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Les films sortis en France en 2011
Black Swan
Cinquième film de Darren Aronofsky, et encore une fois une expérience de cinéma à part. Entre quête de beauté suprême et fissures du moi profond, Black Swan explore le gouffre qui existe entre l’être humain et l’idéal qu’il voudrait atteindre. Un film tendu entre fascination et répulsion, un spectacle étourdissant, une épreuve sublime.
Synopsis : Rivalités dans la troupe du New York City Ballet. Nina est prête à tout pour obtenir le rôle principal du Lac des cygnes. Elle est confrontée à la belle et sensuelle nouvelle recrue, Lily…
On l’avait compris après The Fountain, l’oeuvre d’Aronofsky est une quête perpétuelle, toujours identique et toujours différente, la quête de l’absolu. Aronofsky est le cinéaste de l’absolu.
L’asbolu mathématique. Pi. La perfection de l’univers, de ce nombre irrationnel qui représente le rapport entre ce qui est droit et ce qui est courbe. Cet absolu a un nom : la vérité.
L’absolu fantasmé. Requiem for a dream. La perfection de ce que l’on imagine, et de ce qu’on atteint l’espace d’un instant sous l’emprise de la drogue. Cet absolu-là, c’est le bonheur.
L’absolu entre deux êtres. The Fountain. La perfection de l’autre, la communication parfaite, au-delà des circonstances, au-delà de la vie. Oui, l’amour.
The Wrestler semblait, rien qu’en apparence, fuir ce modèle et chercher au contraire un naturalisme cru, presque social. Pourtant, le lutteur cherchait encore l’absolu. La rédemption. L’absolu dans l’individu, dans la gloire personnelle. La perfection de l’instant, juste pour soi, juste pour tous les autres, reconnaissants. Si difficile à déchiffrer, cet absolu-là auquel était arrivé Darren Aronofsky, c’était l’absolu le plus trivial. Simplement la vie.
Et puis, l’absolu esthétique. Black Swan. La perfection de la beauté. Il y a eu la vérité parfaite, le bonheur parfait, l’amour parfait, la vie parfaite. Il restait l’art parfait, sans aucun doute.
Quête d’absolu, donc quête de perfection. Cette quête, tous les personnages Aronofskyien s’y sont brûlé les ailes. Tous ont fini seuls, presque heureux d’avoir touché le fond du désespoir. Le fond, c’est déjà un absolu. Les dernières images des films d’Aronofsky sont toujours terribles, et pourtant, elles sont implacables, c’est comme si dans la brutalité sans concession de l’échec, il y avait forcément la résolution du problème qui avait obsédé le personnage.
Black Swan est comme un condensé de l’oeuvre encore jeune du cinéaste. Il reprend à The Wrestler cette manière frontale, presque documentaire, de filmer le corps et les déplacements de Nina. Comme The Wrestler, Black Swan est un film sur le spectacle, sur la torture du corps. C’est un film profondément charnel qui ne s’attache qu’à un personnage et reste collé à lui tout du long. Après le catch, spectacle soi-disant grossier, Aronofsky parle du ballet, art majeur. Comme pour mieux signifier le peu d’espace qu’il y a entre ces deux types de représentations chorégraphiées qui font naître la beauté de la souffrance et traitent avec mépris les injures du temps qui passe. Dans les deux cas, les artistes/sportifs, toujours interprètes, y consacrent leur vie, y cherchant la perfection et la gloire.

Mais The Wrestler était d’un réalisme froid. Dans le ton de l’histoire, Aronofsky n’y reprend que la monstruosité du personnage principal. Pour le reste, pour la réalité qui se déforme peu à peu jusqu’à agresser Nina, il faudra chercher dans Pi (la schizophrénie) et surtout dans Requiem for a dream. Les frigidaires ne bougent plus tous seuls mais les miroirs, déjà là dans les deux premiers films du cinéastes, deviennent omniprésents, milieu de la danse et obsession de l’image obligent. C’est aussi dans ces deux premiers films qu’on retrouve la magie du montage nerveux et des plans hallucinants qui contredisent, dans Black Swan, la caméra à l’épaule empruntée à The Wrestler. Aronofsky fait ici une synthèse de ses dernières réalisations et saupoudre son exploration documentaire d’effets chocs propres à la fiction la plus manipulatrice. Quant à la beauté baroque qui explose ici et là et place le film hors des frontières du temps, notamment dans les spectacles, elle semble venir tout droit de The Fountain.
La virtuosité visuelle d’Aronofsky, le mélange improbable, semble tenir sur un fil, toujours proche du déséquilibre, toujours au bord du précipice. Pourtant, le funambule parvient de l’autre côté avec une légèreté effrayante au regard du gouffre qu’il avait sous les pieds.
Black Swan est une adaptation très libre du Lac des cygnes qui fait forcément penser aux Chaussons rouges (de Powell et Pressburger). Une danseuse en quête de perfection se perd à force de s’identifier au personnage qu’elle interprète. Sauf qu’ici, il n’y a même pas d’histoire d’amour pour rompre la solitude de Nina. D’un bout à l’autre, elle est seule et cherche l’autre, qui la renvoie toujours à elle. Black Swan, c’est la recherche de l’autre, sans jamais le trouver, sans jamais voir personne à part soi-même. La mère de Nina est le spectre de ce qu’elle pourrait devenir, danseuse ratée et triste, qui vit par procuration. Beth est ce qu’elle deviendra bien avant, quand son tour sera passé. Et Lily, c’est celle qu’elle était avant d’être choisie, ou celle qu’elle devrait être pour être le cygne noir, ou celle qu’elle voudrait être, ou encore celle qu’elle est et qu’elle refoule. Toujours elle. Dans les autres, on ne voit jamais que soi. Constat effarant.

Le film frôle constamment le fantastique et ne s’y perd jamais, la vision de Black Swan est éprouvante, stimulante, d’une beauté époustouflante. Les nerfs du spectateur sont mis à très rude épreuve et on peut regretter la manière très frontale, très évidente, avec laquelle Aronofsky traite son sujet. Tout est affaire de symboles connus, la perte de soi, la peur du double qui mange et vole notre vie (Docteur Jekyll et Mister Hyde), la crainte de ne pas être à la hauteur, les désirs refoulés. Pourtant, le spectateur est prisonnier de Nina, il devient elle, se perd en elle, ressent sa folie comme si c’était la sienne. Aronofsky est maître dans l’art de rendre le vertige palpable, déjà dans Pi, nous ressentions les angoisses existentielles de Max, déjà dans Requiem for a dream, nous étions lobotomisés devant notre poste de télévision, attendant anxieusement les pilules amincissantes dont nous avions besoin. Ici, nous sommes Nina. Natalie Portman a visiblement elle aussi connu cette métamorphose : elle explose dans ce qui est à ce jour son plus grand rôle.
Et le film, diamant brut qui nous paraissait un peu monolithique, projette des reflets inattendus. La pulsion sexuelle, son lien avec l’art, avec l’autre, l’abandon de soi, le désir masochiste, le besoin d’être dominé. Le poids des parents, et la position paradoxale de l’enfant, entre désir d’être surprotégé et volonté d’émancipation. Ici, la mère a essayé de façonner sa fille. Elle a beau se poser en victime, elle est simplement coupable. Les modèles deviennent tous dangereux : la mère, Beth, le metteur en scène, Lily, le personnage du Lac des cygnes.
Comment trouver son identité propre parmi les autres? Parmi le reflet des autres?
Il nous faut encore parler de la technique qui, même parfaite, ne crée jamais de l’art. L’art n’est pas de la technique. L’art peut se permettre d’être imparfait, approximatif. L’art, c’est la grâce, le déséquilibre, la maîtrise qui nous échappe et qui se transforme en vie. C’est quand la forme perd de son importance. C’est la passion, la perte de contrôle. C’est l’orgasme.
Nina cherche la perfection. Mais la perfection, c’est la mort. L’homme est heureusement imparfait. Black Swan, parfois trop explicite, est un film légèrement imparfait. Un film tout noir et blanc. Qui brille.
Note : 9/10
Black Swan
Un film de Darren Aronofsky avec Natalie Portman, Mila Kunis, Vincent Cassel et Winona Ryder
Drame – USA – 1h43 – Sorti le 9 février 2011
Oscar 2011, Golden Globe 2011 et Bafta 2011 de la meilleure actrice pour Natalie Portman, Prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune espoir au Festival de Venise 2010 pour Mila Kunis
Polisse
Prix du Jury à Cannes, Polisse est le film le mieux récompensé de la sélection française, devant le tendre The Artist, le cérébral Pater et l’intrigant L’Apollonide. Des 4 films, Polisse est le seul en prise directe avec la réalité contemporaine. Malgré un réalisme percutant, le film est quelque peu étouffé par la quantité des intrigues et la présence égocentrique de Maïwenn.
Synopsis : Le quotidien des policiers de la BPM (Brigade de Protection des Mineurs), entre affaires de pédophilie et de parents maltraitants, fous rires et drames personnels.
Polisse a tout du film opportuniste : la police a une mauvaise image dans l’opinion publique, Maïwenn se dresse en réparatrice des torts faits aux flics, qui font quand même un sale boulot indispensable, dans l’intérêt de tous. La Brigade de Protection des Mineurs bénéficie en plus de dossiers évidemment glauques : pédophilie, maltraitance, exploitation, pauvreté, tout y passe et les victimes sont toujours des enfants, fragiles et paumés. Le spectateur peut facilement s’indigner et entrer en empathie avec les policiers. Quand il faut protéger des mineurs de leurs propres parents, la tâche devient forcément rude et les séparations sont toujours terribles. La BPM représente alors le dernier espoir pour ces innocentes victimes.
Plus encore que dans Le Bal des actrices, Maïwenn empile les petites histoires, comme s’il lui fallait absolument être exhaustive : toutes les situations, les plus communes et les plus bizarres, auxquelles peut être confronté ce service de la police, doivent être traitées. On ne peut pas nier que tout paraît vrai, que certaines séquences sont décrites avec un réalisme saisissant. Mais à trop énumérer, le film se transforme en catalogue et on est bien en peine, à la fin de la projection, de se rappeler d’autre chose que de fragments de tragédies, comme si on avait lu la rubrique faits divers d’un journal à sensation.
Ce qui nous marque finalement le plus, ce sont les policiers eux-mêmes. Les différentes affaires, aussi glauques soient-elles, ne font que former le cadre de vie de ces employés au quotidien bien particulier. Les drames qu’ils sont amenés à gérer chaque jour empiètent sur leur vie privée, envahissent leur vie de famille, ébranlent leurs convictions. Maïwenn voulait nous montrer le fonctionnement « familial » d’une équipe de la BPM. Après tout, les policiers ne sont que des hommes et des femmes comme les autres, qui doivent affronter des situations très difficiles et dont le travail n’est pas reconnu à sa juste valeur (surtout à la BPM). Mais à force de vouloir nous donner de la sympathie pour chacun, de nous expliquer les raisons de l’un et les souffrances de l’autre, Maïwenn normalise les personnalités, uniformise les individualités. De l’équipe, seuls 3 personnages tirent vraiment leur épingle du jeu : le tandem Marina Foïs / Karin Viard, qui est sans doute à l’origine de la meilleure scène du film, lorsque toute la frustration de l’une éclate en haine de l’autre. Et Joey Starr, l’écorché de la bande, celui qui refuse de se résigner, à qui Maïwenn offre toute son attention, toute son admiration narcissique.
Et puis il y a Maïwenn, qui comme dans Le Bal des actrices, se met en scène dans un rôle proche de celui qu’elle occupa en réalité. Ici, elle est en marge de l’équipe de la BPM puisqu’elle l’accompagne pour la photographier dans son quotidien. Un rôle d’observateur qu’elle a effectivement dû tenir pour préparer son film. Et la responsabilité qui va avec, dans les choix qu’elle va faire pour retranscrire ce qu’elle a vu. C’est sans doute ici que se joue l’enjeu le plus subtil du film : comment donner à comprendre la vérité aux spectateurs, alors que les images, les films, les reconstitutions ne pourront être que partiels? Comment ne pas passer à côté de l’essentiel, comment restituer plus que la surface des choses, comment ne pas trahir, comment ne pas dénaturer la réalité?
Maïwenn choisit, on l’a dit, de tout dire, de tout montrer. On reste pourtant sceptique. On voit trop les intentions de la cinéaste, on voit trop Maïwenn, pour arriver à vraiment croire à ces histoires sordides. Polisse est une compilation quasi-documentaire qui rappelle la série télé dans son enchaînement d’affaires toujours suivies par les mêmes flics-héros. C’est souvent captivant et ça laisse pourtant une légère sensation de vide, comme si rien n’avait été vraiment traité.
La dernière séquence renforce encore cette impression que la réalisatrice veut trop en faire. Polisse est un film long, surchargé, qui aurait gagné à être moins intuitif.
Note : 5/10
Polisse
Un film de Maïwenn avec Karin Viard, Joey Starr, Marina Foïs, Nicolas Duvauchelle, Maïwenn, Karole Rocher, Emmanuelle Bercot, Frédéric Pierrot, Naidra Ayadi et Jérémie Elkaïm
Drame – France – 2h07 – Sorti le 19 octobre 2011
Prix du Jury au Festival de Cannes 2011
L’Apollonide, souvenirs de la maison close
Séduisant et dérangeant. Magnétique et dégoûtant. Charmant et étouffant. L’Apollonide de Bertrand Bonello est tout cela, un film qui joue avec les contraires, qui se fraye un chemin entre les costumes et les douleurs profondes, entre le passé et l’intemporel, entre l’élégance et la vulgarité. Un film instable et déroutant.
Synopsis : À l’aube du XXème siècle, dans une maison close à Paris. Autour de la femme qui rit, la vie des autres filles s’organise, leurs rivalités, leurs craintes, leurs joies, leurs douleurs…
L’Apollonide commence au crépuscule du XIXème siècle et se termine à l’aube du XXème. C’est un film sur le monde qui change, les époques qui s’effacent, les fins de parcours et les nouveaux chemins que réserve l’avenir. Mais s’il y a évolution, il n’y a jamais rupture définitive. Si L’Apollonide est un film de souvenirs, comme l’indique son sous-titre, tout semble ancien et profondément moderne en même temps : le renouvellement est un processus circulaire, hier est définitivement perdu et pourtant aujourd’hui est fait d’hier.
Voilà l’un des enjeux majeurs du film de Bertrand Bonello, suggérer le présent comme un miroir déformant du passé, chroniquer le passé en y montrant, subtilement entremêlés, ce qui n’appartient qu’à lui et ce qui traverse les époques et ne se modifie pas.
La narration, remplie de flash-forwards au début du film et de flash-backs quand celui-ci se termine, semble vouloir toujours nous ramener au centre de l’histoire, à l’intérieur de la maison close, comme pour ramasser le changement de siècle en un instant autour duquel tout bascule, puisque « la juive » ne sera plus jamais la même, puisque Samira et Julie vont voir leur destin chamboulé, puisque le cristal se transforme en verre. Et comme pour souligner aussi que rien ne changera jamais vraiment : le champagne reste du champagne, Pauline est apparue et disparue dans un même mouvement, la plupart des filles iront continuer leur métier ailleurs, découvrant d’autres clients qui seront fondamentalement les mêmes.
« Restez toujours la même » demande l’un deux à Marie-France, comme pour rappeler qu’il s’agit toujours de donner l’illusion que le temps ne passe pas. Une maison close n’est-elle pas l’endroit rêvé pour parler de persistance? Persistance de la beauté, persistance du désir, persistance de la richesse, des dorures et des rires. Et tant pis si la réalité est moins belle, ce qui intéresse les clients, ce ne sont pas les coulisses, ce ne sont pas les chambres dépouillées de tout faste, ce ne sont pas les tristesses des filles et leurs espoirs illusoires, ce ne sont pas non plus les difficultés financières d’un monde où l’apparence du luxe fait partie du jeu. La maison est close, tout ce qui s’y vit, les jalousies, les frustrations, les maladies, les horreurs les plus glauques aussi, sont invisibles de l’extérieur.
Tout ça, tous ces secrets opaques, toutes ces femmes de plaisir, du plaisir des autres en tout cas, tous ces hommes qui les adorent et les méprisent encore plus, sont condamnés à disparaître. Et pourtant, toujours il y a eu et toujours il y aura ce commerce, plus ou moins tendre, plus ou moins vil, plus ou moins sensuel, plus ou moins monstrueux. Toujours il y aura ce désir, cette fascination des corps, ces sentiments qui naissent et qui meurent, ces déceptions, ces rivalités, ces amitiés, ces douleurs et, on peut le penser, ces maladies.
Un siècle se termine, un autre commence qui est déjà terminé pour le spectateur, et de tout ça il naît pourtant une familiarité, accentuée par le langage plutôt moderne de ces femmes, accentué par cette musique contemporaine qu’utilise le réalisateur de manière anachronique, accentué par les nus qui, au-delà des costumes, se ressemblent toujours, accentué par les relations sexuelles qui sont intemporelles. La proximité ainsi mise en place entre l’histoire et le spectateur met comme entre parenthèses le siècle qui les sépare.
Réussite d’autant plus improbable qu’on ne voit a priori que les costumes, que les décors, qui donnent au film une beauté d’un autre temps. On pense au Marie-Antoinette de Sofia Coppola pour cette légèreté toute moderne distillée dans un film d’époque. On pense au Vénus noire d’Abdellatif Kechiche quand la frontière entre femme-objet et femme-monstre se fait de plus en plus ténue. Dans ces deux films, et de manière bien différente, le passé est terminé et pourtant sa présence diffuse semble habiter le présent. C’est parfaitement le cas dans L’Apollonide. La dernière image du film est comme un spectre du passé, venu nous rappeler à quel point les choses sont différentes aujourd’hui, à quel point les choses sont immuables.
L’Apollonide est un film qui fait état de la permanence de l’Histoire. Certes une certaine nostalgie nous étreint à la fin. Devons-nous nous réjouir ou nous attrister de la fermeture de cette institution? Ici, les situations se construisent toujours sur une ambiguïté éthique, qui se double d’une ambiguïté esthétique : même les chairs sont parfois magnifiques, parfois misérables.
Que de beauté et de laideur, que de richesses et de détresses dans cet univers qui répugne à toute normalité : il faudra être d’un extrême ou de l’autre, il faudra même souvent cacher un extrême par l’autre.
Des petites histoires qui avancent et qui n’avancent pas, des personnages féminins beaux et fascinants, tristes et tragiques, des plans composés comme des tableaux vivants, magnifiques et un peu vains. Entre désir et répulsion, entre un récit parfois trop long et des intrigues découpées en séquences souvent trop courtes, le film semble chercher constamment l’équivoque.
L’Apollonide – Souvenirs de la maison close est un vrai film de cinéma, tout dedans est consistant, les matières et les chairs sont palpables, les drames sont lourds, les frivolités sont des nécessités. Il n’y a pas de doute là-dessus. Mais tout le reste, les destins, les sentiments, les jugements, les résonances, sont incertains. Les fantômes du passé envahissent simplement notre époque, apportant avec eux des interrogations perpétuelles et des réponses dépassées.
Note : 7/10
L’Apollonide – Souvenirs de la maison close
Un film de Bertrand Bonello avec Hafsia Herzi, Céline Sallette, Jasmine Trinca, Adèle Haenel, Alice Barnole, Iliana Zabeth, Noémie Lvovsky et Judith Lou Lévy
Drame – France – 2h02 – Sorti le 21 septembre 2011
Un monstre à Paris
Quelques jolies chansons et c’est à peu près tout. Un monstre à Paris n’avait rien d’autre à proposer : les gags, les personnages et les situations sont archi-quelconques. On préfèrait largement quand -M- collaborait avec Sylvain Chomet sur Les Triplettes de Belleville.
Synopsis : Dans le Paris inondé de 1910, un monstre sème la panique. Traqué, il se cache à L’Oiseau Rare, un cabaret où chante Lucille, la star de Montmartre au caractère bien trempé…
Un monstre à Paris dure seulement 1h22 et déjà il semble qu’il ait fallu aux scénaristes beaucoup d’ingéniosité pour transformer leur sujet maigrichon en un long-métrage de cinéma. Car c’est surtout ça qui s’impose à la vision du film : il ne raconte presque rien. Deux histoires d’amour sans aucune originalité, un politicien arriviste et méchant, comme on en a déjà vu des centaines, qui veut séduire la belle, et le laboratoire d’un savant qui, laissé aux mains de deux amis maladroits, crée un monstre gentil mais effrayant.
Il n’y aura rien de plus à se mettre sous la dent : la résolution de ces trois histoires est déjà contenue dans l’énoncé, il n’y aura ni rebondissement inattendu, ni élément perturbateur imprévu. Englués dans la faiblesse et l’inutilité du scénario, les personnages nous sont indifférents : ils n’ont rien à défendre de plus que le stéréotype qu’ils incarnent. Le ton est à la comédie mais les blagues sont enfantines et souvent sans esprit. Quant aux courses poursuites, elles n’arrivent jamais à installer le moindre suspense : tout est couru d’avance.
Le seul moment un peu mystérieux est l’exploration de l’antre du scientifique au début de l’aventure, qui évoque clairement l’univers d’Adèle Blanc-Sec (adapté récemment au cinéma par Luc Besson, justement producteur d’Un monstre à Paris). Mais le développement ne tient jamais ses promesses.
EuropaCorp et Luc Besson semblent nous livrer une vague copie d’Arthur et les Minimoys (même humour simplet, mêmes enjeux faméliques, mêmes insectes devenus gigantesques en guise de monstres) à la sauce Amélie Poulain. La seule magie vient des parties musicales, trop rares pour sauver le film, mais assez présentes pour nous offrir quelques bons moments à l’abri des niaiseries de son intrigue. Le premier duo entre Vanessa Paradis et -M- est même l’occasion d’une jolie vision d’un Paris nocturne jaune et bleu. On pense alors à Une vie de chat, sorti l’année dernière, autre film d’animation qui proposait une stylisation intéressante de Paris pour accompagner un scénario insipide.
Un monstre à Paris est un mauvais film qui nous séduit pourtant une ou deux fois parce que la bande originale de -M- et certaines idées graphiques arrivent à mettre un peu de magie là où il n’y avait qu’un produit commercial dépourvu d’imagination.
Note : 2/10
Un monstre à Paris
Un film de Eric Bergeron avec les voix de Vanessa Paradis, Mathieu Chédid, Gad Elmaleh, François Cluzet, Ludivine Sagnier, Julie Ferrier et Bruno Salomone
Film d’animation – France – 1h22 – Sorti le 12 octobre 2010
The Artist
The Artist est la pari fou de Michel Hazanavicius de faire, 80 ans après la disparition du cinéma muet, un film sans parole pour le grand public. Le résultat est une réussite indubitable. Au-delà de l’exercice de style, le réalisateur nous prouve qu’il est encore possible de rêver avec des ingrédients simples, à défaut d’arriver à démontrer que le muet a encore de l’avenir.
Synopsis : Hollywood 1927. George Valentin est une vedette du cinéma muet à qui tout sourit. L’arrivée des films parlants va le faire sombrer dans l’oubli. Peppy Miller, jeune figurante, va quant à elle être propulsée au firmament des stars.
Michel Hazanavicius a construit sa carrière de cinéaste sur le pastiche cinéphile, depuis le montage bricolé de La Classe Américaine jusqu’aux comédies à gros budget que sont les deux OSS 117. Pas étonnant alors que ce soit lui qui tente le pari fou de faire un film muet d’aujourd’hui avec les codes du cinéma des années 20. Dans les aventures de Hubert Bonisseur de la Bath, l’hommage aux années 50-60 est amusé, proche de la parodie. Ici, il ne s’agit jamais de rire du cinéma muet : au contraire, c’est avec tendresse et nostalgie que le réalisateur évoque cet art tombé en désuétude presque du jour au lendemain, quand Le Chanteur de jazz sortit sur les écrans. Deux ans plus tard, les films muets avaient quasiment disparu.
Pour évoquer ce premier âge du cinéma, Hazanavicius choisit d’en faire le sujet même de son film : comme dans Chantons sous la pluie, largement cité, Hollywood est brutalement secoué par l’arrivée de la parole sur les écrans et les stars d’hier ne seront pas forcément celles de demain. George Valentin, star du muet, risque de ne pas passer le cap, d’autant plus qu’il ne croit absolument pas à ce cinéma de cirque qu’est le parlant. Son nom n’est pas sans évoquer Rudolph Valentino, véritable icône de l’époque, oublié aussi facilement par la postérité qu’il était acclamé par des groupies hystériques au temps de sa gloire. Voilà de quoi parle le film : du passage du temps, de la lutte perpétuelle des générations, les nouveaux écrasant les anciens, ceux qui ont été jeunes, qui ont dominé le monde et qui sont devenus vieux et ont sombré dans l’oubli. On ne peut pas être et avoir été.
Et c’est dans l’univers du cinéma que le réalisateur explore cette injustice du temps. Qui de nos jours regarde encore des films muets? En tout cas, plus personne n’en fait. George Valentin, comme beaucoup de sa génération, ne croyait pas au parlant. Personne aujourd’hui ne croit plus au muet. Sauf Michel Hazanavicius qui nous rappelle 1h40 durant la magie de ce cinéma qui n’était pas en 3D, qui n’était pas en son Dolby Digital, mais qui n’empêchait pas de raconter des histoires formidables et inoubliables, ce que confirmera encore l’exposition Metropolis à la Cinémathèque française. Un cinéma qui se regardait les yeux grands ouverts, et des aventures qu’on ne pouvait pas suivre en faisant la cuisine : les dialogues qui n’existaient pas, c’était au spectateur de les imaginer. Dans The Artist, on se rappelle d’un coup le pouvoir de la suggestion : on entend parfaitement les cris, les aboiements, les coups de feu, les incendies et les claquettes.
Le réalisateur va même s’amuser follement le temps d’une séquence onirique où le personnage incorpore l’univers du muet à sa vie quotidienne et imagine alors que celle-ci est envahie par les bruits surmultipliés du cinéma sonore. Le procédé, aussi intelligent que malicieux, nous fait croire un instant que le monde est essentiellement muet et que le cinéma des années 20 arrive mieux à le saisir que celui d’aujourd’hui. Le parlant devient une hérésie, nous nous prenons à trouver le muet tout à fait normal et attendons la fin de la séquence sonore du film comme un retour à l’ordre naturel des choses. The Artist met en évidence les subtilités propres au muet (on retient notamment le panneau « bang » qui permet un merveilleux moment de suspense, d’émotion et de drôlerie), pourtant aujourd’hui abandonné au contraire du noir et blanc que de nombreux cinéastes continuent d’utiliser de temps en temps. George Valentin, dans un cauchemar de bruit, préfère largement sa vie de personnage muet. Hazanavicius ne nie pas pour autant la magie du son au cinéma, comme le démontre la dernière séquence du film, il nous rappelle simplement que les singularités d’un autre cinéma ne sont pas forcément des faiblesses.
Si Jean Dujardin et Bérénice Bejo, lumineuse, relèvent parfaitement le défi qui leur est proposé, qu’en est-il de l’histoire? Au-delà de la bluette un rien artificielle (mais fidèle aux romances simples qui firent le bonheur des premiers spectateurs du cinéma), les destins croisés de George Valentin et de Peppy Miller, entre gloire et déchéance, rappellent l’effrayant Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, où il était déjà question de la chute d’une étoile devenue has been, oubliée par ses fans, ayant été incapable de garder sa place au firmament du cinéma parlant. Certes Michel Hazanavicius utilise des lieux communs bien identifiables pour nous raconter le malheur de George Valentin. Le scénario ne propose pas grand chose de bien nouveau au delà du retour au silence et du jeu avec le sonore. En tant qu’hommage, le film atteint sa limite : il utilise les codes d’antan mais échoue à donner de nouvelles perspectives au cinéma muet.
Malgré cela, la magie est indubitablement là, le pari est réussi haut la main. Et la réflexion sur le temps qui passe et qui efface les succès d’hier fait mouche, tout autant que la démonstration que le cinéma muet est un mode d’expression passionnant et qu’il permet des finesses que le parlant ne permet pas. The Artist a le mérité extraordinaire de nous donner envie de vite redécouvrir tous nos classiques du cinéma des premiers jours. Espérons que son succès s’accompagnera d’un engouement nouveau du grand public vers ces films qu’il boude depuis si longtemps.
Note : 7/10
The Artist
Un film de Michel Hazanavicius avec Jean Dujardin, Bérénice Bejo et John Goodman
Comédie dramatique – France – 1h40 – Sorti le 12 octobre 2011
Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 2011 : Jean Dujardin

