du roman. Surtout, Tobey Maguire fait un bien mauvais Nick Carraway. Avec son incessant sourire en coin, ce Nick-là parait toujours un peu amusé par la tournure des événements. Alors, la terrible tragédie de Fitzgerald flirte sans cesse avec la farce grossière. Difficile dans ces conditions de s’émouvoir vraiment pour l’histoire d’amour de Gatsby et de Daisy.

D’autant plus que le récit cède à certaines facilités qui l’affaiblissent. Ainsi un raccourci très malheureux donne à Tom la responsabilité presque complète du drame final, achevant ainsi le portrait sans nuance du personnage. Le jeu sur les téléphones à la fin du film introduit de nombreux contre-sens malvenus au profit d’un très relatif suspense narratif. Enfin, et c’est peut-être le pire, Baz Luhrmann a toutes les peines du monde à faire monter le suspense autour du personnage de Gatsby, à le rendre aussi mystérieux et insaisissable qu’il ne l’est pendant les deux premiers tiers du roman.

Gatsby, moins insaisissable et mystérieux que dans le roman

La question essentielle n’est donc pas résolue : comment traduire les mots sublimes de Francis Scott Fitzgerald à l’image? Comment leur trouver un équivalent cinématographique? Luhrmann n’arrive à traiter qu’une partie de la substance du livre, les excès exubérants d’une fête qui jamais ne s’arrête, même pas le temps de pleurer les victimes qu’elle laisse sur le bord de la route.

Pour le reste, le cinéaste essaie tout simplement de réutiliser les mots de l’écrivain, mais ceux-ci, aussi puissants soient-ils, se perdent dans le fatras aguichant de la mise en scène.

Le film est donc au final plutôt superficiel et distant, mais plus fidèle qu’il n’y parait; comme le personnage titre il mise tout sur le spectaculaire, espérant ainsi nous aveugler et nous conquérir. Après avoir lu le roman de Fitzgerald, comment pourrait-on le reprocher à Baz le Magnifique?

Note : 5/10

Gatsby le Magnifique (titre original : The Great Gatsby)
Un film de Baz Luhrmann avec Leonardo DiCaprio, Tobey Maguire, Carey Mulligan, Isla Fisher, Elizabeth Debicki, Jason Clarke, Joel Edgerton et Adelaide Clemens
Drame, Romance – Australie, USA – 2h22 – Sorti le 15 mai 2013

Ma vie avec Liberace – critique cannoise

Suite du tour d’horizon du Festival de Cannes 2013. Le dernier film de Soderbergh, réalisateur révélé sur la croisette en 1989 avec la Palme d’or de Sexe, Mensonges et Vidéo, est un biopic assez classique qui raconte l’histoire d’amour très déséquilibrée entre le phénomène Liberace et le jeune Scott Thorson. Les acteurs sont convaincants mais le film manque d’ampleur.

Synopsis : Liberace, pianiste virtuose et exubérant, star des plateaux télé, aimait la démesure. En 1977, malgré la différence d’âge et de milieu social, il entame une liaison avec le jeune Scott.

Ma vie avec Liberace - critique cannoiseSoderbergh enchaîne les films à un rythme qui donne le tournis, annonçant régulièrement sa retraite alors que Ma vie avec Liberace est son 5ème film à sortir en un an et demi.

Les héros de ses derniers films sont toujours aux prises avec un phénomène qui les dépasse, qu’il soit naturel (un virus dans Contagion, l’effet de médicaments dans Effets secondaires) ou créé par l’homme (une machination, encore dans Effets secondaires, les services secrets dans Piégée ou la gloire dans Magic Mike).

Ici, Scott entre dans le monde très fermé d’un artiste richissime, Liberace, un homme ultra-possessif qui aime tout contrôler, tout diriger, modifier les choses et les êtres pour qu’ils soient le plus fidèle possible à son image. Liberace transforme tout ce qui l’entoure en une émanation de lui-même, et Scott va devoir peu à peu se plier aux désirs de son employeur/mentor, progressivement piégé, contaminé, terrassé par les effets secondaires d’un amour en forme d’égocentrisme dévastateur.

Mais Scott nous fait surtout penser à Mike le stripteaseur, embarqué dans un rêve impossible de réussite et de reconnaissance, pensant pouvoir garder le contrôle, croyant être maître de la situation et se rendant compte peu à peu que les rênes lui échappent, qu’il n’est qu’un pion dans un échiquier qui existait avant lui, qui existera après lui, qui n’a pas besoin de lui pour perdurer.

Décidément obsédé depuis 2 ans par la perte de contrôle, Soderbergh traite pour la première fois ce thème sous l’angle de l’histoire d’amour. A quel point l’amour de l’autre se nourrit-il et se détruit-il de l’amour de soi? Aimer n’est-ce pas aussi se reconnaître dans l’être aimé, n’est-ce pas aussi voir l’être aimé en soi? N’est-ce pas brouiller ce rapport à l’autre et à soi en une même interrogation identitaire?

Scott aime-t-il Liberace pour lui-même ou pour tout ce qu’il est capable de lui apporter? L’histoire est certes un peu simple et linéaire, mais elle pose des questions vertigineuses sur les motivations des personnages, sur leur part de sincérité et de manipulation.

Steven Soderbergh ne trouve toujours pas la recette pour nous enthousiasmer vraiment, mais il livre un nouveau film honnête et intéressant. Il ne manquerait qu’un zeste d’originalité et d’émotion pour que la performance remarquable de Michael Douglas soit plus qu’une simple performance.

En l’état, l’histoire d’amour homosexuelle de Soderbergh est vite éclipsée par le chef d’œuvre du Festival de Cannes, le dernier film d’Abdellatif Kechiche.

Note : 5/10

Ma vie avec Liberace (titre original : Behind the Candelabra)
Un film de Steven Soderbergh avec Michael Douglas, Matt Damon et Dan Aykroyd
Drame, Biopic – USA – 1h58 – Sortie le 18 septembre 2013

La Grande Bellezza – critique cannoise

Suite du tour d’horizon du Festival de Cannes 2013. Le film italien de la compétition est riche et ambitieux, malheureusement trop long. Les scènes de fête sont splendides, les dialogues souvent justes. Mais à force d’accumulation, La Grande Bellezza, trop gras, trop généreux, devient un peu indigeste.

Synopsis : Jep Gambardella, la soixantaine, jouit des mondanités romaines. Il est de toutes les soirées et de toutes les fêtes, son esprit fait merveille, mais un malaise monte en lui.

La Grande Bellezza - critique cannoiseLa séquence d’ouverture du film est à couper le souffle. Il y a autant de beauté que de vacuité dans cette débauche de corps et de musique, de cris et de joie. La caméra s’emballe, nous faisons partie de la fête, c’est à la fois grisant et vertigineux.

Paolo Sorrentino nous offre une expérience de cinéma baroque, souvent enthousiasmante, parfois un peu assommante. Quelques scènes formidables et des dialogues souvent savoureux n’empêchent pas le film de traîner en longueur.

A force d’enchaîner les tableaux surréalistes et poétiques, le réalisateur italien finit par en faire trop, semblant trouver toujours de nouveaux prétextes pour continuer son interminable galerie d’étrangetés romaines. Au risque de faire perdre au film sa cohérence, et de lui donner l’apparence d’un catalogue de situations burlesques et outrancières. Ainsi, quand Jep se retrouve face à une girafe, tout peut arriver et le sens de l’histoire semble s’évaporer.

Pourtant, très inspiré par Fellini et sa Dolce Vita, Sorrentino arrive à dresser le portrait à la fois fascinant et désenchanté de la Ville Eternelle et de ses mondanités. A la recherche d’une émotion disparue, d’une beauté qu’on poursuit mais qui toujours s’échappe. A la recherche d’une époque et de rêves révolus. Malgré ses longueurs, la Grande Bellezza séduit par ses moments de grâce. Le film aurait mérité d’être plus resserré pour vraiment nous bouleverser.

Note : 6/10

La Grande Bellezza
Un film de Paolo Sorrentino avec Toni Servillo, Carlo Verdone, Sabrina Ferilli
Comédie dramatique – Italie, France – 2h22 – Sorti le 22 mai 2013

All Is Lost – critique cannoise

Présenté hors compétition à Cannes, All Is Lost était attendu à plus d’un titre. D’abord parce qu’il s’agit du 2nd film de J.C. Chandor, après le succès de Margin Call. Ensuite parce qu’il y a un seul acteur dans le film (Robert Redford), un seul décor (l’océan) et presque aucun dialogue. Dispositif dont on admire la rigueur sans pouvoir cependant éviter de s’ennuyer à mourir.

Synopsis : Après avoir heurté un container à la dérive avec son voilier, un homme doit lutter pour survivre, seul au milieu de l’Océan Indien.

All Is Lost - critique cannoiseOn pense forcément à Seul au monde et à L’Odyssée de Pi. Sauf que J.C. Chandor n’use d’aucun artifice : ici, le héros ne parle ni à un ballon, ni à un tigre, il est complètement isolé, sa voix ne se fait entendre que très rarement, le temps d’un juron ou d’une rapide voix-off relatant ce qu’il écrit dans son journal.

Un survival filmé de manière naturaliste, avec quelques plans intéressants, comme lorsque le bateau se retourne et que le héros grimpe au mur puis au plafond au gré des changements de gravité, ou quand il monte tout en haut du mât pour essayer de le réparer, communiquant au spectateur une sensation de vide et de vertige.

Malheureusement, tout cela ne suffit pas, et on s’ennuie ferme devant ce film qui énumère sagement tous les poncifs du genre, la tempête, les requins, les navires qui passent mais ne l’aperçoivent pas…

La performance est intrigante sur le papier, mais l’exercice de style fatigue dès les premières minutes, et il faut attendre trois quart d’heures pour que l’aventure nous réveille un peu. La seconde partie est plus facile à suivre, mais très classique. Un film soporifique.

Note : 2/10

All Is Lost
Un film de J.C. Chandor avec Robert Redford
Aventure – USA – 1h45 – Sortie le 11 décembre 2013