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Nebraska

On attendait Michael Douglas ou Oscar Isaac, Mads Mikkelsen ou Toni Servillo, c’est Bruce Dern qui obtint le Prix d’Interprétation masculine à Cannes. Et effectivement, son regard égaré fait merveille dans le dernier film d’Alexander Payne, une comédie douce-amère qui respecte toutes les recettes du cinéma indépendant US, mais qui arrive quand même à nous toucher.

Synopsis : Un vieil homme, persuadé qu’il a gagné le gros lot à un improbable tirage au sort par correspondance, cherche à rejoindre le Nebraska pour y recevoir son gain…

Nebraska - critiqueQuand on voit un film d’Alexander Payne, on sait très bien à quoi s’attendre. Des personnages un peu perdus, une histoire un peu statique au cours de laquelle chacun se révèle, une pincée de nostalgie, de l’humour tendre, une douceur très calibrée. Au bout du chemin, les frustrations et les désillusions butent toujours contre un petit bout d’humanité, modeste et rédempteur.

Le cahier des charges de la comédie indépendante US est maintenant si connu qu’on est à chaque fois un peu dépité devant des films sans surprise, à la saveur toujours identique, comme s’il fallait toujours reproduire le succès bien sage de Little Miss Sunshine.

The Descendants souffrait en plus d’un cruel manque de rythme. Nebraska suit tous les codes du genre et pourtant, force est de reconnaître qu’il s’agit là d’un exemple particulièrement réussi de ce type de cinéma.

Nebraska ne prend aucun risque, jamais nos habitudes de spectateurs ne seront bouleversées. Pourtant, il y a dans ce récit une alchimie particulière. L’émotion est bel et bien là, légère, par la grâce de personnages délicats (Kate Grant, avec son franc-parler, nous séduit de plus en plus au cours du film) et d’acteurs très convaincants (notamment June Squibb et bien sûr Bruce Dern, Prix d’interprétation à Cannes pour ce rôle).

Surtout, le film est souvent drôle (toute la séquence de vol du compresseur, les scènes dans la maison familiale) et l’histoire, très simple, possède beaucoup de justesse et avance sans temps mort, ce qui n’était pas forcément gagné, d’autant plus après le très longuet et artificiel The Descendants.

Certes Nebraska ne brille pas par son originalité, certes le film est précisément dans le ton qu’on attendait de lui, mais il faut reconnaître qu’il arrive quand même à nous surprendre par la précision de son intrigue et par la tendresse de ses situations.

Note : 6/10

Nebraska
Un film d’Alexandre Payne avec Bruce Dern, Will Forte, Bob Odenkirk et June Squibb
Comédie dramatique – USA – 1h50 – Sorti le 2 avril 2014
Prix d’Interprétation masculine au Festival de Cannes 2013

La Grande Bellezza – critique cannoise

Suite du tour d’horizon du Festival de Cannes 2013. Le film italien de la compétition est riche et ambitieux, malheureusement trop long. Les scènes de fête sont splendides, les dialogues souvent justes. Mais à force d’accumulation, La Grande Bellezza, trop gras, trop généreux, devient un peu indigeste.

Synopsis : Jep Gambardella, la soixantaine, jouit des mondanités romaines. Il est de toutes les soirées et de toutes les fêtes, son esprit fait merveille, mais un malaise monte en lui.

La Grande Bellezza - critique cannoiseLa séquence d’ouverture du film est à couper le souffle. Il y a autant de beauté que de vacuité dans cette débauche de corps et de musique, de cris et de joie. La caméra s’emballe, nous faisons partie de la fête, c’est à la fois grisant et vertigineux.

Paolo Sorrentino nous offre une expérience de cinéma baroque, souvent enthousiasmante, parfois un peu assommante. Quelques scènes formidables et des dialogues souvent savoureux n’empêchent pas le film de traîner en longueur.

A force d’enchaîner les tableaux surréalistes et poétiques, le réalisateur italien finit par en faire trop, semblant trouver toujours de nouveaux prétextes pour continuer son interminable galerie d’étrangetés romaines. Au risque de faire perdre au film sa cohérence, et de lui donner l’apparence d’un catalogue de situations burlesques et outrancières. Ainsi, quand Jep se retrouve face à une girafe, tout peut arriver et le sens de l’histoire semble s’évaporer.

Pourtant, très inspiré par Fellini et sa Dolce Vita, Sorrentino arrive à dresser le portrait à la fois fascinant et désenchanté de la Ville Eternelle et de ses mondanités. A la recherche d’une émotion disparue, d’une beauté qu’on poursuit mais qui toujours s’échappe. A la recherche d’une époque et de rêves révolus. Malgré ses longueurs, la Grande Bellezza séduit par ses moments de grâce. Le film aurait mérité d’être plus resserré pour vraiment nous bouleverser.

Note : 6/10

La Grande Bellezza
Un film de Paolo Sorrentino avec Toni Servillo, Carlo Verdone, Sabrina Ferilli
Comédie dramatique – Italie, France – 2h22 – Sorti le 22 mai 2013

Un Château en Italie – critique cannoise

Suite du tour d’horizon du Festival de Cannes 2013. Et le troisième film de Valeria Bruni Tedeschi est l’un des quatre films français de la compétition. Malheureusement, c’est aussi l’un des plus anecdotiques. Du bruit, des cris, des larmes, beaucoup d’artifices pour essayer de fabriquer de l’émotion. Sans succès.

Synopsis : Louise rencontre Nathan, ses rêves ressurgissent. C’est aussi l’histoire de son frère malade et de leur mère, celui d’une grande famille de la bourgeoisie industrielle italienne.

Un Château en Italie - critique cannoiseValeria Bruni Tedeschi veut raconter une histoire d’amour, faire le portrait d’une femme de 40 ans perdue dans sa vie, sonder les liens familiaux, dépeindre la bourgeoisie italienne et se livrer à un récit très personnel et en partie autobiographique. Tout ceci est assemblé dans un pot-pourri de situations burlesques forcées et de dialogues loufoques calculés.

Le scénario est déconstruit, obsessionnel, souvent inintéressant. A force de vouloir à tout prix remplir son histoire de vie et d’exubérance, la réalisatrice rend son film artificiel et très maniéré. On sent partout le désir grossier d’être extravagant. Les personnages crient, s’agitent, se débattent, sans nous convaincre ou nous émouvoir.

Les anecdotes les plus banales se succèdent à l’écran sans jamais former un tout cohérent. Les enjeux sont faibles et très ordinaires, parfois on a l’impression d’être devant un mauvais téléfilm tant le côté mélo est traité sans finesse.

Après 1h40 de gesticulations exagérées et désordonnées, le spectateur est épuisé et indifférent. Il ne suffit pas d’adopter une attitude constamment outrancière pour toucher au cœur. Un Château en Italie semble être un film fait par Valeria Bruni Tedeschi pour Valeria Bruni Tedeschi. Un exercice nombriliste qui ne devrait intéresser vraiment qu’elle-même.

Note : 1/10

Un Château en Italie
Un film de Valeria Bruni Tedeschi avec Valeria Bruni Tedeschi, Louis Garrel et Filippo Timi
Comédie dramatique – France, Italie – 1h44 – Sortie le 2 octobre 2013

Inside Llewyn Davis – critique cannoise

Le Festival de Cannes vient de se terminer. Petit retour sur la sélection officielle. Et pour commencer, le très attendu film des frères Coen, habitués de la croisette et repartis cette fois-ci avec le Grand Prix. L’éternelle histoire d’un loser qui perd ses illusions. Une œuvre tendre mais sans surprise.

Synopsis : Une semaine de la vie d’un jeune chanteur de folk dans l’univers musical de Greenwich Village en 1961.

Inside Llewyn Davis - critique cannoiseLes frères Coen aiment les personnages de loser. Du héros d’Arizona Junior à celui d’O’brother, de Barton Fink au Big Lebowski, nombreux sont les protagonistes de leurs films à tourner en rond, s’agitant presque en vain pour trouver un sens dérisoire à leur existence.

Dans ce cadre, Inside Llewyn Davis fait beaucoup penser à A serious man. Certes, les contextes sont très différents, mais comme Larry Gopnik, Llewyn Davis semble condamné, étouffé par une existence qui ne lui a pas distribué les bonnes cartes, qui ne l’a pas doté des atouts pour réussir.

Alors Llewyn passe une semaine à lutter contre des moulins : son talent est réel, et pourtant le succès lui est interdit. Il n’est pas méchant mais les gens le détestent de plus en plus. Comme évoluant dans une jungle hostile, Llewyn se bat pour sa survie sans jamais entrevoir la lumière.

Certes on reconnaît l’esprit des frères Coen à travers des situations gentiment loufoques, des rencontres amusantes, une douce ironie de l’absurde. Mais il manque à l’intrigue le mordant si caractéristique des réalisateurs américains. La folie de leur cinéma est chuchotée, comme camouflée derrière une peinture sociale naturaliste.

Comme si Joel et Ethan Coen, trop respectueux de leur sujet, s’étaient retenus de le dynamiter. Les amateurs de folk seront sans doute ravis des longues et nombreuses séquences musicales, les autres resteront un peu dubitatifs, d’autant plus que les paroles ne sont malheureusement pas traduites dans la version sous-titrée en français, ce qui laisse au spectateur non anglophone le puissant sentiment de passer à côté d’éléments narratifs ou symboliques importants.

Dans cette histoire de surplace, le futur ne peut que ressembler au passé. Le film nous l’explique par le plus évident des moyens, grâce à une séquence qui se répète. Llewyn Davis a beau avoir appris de ses erreurs (la séquence de la fuite du chat connaît une variation bienvenue), il reste bloqué dans la spirale de l’échec.

Habile et sympathique, cette tranche de vie est une histoire pourtant très classique, assez banale dans la riche filmographie des Coen. A serious man était une fable barrée d’un brillant pessimisme, Inside Llewyn Davis est un portrait assez sage, gentiment mélancolique, baigné par la douce amertume des rêves qu’on n’a pas réalisés. Le film peut certes séduire par la simplicité et l’universalité de son récit, il n’en reste pas moins trop ordinaire pour ne pas nous décevoir.

Note : 5/10

Inside Llewyn Davis
Un film de Joel et Ethan Coen avec Oscar Isaac, Justin Timberlake, Carey Mulligan et John Goodman
Comédie dramatique – USA – 1h45 – Sortie en salles le 6 novembre 2013
Grand Prix du Festival de Cannes 2013

Le Temps de l’aventure

Une banale histoire d’adultère parsemée de quelques échappées cocasses et émouvantes. L’atout numéro 1 du Temps de l’aventure : Emmanuelle Devos, qui mange l’écran. La principale souffrance du film : en dehors d’Emmanuelle Devos, rien ni personne n’arrive vraiment à exister.

Synopsis : Une journée. Un train. Deux inconnus. Des échanges de regards, le cœur qui bat. Le regarder partir, le perdre à tout jamais ou s’offrir au temps de l’aventure ? Et si la vie d’Alix basculait…

Le Temps de l'aventure - critiqueCe qui rend Le Temps de l’aventure si particulier, c’est que Jérôme Bonnell semble sans cesse hésiter entre la solennité d’un coup de foudre et l’absurdité du quotidien. Les scènes les plus lourdes alternent avec des moments d’étrange légèreté, le burlesque chasse le drame quelques instants puis celui-ci revient, encore plus déterminé.

C’est notamment dans les parenthèses de solitude qu’Alix vit ses instants les plus fragiles. Une rencontre surréaliste avec sa sœur donne de l’air et de l’humour au récit. Un poteau ou une audition font le reste.

Mais quand Alix est avec Douglas, l’ombre du bonhomme pèse sur l’histoire, d’autant plus imposante que Gabriel Byrne parle anglais, qu’il est là pour un enterrement et qu’il a toujours le visage très fermé. Ce qui est particulièrement dommage, c’est que les deux univers du film, la romance et l’égarement, n’arrivent pas à s’interpénétrer, à l’exception notable de la séquence où Alix arrive devant l’église. Alors, la gêne et la surprise se mêlent dans un moment d’humour tendre renforcé encore par la présence embarrassante de Rodolphe.

Cette petite magie de l’instant se perd bientôt dans les formes convenues de l’aventure adultère, d’autant plus agaçante qu’il y a trop d’égoïsme (trop d’inconsistance, trop d’inconséquence) dans l’attitude d’Alix pour qu’on arrive à s’accrocher à son histoire. Tromper n’est pas un jeu.

Emmanuelle Devos est parfaite, délicate et instable, Gabriel Byrne est artificiel, trop calme, trop neutre. Le film se termine sur une ouverture qu’on imagine être un casse-tête déchirant pour chacun des protagonistes, et surtout pour Alix.

La romance du Temps de l’aventure se construit d’un bout à l’autre de motifs très ordinaires. On doit bien admettre cependant que le film est souvent juste et qu’il trouve, par moments, une savoureuse absurdité, comme si loin de l’amour, quand nous sommes abandonnés à nous-mêmes, plus rien n’avait vraiment de sens.

Note : 5/10

Le Temps de l’aventure
Un film de Jérôme Bonnell avec Emmanuelle Devos, Gabriel Byrne et Gilles Privat
Romance, Comédie dramatique – France – 1h45 – Sorti le 10 avril 2013