Drive

Après une excursion dans la mythologie scandinave avec Le Guerrier Silencieux, Nicolas Winding Refn revient au thriller urbain dans lequel la ville, forcément menaçante, resserre peu à peu son étreinte sur un héros damné. Drive, d’une beauté captivante, et malgré un scénario parfois trop simple, nous offre certaines des séquences les plus saisissantes de l’année.

Synopsis : Un jeune homme solitaire conduit le jour pour le cinéma en tant que cascadeur et la nuit pour des truands. Sa rencontre avec Irène et son jeune fils va bouleverser sa vie…

Drive - critiqueDès la première scène, le ton est donné : le scénario sera minimaliste, sublimé par une esthétique métallique, reflet d’un monde et d’une ville (Los Angeles) hostiles et fascinants.

Drive est un film sur papier glacé, l’image est d’une beauté à couper le souffle, la musique, une pop eighties idéalement sucrée, alterne avec des rythmes dansants et oppressants. Toute la recherche formelle participe à fondre en une seule émotion l’angoisse et le plaisir qu’on a à vivre dans un univers fondamentalement dangereux. La beauté presque artificielle de Ryan Gosling, visage absent et regard impassible, renforcent le mystère de ce personnage sans nom, détaché de tout et qui pourtant s’attache.

Un héros sans faille comme sorti tout droit d’un jeu vidéo, un inconnu au passé mystérieux, un passé dont on ne parle jamais mais qui ressort, dans des fulgurances inattendues, par des gestes précis et terribles que seul un homme qui a vécu des choses indicibles est capable d’exécuter. Toute l’histoire de Drive, c’est comment cet homme qui ne se mêle que de lui-même, comment ce roc solide et solitaire va se fissurer et s’engager pour sauver une femme et son enfant.

Alors la mécanique s’enraye, l’univers se complexifie, l’ordre apparent se brise. Alors l’homme à la veste de scorpion se retrouve traqué, pris dans un étau qui se resserre peu à peu, comme l’était le personnage de Pusher. Nicolas Winding Refn nous avait déjà habitué à la lutte sauvage d’un homme pour sortir d’une situation inextricable. Les héros du réalisateur danois ont en eux toute la violence originelle de l’homme. Bronson ne pouvait pas la dissimuler. Chez le driver au contraire, elle est parfaitement contrôlée, parfaitement rangée. Jusqu’à ce qu’elle redevienne nécessaire. La violence est enfouie en chaque homme aussi profondément que l’instinct de survie. Chez Refn, l’homme est en danger. Il a besoin de cette violence pour continuer à vivre, coûte que coûte.

Certaines séquences resteront parmi les plus belles du cinéma de 2011. Quand Nicolas Winding Refn filme l’intérieur d’un supermarché, l’utilisation du grand angle multiplie les produits, allonge les rayons, bloque la jeune femme fragile dans un couloir surcoloré d’objets à acheter qui rappelle le pop art autant qu’il étouffe l’héroïne dans une logique de consommation forcément abusive. Quand il filme son héros en contre-plongée, il nous place dans la peau d’un enfant, obligés d’admirer cet homme qui nous surplombe de toute sa taille et de toute son histoire dont nous ne pourrons jamais rien savoir.

Quand Nicolas Winding Refn nous enferme dans un ascenseur, c’est pour faire jaillir, dans l’une des scènes les plus fortes et les plus belles qu’on puisse imaginer, toute la tension primitive de l’homme, déchiré entre l’eros et le thanatos. Le ralenti, d’abord purement esthétique, devient métaphysique : il étend le temps de l’amour et le temps de la mort, le temps qu’un ascenseur s’ouvre et se referme, révélant définitivement le démon qui se cache à l’intérieur de l’ange.

Aucun homme ne peut vivre simplement pour lui-même. Aucun homme ne peut se protéger des autres. Voilà l’histoire de Drive, celle d’un homme venu de l’enfer, et obligé d’y retourner parce qu’il a été touché par la grâce. On pourra toujours penser que le scénario est léger ou classique, on sera obligé de reconnaître que la mise en scène magistrale sublime le propos et lui donne des résonances mythologiques.

Si la fin manque malheureusement d’intérêt (les dernières images du film sont anecdotiques), Drive reste un bijou d’intensité et de beauté menaçante. Avec un scénario encore plus accompli, à la hauteur de Nicolas Winding Refn, Drive aurait pu être un véritable chef d’oeuvre. En l’état, c’est déjà un film admirable, l’un des meilleurs de l’année.

Note : 7/10

Drive
Un film de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling, Carey Mulligan et Bryan Cranston
Thriller – USA – 1h40 – Sorti le 5 octobre 2011
Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2011

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Publié le 8 octobre 2011, dans Films sortis en 2011, et tagué , , , , . Bookmarquez ce permalien. 9 Commentaires.

  1. Tout à fait d’accord, Drive est sublimé par la lumière du film, mais aussi par la bande son ! Et la scène de l’ascenseur est vraiment la plus belle !

    Bonne continuation,

  2. J’ai lu ton article, effectivement on est d’accord 🙂

  3. c’est marrant je n’arrive pas à être d’accord avec la notion « mythologique » ou grandiloquente du « héros – roc qui se fissure » et pourtant tu n’es pas le premier qui en parle.
    c’est peut-être parce que j’ai découvert NWR avec les 3 Pusher, mais j’ai toujours eu le sentiment que ses personnages étaient plutôt des anti-sociaux et qu’il stigmatisait le problème sociétal de la compromission de l’individu à travers eux.

    en fait, quelque part, quand j’vois un film de NWR, je pense souvent à l’insociable sociabilité de Kant et je pense aussi aux nombreux compromis auquel se réal a du se plier pour faire les films qu’il avait envie de faire…(tâches dont il s’est, à mon humble avis, très admirablement acquitté à chaque fois!!).

    cela dit, il y a quelque chose d’héroïque à braver la société en refusant de se compromettre pour elle, mais c’est une chose impossible malheureusement dans notre monde, et même dans celui de la fiction de Refn, parce que, ses personnages, justement humains sont déchirés entre le désir d’en faire partie ou de s’attacher (que ce soit les Pusher avec leurs problèmes familaux, le guerrier silencieux avec l’enfant, même Bronson a ses moments et le Driver avec Irène et Benicio) et le besoin de s’accomplir en tant qu’Individu.

    Le plan d’ouverture (pano circulaire dans la chambre pendant qu’il parle au téléphone et caméra qui sort ensuite par la fenêtre) illustre déjà, à mon avis, la condamnation du personnage, enfermé dans cette boucle – ce problème insoluble de l’individu qui veut s’accomplir sans être souillé par l’extérieur (« je ne porte pas d’arme, je ne participe pas, je conduis juste ») – et cette condamnation fatale de la ville…qui elle aussi induit une dilemme: c’est elle qui le condamne (elle est pleine de magouilleurs mais elle renferme aussi Irène et Benicio) et c’est elle qui le conditionne (sans elle, il ne conduirait pas…ou du moins, j’pense qu’il ne se sentirait pas aussi « lui-même » s’il conduisait en pleine campagne. Il y a moins à fuir, à éviter et je crois que sa motivation en tant que conducteur est justement de réussir à se sortir des exigences de ce monde.)

    Le scorpion à mon humble avis illustre aussi cette condamnation…qu’on soit prédateur ou proie, de toute façon, à la fin on se noie. Aucun des deux ne peut traverser la rivière sans se noyer, et je ne crois pas qu’il soit particulièrement dans notre « nature » de piquer l’autre (ou de se faire piquer)…je pense que c’est le besoin de traverser la rivière qui définit notre nature (allons nous faire « le bien » ou « le mal » pour survivre/supporter les exigences de la société)…mais au final, c’est elle qui nous avale.

    « Aucun homme ne peut vivre simplement pour lui-même. Aucun homme ne peut se protéger des autres. »

    Oui, je suis vraiment et très sincèrement d’accord.

    « Voilà l’histoire de Drive, celle d’un homme venu de l’enfer, et obligé d’y retourner parce qu’il a été touché par la grâce. On pourra toujours penser que le scénario est léger ou classique, on sera obligé de reconnaître que la mise en scène magistrale sublime le propos et lui donne des résonances mythologiques. »

    C’est vraiment ça qui me chagrine. Pourquoi ce terrible besoin de grandiloquence tout le temps quand la simplicité est toute aussi belle. Pourquoi l’imagerie d’un ange déchu serait-elle plus belle que celle d’un Bukowski ou d’un Bad Lieutenant (sans nom lui aussi)?

    D’ailleurs; je pense que si les personnages Refniens n’ont pas de noms, c’est justement pour qu’on puisse y mettre le notre. Les Pusher sont tous trois rassemblés sous un seul titre, Bronson porte un surnom et le guerrier silencieux n’avait pas de nom non plus. Je les ai toujours ressenti comme étant tout le monde et personne à la fois…et en même temps, qu’est-ce qu’un nom dans le parcours de notre être? C’est une exigence de plus de la part de la société, mais ça ne rend pas compte de notre richesse et de notre complexité.

  4. Je suis d’accord, s’ils n’ont pas de noms, c’est d’une part pour qu’on puisse y mettre le nôtre. Mais c’est aussi, comme tu le dis, parce qu’ils ne sont personne de bien défini, ce qui leur donne à mon sens une dimension d’irréalité quasi-religieuse. Le driver est d’une force et d’une maitrise surhumaines, il semble venir de nulle part, n’avoir presque pas de personnalité, et il s’engage dans une histoire tordue par compassion (et par amour). Difficile pour moi de ne pas voir dans ce personnage une sorte de demi-Dieu. Et en même temps, demi-Dieu parce que comme tu le dis il est pleinement homme et son parcours n’a de raison d’être que dans le contexte défini par la société.

  5. Ouahouuuuuuuuuu première fois que je suis quasiment entièrement d’accord avec toi sur un film !! On va peut-être y arriver ?! Oui pour la beauté des images, de la lumière, de l’opposition rapidité/ralentis, oui au côté mythologique, oui à la légèreté du scénario sublimé par une mise en scène qui méritait son prix à Cannes… Le seul désaccord sera sur la scène du supermarché… Je l’ai trouvé peu originale et assez attendue…
    Et tout de même, mention bien à Carey Mulligan non ? Expressive jusqu’au bout des ongles.

    • héhé Adeline, je suis sûr que tu as déjà été d’accord sans le savoir 😉
      La scène du supermarché est certes peu originale (comme la plupart des scènes du film) mais c’est la manière dont elle est filmée qui me la rend fascinante 😉 Et ok pour Miss Mulligan 😉

  6. Pour moi la claque est entière. L’un des meilleurs films de l’année, c’est certain !

  7. Pour moi le film est complètement abouti à quelques petits détails. Et le scénario n’en fait pas partie. Le roman laisse une place énorme à l’ambiance et le Driver est un personnage introverti, mystérieux et peu bavard. NWR a réussi à transcrire cela à l’écran, créant une ambiance planante et inquiétante, pour moi il réussit le challenge de l’adaptation haut la main et il signe en plus une référence instantanée en la matière.

  8. Peut-être est-ce une bonne adaptation (je n’ai pas lu le roman), en tout cas l’histoire n’est pas à la hauteur du film, notamment la fin, très triviale à mon avis.

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