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A la Merveille
Publié par Ted
Après des images d’une beauté inouïe, The Tree of Life se terminait sur un trip mystique assez embarrassant. A la merveille est entièrement tendu entre ces deux pôles : si on oublie les segments avec Javier Bardem, on assiste au jeu universel de l’amour, déchiré comme le film entre le toc et l’illumination, sans cesse en construction, sans cesse en destruction.
Synopsis : A la Merveille (le Mont Saint-Michel), Neil et Marina vivent une passion hors du commun. Quand elle doit le suivre dans l’Oklahoma, leur relation se fragilise…
Comme un prolongement naturel à The Tree of Life, A la merveille se déploie avec des prises de vue similaires et un mode de narration tout aussi peu linéaire. Alors qu’il faut d’habitude de nombreuses années à Terrence Malick pour livrer un film, ses deux dernières œuvres sont sorties quasiment coup sur coup (un peu plus d’un an les sépare), la seconde réutilisant d’ailleurs des rushes de la première.
La caméra est toujours flottante, elle accompagne les mouvements indécis des hommes et de la nature, elle semble portée par une force mystérieuse, à moins qu’elle n’épouse le regard fragile d’un être au-delà des êtres. Chaque plan est la mise en image d’une sensation, d’une émotion, d’une présence mystique. La photographie est toujours aussi formidable, bien qu’elle semble parfois un peu se répéter. S’il y a quelques cadres plus mous dans ce film, c’est qu’il parait parfois reprendre de façon mimétique les enjeux formels de The Tree of Life.
Il s’agissait alors d’opposer la violence à la contemplation, la nature à la grâce. De saisir aussi la place de l’homme dans le temps. Dans cet acte II, tout cela se concentre en une seule émotion, en une seule signification, l’amour. Concilier la violence et la contemplation, concilier l’homme et l’infini, voilà l’impossibilité à laquelle chacun s’essaie quand il aime. L’amour est une passerelle, le chaînon manquant qui va de l’individu au monde dans son ensemble, comme une réponse au processus décrit dans The Tree of Life, de l’origine à l’individu. Quand Terrence Malick parle d’amour, il a la foi : il ne s’agit pas d’être réaliste, prosaïque, sarcastique ou même romantique. Il s’agit d’accéder à l’essence même de l’amour, à tout ce qu’il engage en nous, des devoirs, des responsabilités, des souffrances, des cycles inépuisables de construction-destruction.
Le film devrait être une étude exaltée de la seule merveille qui est permise à l’homme, non pas forcément de ce qu’elle est mais de ce qu’elle tend à être, de ce qu’elle nous permet de toucher, de ce qu’elle éveille en nous d’indéfini et qui nous place, quelques instants durant, bien au-dessus de notre simple condition d’animal mortel. Pourtant, tout ne fonctionne pas toujours, la faute aux personnages masculins du film.
Ben Affleck est inexpressif, son personnage est d’une neutralité déconcertante. Souvent filmé de dos, comme si Malick n’avait pas obtenu ce qu’il avait voulu de son acteur de face, Neil est une ombre qui hante le film, un homme dont on ne ressent ni les souffrances, ni les interrogations, comme s’il était globalement indifférent à tout ce qui lui arrivait. Ce cruel manque d’âme lui interdit toute profondeur, toute participation au projet mystique du cinéaste.
Et puis il y a le prêtre interprété par Javier Bardem, personnage inutile et lourdingue, qui apparaît peu, et seulement pour répéter inlassablement les mêmes phrases banales, les mêmes doutes stériles, la même quête fatigante. Le Père Quintana cherche Dieu avec des gros sabots, dans un salmigondis religieux agaçant qui n’est pas sans rappeler la dernière séquence ratée de The Tree of Life.
Le travail sur le son est intéressant mais parfois un peu déconcertant. Rarement les voix emplissent l’espace sonore, et quand c’est le cas, ce sont plutôt des dialogues anodins, comme de brusques retours à la réalité. Le récit est un songe, presque toujours raconté en voix-off, et ces voix-offs sont lointaines, comme inaccessibles, comme s’il y avait une énorme distance entre nous et ces confessions. Comme si nous étions Dieu et que nous écoutions les prières des hommes, bribes de mots venus d’un autre espace. Comme si nous assistions de loin à ces luttes amoureuses.
Alors le réalisateur donne à ses personnages une solitude encore plus complète : ils n’ont même pas un accès direct au spectateur omniprésent. Leur vie à l’écran nous apparait éclatée, des bouts d’existence diffus dont on ne retiendrait que l’essence. Il ne reste pour nous que des moments volés, des instants rares et précieux qui suffisent à donner le sens profond de ce qui se passe, de ce qui s’est passé. Quant à l’existence concrète, elle ne se réalise que dans les actes. Chacun existe par ses choix, par sa façon de prendre ses responsabilités, de ne pas attendre qu’on (l’autre, le destin, Dieu) choisisse pour lui. Alors quelques décisions essentielles (et quelques fuites destructrices) suffisent à raconter une histoire d’amour.
Le scénario, comme la caméra, voltige de séquence en séquence, d’espace en espace, d’instant en instant, de joies en violences, de bonheurs en souffrances. Il ne s’agit plus d’ellipses, il s’agit de glissements, chaque réalité complétant la précédente, lui donnant sens, qu’elle ait lieu 2 heures, 2 jours ou 2 mois auparavant. Exigeant et difficile d’accès, le film se propose de toucher la grâce et sa fragilité, de confronter les deux êtres qui résident en chacun de nous, celui qui aime et celui qui hait, jusqu’à ce que forcément, le mouvement se détruise, parfois (rarement, de plus en plus rarement) pour mieux se reconstruire.
A la merveille marque une ambition identique à celle de The Tree of Life. Et si Terrence Malick est trop souvent maladroit, notamment quand il se complait dans un mysticisme bas de gamme, ses images le sauvent de la déroute et forment une suite parfois émouvante, toujours intrigante, à son précédent film. Toujours à la recherche de la part d’infini qui se cache en l’homme et autour de l’homme, le cinéaste américain filme l’amour comme une religion, une foi totale en celui qu’on aime et en nos sentiments à son égard. L’homme, trop petit pour l’éternité, est-il condamné à toujours faire mourir ce qu’il crée de plus beau? Voilà la question sur laquelle le film s’arrête, évasif, n’apportant pour réponse que des plans volontairement incomplets.
Note : 5/10
A la merveille (titre original : To the wonder)
Un film de Terrence Malick avec Ben Affleck, Olga Kurylenko, Rachel McAdams et Javier Bardem
Romance, Drame – USA – 1h52 – Sorti le 6 mars 2013
Publié dans Films sortis en 2013
Étiquettes : Ben Affleck, Javier Bardem, Olga Kurylenko, Rachel McAdams, romance, Terrence Malick
Skyfall
Publié par Ted
James Bond fête ses 50 ans de cinéma, son 23ème épisode et son 3ème avec Daniel Craig. Il s’offre pour l’occasion Sam Mendes, le talentueux réalisateur d’American Beauty et des Noces Rebelles. Alors, le résultat? Un scénario anémique, des scènes d’action longues et ennuyeuses, des personnages ultra-superficiels et un discours méga-appuyé sur l’ancien et le nouveau. Et sinon? Une vaste opération marketing, et beaucoup de sous.
Synopsis : M voit son autorité ébranlée le jour où le MI-6 est menacé. Bond, donné pour mort, réapparait pourtant pour sauver la situation, en dépit d’un état de forme limité.
James Bond est une grosse machine, une entreprise de démolition de l’auteur. Sam Mendes, qui n’est pourtant pas un réalisateur neutre, est ici transparent, totalement effacé par la franchise qui l’emploie.
Oublions donc Sam Mendes, et intéressons-nous à James Bond. Et disons-le tout de suite, Skyfall est le plus mauvais épisode de Daniel Craig, et de loin. Ok, il y a de l’action, ok il y a une atmosphère crépusculaire, comme si la crise économique et les menaces terroristes rendaient notre monde plus grave et plus retors qu’avant. Mais l’intrigue est d’une faiblesse étonnante. Un ancien agent cinglé, en plein complexe œdipien, veut se venger et décide pour cela de tout faire péter. James Bond, qui a lui aussi été trahi, reste du bon côté de la ligne, et sauve le monde dans la maison de son enfance (oui oui) dans une scène exceptionnellement longue et ennuyeuse.
Tout cela pour nous répéter au bulldozer que l’âge n’est pas forcément synonyme d’incompétence ou de régression, au contraire les bons vieux trucs sont déterminants pour notre survie. M est vieille, mais elle ne va pas démissionner car elle est la seule à pouvoir régler le problème. Sa gestion du MI-6 est peut-être dépassée, mais elle trouvera comment arranger la situation. James Bond commence à se faire moins jeune, mais il ne prendra pas sa retraite, malgré ses faiblesses il reste le meilleur agent en activité. Une vieille voiture, une vieille maison, mais un jeune Q qui apporte sa fraîcheur à cette équipe de vieux débris. Les symboles de la lutte entre l’ancien et le nouveau sont légions, toujours amenés avec de bruyants sabots.
Que reste-t-il? Deux James Bond Girls absolument inutiles, un méchant risible (non, il ne suffit pas de se décolorer les cheveux, de prendre un regard de chien fou et de dire qu’on est très très méchant et qu’on fait très très peur pour faire peur ; Séverine dit : « Vous connaissez tout à la peur? Pas sa peur à lui. » On attend des preuves, tant cette menace n’est pas suivie d’effets. Javier Bardem a fait beaucoup mieux avec les frères Coen), enfin une pseudo-intrigue familiale expédiée autour de l’enfance de James Bond.
Alors quoi? Le lien entre James Bond et M, qui n’a jamais été aussi personnel? Oui, c’est peut-être la seule spécificité notable de ce 23ème opus, mais leur relation reste stérile et superficielle. Pour le reste, un feu d’artifice d’esbroufe et un vide abyssal.
Note : 1/10
Skyfall
Un film de Sam Mendes avec Daniel Craig, Judi Dench, Javier Bardem et Ralph Fiennes
Action, Thriller – USA, Royaume-Uni – 2h23 – Sorti le 26 octobre 2012
Publié dans Films sortis en 2012
Étiquettes : action, Daniel Craig, James Bond, Javier Bardem, Judi Dench, Ralph Fiennes, Sam Mendes