Archives de Catégorie: Films sortis en 2013
Michael Kohlhaas
Sortie avant-hier du film d’Arnaud des Pallières, vu au Festival de Cannes. Si on regrette une mise en scène extrêmement sévère et rugueuse, presque assommante, on finit par se passionner pour les dilemmes philosophiques exigeants et essentiels que pose le film. Mads Mikkelsen est fascinant, il touche la grâce dans un dernier plan extraordinaire.
Synopsis : Au XVIème siècle, le marchand Michael Kohlhaas mène une vie prospère. Victime d’une injustice, cet homme pieux et intègre met le pays à feu et à sang pour rétablir son droit.
Certes il y a dans la réalisation d’Arnaud des Pallières une extrême rigueur qui fait écho à la décision, toute aussi rigoureuse, de Michael Kohlhaas, de lutter pour ce qu’il estime être la justice. Mais à force d’austérité, le film se fait malgré lui la caricature d’un cinéma d’auteur lent et ennuyeux.
Les séquences sont terriblement longues, le son arrive souvent bien avant l’image, de sorte que chaque plan est très largement préparé et qu’on se lasse toujours très vite. Pourtant, après 40 minutes difficiles, le film révèle enfin un sujet d’une ampleur gigantesque.
En forme de dissertation philosophique, Michael Kohlhaas pose la question des principes, de la valeur des impératifs catégoriques. La justice vaut-elle qu’on risque de tout y sacrifier, ses proches, soi-même, sa vie? A-t-on le droit de se battre par tous les moyens quand on a raison? Et surtout, est-ce le bon choix? Au contraire, est-il acceptable de se résigner, d’accepter pragmatiquement que justice ne soit pas rendue?
Kohlhaas se bat pour une idée, non pour l’importance du tort qu’on lui a fait. Il n’est pas à deux chevaux près, mais il refuse de voir l’injustice triompher. « Mourir pour ses idées, oui mais de mort lente » chantait Brassens. Michael Kohlhaas, à l’opposé de cette maxime, est prêt à tout pour les principes qui lui paraissent fondamentaux. Son âme, aussi pure que l’acier, accepte de se rendre quand il se trouve être lui-même responsable (malgré lui) de méfaits. Tel Socrate prêt à boire la cigüe, car il est pour lui essentiel de se soumettre à la même justice que les autres.
Les dilemmes éthiques du film sont universels, aussi pertinents au Moyen-Âge qu’aujourd’hui, attachés à la nature même de l’être humain. Attendre une mort certaine, connaître son lieu, son heure et la manière dont elle nous frappera, voilà le pire supplice de l’homme, qu’il ait vécu il y a des siècles ou qu’il vive aujourd’hui. En miroir des principes moraux, il y a l’individu. L’homme, seul face à sa mort, regarde en lui les derniers instants d’existence qui s’égrènent. Le dernier plan du film est un miracle.
Mads Mikkelsen aurait sans aucun doute mérité le prix d’interprétation à Cannes, beaucoup plus que l’année dernière pour La Chasse. Dans ses yeux nous pouvons lire l’âme de son personnage, sa quête d’absolu et d’éthique, son inexprimable détresse devant le destin qui se scelle.
Le film aurait mérité une mise en scène moins aride, moins connotée. En dépit d’une forme très pesante, le récit trouve finalement son point d’équilibre entre l’allégorie métaphysique et le destin d’un être humain. D’abord franchement ennuyeux et fermé, Michael Kohlhaas atteint même des cimes inespérées. Sous la pierre rugueuse se cache un diamant d’humanité brute.
Note : 5/10
Michael Kohlhaas
Un film d’Arnaud des Pallières avec Mads Mikkelsen, Mélusine Mayance, Delphine Chuillot, David Kross, Bruno Ganz, Denis Lavant, Roxane Duran, Sergi Lopez, Amira Casar et Jacques Nolot
Drame – France, Allemagne – 2h02 – Sortie le 14 août 2013
Nebraska
On attendait Michael Douglas ou Oscar Isaac, Mads Mikkelsen ou Toni Servillo, c’est Bruce Dern qui obtint le Prix d’Interprétation masculine à Cannes. Et effectivement, son regard égaré fait merveille dans le dernier film d’Alexander Payne, une comédie douce-amère qui respecte toutes les recettes du cinéma indépendant US, mais qui arrive quand même à nous toucher.
Synopsis : Un vieil homme, persuadé qu’il a gagné le gros lot à un improbable tirage au sort par correspondance, cherche à rejoindre le Nebraska pour y recevoir son gain…
Quand on voit un film d’Alexander Payne, on sait très bien à quoi s’attendre. Des personnages un peu perdus, une histoire un peu statique au cours de laquelle chacun se révèle, une pincée de nostalgie, de l’humour tendre, une douceur très calibrée. Au bout du chemin, les frustrations et les désillusions butent toujours contre un petit bout d’humanité, modeste et rédempteur.
Le cahier des charges de la comédie indépendante US est maintenant si connu qu’on est à chaque fois un peu dépité devant des films sans surprise, à la saveur toujours identique, comme s’il fallait toujours reproduire le succès bien sage de Little Miss Sunshine.
The Descendants souffrait en plus d’un cruel manque de rythme. Nebraska suit tous les codes du genre et pourtant, force est de reconnaître qu’il s’agit là d’un exemple particulièrement réussi de ce type de cinéma.
Nebraska ne prend aucun risque, jamais nos habitudes de spectateurs ne seront bouleversées. Pourtant, il y a dans ce récit une alchimie particulière. L’émotion est bel et bien là, légère, par la grâce de personnages délicats (Kate Grant, avec son franc-parler, nous séduit de plus en plus au cours du film) et d’acteurs très convaincants (notamment June Squibb et bien sûr Bruce Dern, Prix d’interprétation à Cannes pour ce rôle).
Surtout, le film est souvent drôle (toute la séquence de vol du compresseur, les scènes dans la maison familiale) et l’histoire, très simple, possède beaucoup de justesse et avance sans temps mort, ce qui n’était pas forcément gagné, d’autant plus après le très longuet et artificiel The Descendants.
Certes Nebraska ne brille pas par son originalité, certes le film est précisément dans le ton qu’on attendait de lui, mais il faut reconnaître qu’il arrive quand même à nous surprendre par la précision de son intrigue et par la tendresse de ses situations.
Note : 6/10
Nebraska
Un film d’Alexandre Payne avec Bruce Dern, Will Forte, Bob Odenkirk et June Squibb
Comédie dramatique – USA – 1h50 – Sorti le 2 avril 2014
Prix d’Interprétation masculine au Festival de Cannes 2013
Grigris
Sortie aujourd’hui du seul film africain de la compétition cannoise 2013. Mahamat Saleh Haroun avait déjà connu le succès sur la croisette il y a 3 ans avec le Prix du Jury pour le très beau Un homme qui crie. Malheureusement, en dépit du beau personnage-titre, Grigris raconte une histoire beaucoup moins forte, qui peine à vraiment nous convaincre.
Synopsis : Alors que sa jambe paralysée devrait l’exclure de tout, Grigris, 25 ans, se rêve en danseur. Un défi. Mais son rêve se brise lorsque son oncle tombe gravement malade…
Grigris pense que rien ne lui est impossible, malgré sa jambe malade. Il rêve d’être un danseur reconnu, une star, il rêve de Mimi, cette fille magnifique qui voudrait devenir mannequin, il rêve de pouvoir offrir à son oncle malade tout ce dont il a besoin.
Grigris aimerait être le fils prodigue. Alors, sans beaucoup parler, sans jamais se livrer, il fait ce qui est en son pouvoir sans se soucier des conséquences. La force du film de Mahamat Saleh Haroun, c’est ce personnage taciturne et ambitieux, cet homme naïf et inconscient qui imagine le monde plus beau et plus facile qu’il ne l’est.
Malheureusement, le récit est bien trop ordinaire pour vraiment nous surprendre ou nous donner des émotions. Le réalisateur tchadien semble avoir placé son beau personnage dans une histoire qui n’a que peu d’arguments pour bien le mettre en valeur. Dans cette banale intrigue d’activités illicites et de règlements de compte entre truands, Grigris poursuit simplement son rêve avec candeur.
Le jeu très approximatif d’Anaïs Monory finit de rendre le film légèrement bancal. Dommage car il y avait là un fort potentiel romanesque.
Note : 4/10
Grigris
Un film de Mahamat Saleh Haroun avec Soulémane Démé, Marius Yelolo et Anaïs Monory
Drame, Thriller – Tchad, France – 1h40 – Sortie le 28 août 2013
Gatsby le Magnifique – critique cannoise
Suite du tour d’horizon de Cannes 2013 avec le film d’ouverture du Festival, présenté hors compétition. Le réalisateur de Moulin Rouge s’empare du célèbre roman de Fitzgerald avec l’exubérance festive qu’on lui connaît. S’il arrive à saisir les moeurs étourdissantes de la société new-yorkaise des années 20, les profondeurs délicates du roman lui glissent entre les doigts.
Synopsis : Printemps 1922. Nick Carraway s’installe à New York et se retrouve au cœur du monde fascinant des milliardaires, de leurs illusions, de leurs amours et de leurs mensonges.
Difficile de ne pas faire le parallèle entre le personnage de Francis Scott Fitzgerald et Baz Luhrmann, tant le cinéma de ce dernier est faste et clinquant, tout entier tendu vers l’objectif de nous en jeter plein les yeux, de nous séduire jusqu’au vertige, de nous imposer son luxe comme la preuve irréfutable de sa qualité.
Le talent de prestidigitateur du réalisateur australien est intact, la caméra nous déboussole et nous excite, grâce au support d’une bande originale anachronique très pertinente (la démesure hip-hop comme réponse moderne au tourbillon jazz des années 20), grâce à la matière du formidable roman de Fitzgerald.
Pourtant, tel Gatsby dans sa grande maison vide une fois la fête terminée, le spectateur a bien du mal à garder quelque chose d’autre du film que le souvenir d’un moment de folie tapageuse. La profonde mélancolie du roman reste lointaine, comme cette lumière verte inaccessible. D’abord maître du divertissement, Baz Luhrmann n’arrive à gratter que la surface chic du mélodrame.
Si Carey Mulligan, Elizabeth Debicki et surtout Leonardo DiCaprio sont très bien, on est beaucoup moins convaincus par Joel Edgerton, qui campe un Tom Buchanan trop rustre, presque ridicule, enlevant beaucoup à l’épaisseur du personnage du roman. Surtout, Tobey Maguire fait un bien mauvais Nick Carraway. Avec son incessant sourire en coin, ce Nick-là parait toujours un peu amusé par la tournure des événements. Alors, la terrible tragédie de Fitzgerald flirte sans cesse avec la farce grossière. Difficile dans ces conditions de s’émouvoir vraiment pour l’histoire d’amour de Gatsby et de Daisy.
D’autant plus que le récit cède à certaines facilités qui l’affaiblissent. Ainsi un raccourci très malheureux donne à Tom la responsabilité presque complète du drame final, achevant ainsi le portrait sans nuance du personnage. Le jeu sur les téléphones à la fin du film introduit de nombreux contre-sens malvenus au profit d’un très relatif suspense narratif. Enfin, et c’est peut-être le pire, Baz Luhrmann a toutes les peines du monde à faire monter le suspense autour du personnage de Gatsby, à le rendre aussi mystérieux et insaisissable qu’il ne l’est pendant les deux premiers tiers du roman.

La question essentielle n’est donc pas résolue : comment traduire les mots sublimes de Francis Scott Fitzgerald à l’image? Comment leur trouver un équivalent cinématographique? Luhrmann n’arrive à traiter qu’une partie de la substance du livre, les excès exubérants d’une fête qui jamais ne s’arrête, même pas le temps de pleurer les victimes qu’elle laisse sur le bord de la route.
Pour le reste, le cinéaste essaie tout simplement de réutiliser les mots de l’écrivain, mais ceux-ci, aussi puissants soient-ils, se perdent dans le fatras aguichant de la mise en scène.
Le film est donc au final plutôt superficiel et distant, mais plus fidèle qu’il n’y parait; comme le personnage titre il mise tout sur le spectaculaire, espérant ainsi nous aveugler et nous conquérir. Après avoir lu le roman de Fitzgerald, comment pourrait-on le reprocher à Baz le Magnifique?
Note : 5/10
Gatsby le Magnifique (titre original : The Great Gatsby)
Un film de Baz Luhrmann avec Leonardo DiCaprio, Tobey Maguire, Carey Mulligan, Isla Fisher, Elizabeth Debicki, Jason Clarke, Joel Edgerton et Adelaide Clemens
Drame, Romance – Australie, USA – 2h22 – Sorti le 15 mai 2013
Ma vie avec Liberace – critique cannoise
Suite du tour d’horizon du Festival de Cannes 2013. Le dernier film de Soderbergh, réalisateur révélé sur la croisette en 1989 avec la Palme d’or de Sexe, Mensonges et Vidéo, est un biopic assez classique qui raconte l’histoire d’amour très déséquilibrée entre le phénomène Liberace et le jeune Scott Thorson. Les acteurs sont convaincants mais le film manque d’ampleur.
Synopsis : Liberace, pianiste virtuose et exubérant, star des plateaux télé, aimait la démesure. En 1977, malgré la différence d’âge et de milieu social, il entame une liaison avec le jeune Scott.
Soderbergh enchaîne les films à un rythme qui donne le tournis, annonçant régulièrement sa retraite alors que Ma vie avec Liberace est son 5ème film à sortir en un an et demi.
Les héros de ses derniers films sont toujours aux prises avec un phénomène qui les dépasse, qu’il soit naturel (un virus dans Contagion, l’effet de médicaments dans Effets secondaires) ou créé par l’homme (une machination, encore dans Effets secondaires, les services secrets dans Piégée ou la gloire dans Magic Mike).
Ici, Scott entre dans le monde très fermé d’un artiste richissime, Liberace, un homme ultra-possessif qui aime tout contrôler, tout diriger, modifier les choses et les êtres pour qu’ils soient le plus fidèle possible à son image. Liberace transforme tout ce qui l’entoure en une émanation de lui-même, et Scott va devoir peu à peu se plier aux désirs de son employeur/mentor, progressivement piégé, contaminé, terrassé par les effets secondaires d’un amour en forme d’égocentrisme dévastateur.
Mais Scott nous fait surtout penser à Mike le stripteaseur, embarqué dans un rêve impossible de réussite et de reconnaissance, pensant pouvoir garder le contrôle, croyant être maître de la situation et se rendant compte peu à peu que les rênes lui échappent, qu’il n’est qu’un pion dans un échiquier qui existait avant lui, qui existera après lui, qui n’a pas besoin de lui pour perdurer.
Décidément obsédé depuis 2 ans par la perte de contrôle, Soderbergh traite pour la première fois ce thème sous l’angle de l’histoire d’amour. A quel point l’amour de l’autre se nourrit-il et se détruit-il de l’amour de soi? Aimer n’est-ce pas aussi se reconnaître dans l’être aimé, n’est-ce pas aussi voir l’être aimé en soi? N’est-ce pas brouiller ce rapport à l’autre et à soi en une même interrogation identitaire?
Scott aime-t-il Liberace pour lui-même ou pour tout ce qu’il est capable de lui apporter? L’histoire est certes un peu simple et linéaire, mais elle pose des questions vertigineuses sur les motivations des personnages, sur leur part de sincérité et de manipulation.
Steven Soderbergh ne trouve toujours pas la recette pour nous enthousiasmer vraiment, mais il livre un nouveau film honnête et intéressant. Il ne manquerait qu’un zeste d’originalité et d’émotion pour que la performance remarquable de Michael Douglas soit plus qu’une simple performance.
En l’état, l’histoire d’amour homosexuelle de Soderbergh est vite éclipsée par le chef d’œuvre du Festival de Cannes, le dernier film d’Abdellatif Kechiche.
Note : 5/10
Ma vie avec Liberace (titre original : Behind the Candelabra)
Un film de Steven Soderbergh avec Michael Douglas, Matt Damon et Dan Aykroyd
Drame, Biopic – USA – 1h58 – Sortie le 18 septembre 2013

