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L’Attentat

L’Attentat propose une intrigue terrible et passionnante, dans laquelle un homme est amené à reconsidérer toute son existence. Jusqu’à quel point celui avec lequel on partage notre vie peut-il rester un étranger? Malheureusement, au-delà d’un portrait social juste et pertinent, le film semble finalement comprendre ou accepter l’inacceptable.

Synopsis : Toute la journée, le docteur Amine, israélien d’origine arabe, opère les nombreuses victimes d’un attentat-suicide, avant d’apprendre que la terroriste était sa propre femme.

L'Attentat - critiqueLe début du film pose avec talent les bases d’une situation aussi terrible qu’intrigante. Et introduit de nombreux éléments inhabituels, à l’opposé des clichés traditionnels sur le conflit israélo-palestinien. L’arabe israélien est un grand médecin, reconnu et admiré par ses pairs juifs. La kamikaze palestinienne n’est pas une adolescente démunie, mais une adulte privilégiée, éduquée, intégrée à la société israélienne.

L’Attentat a le mérite rare de donner des nouveaux visages, moins stéréotypés, à tous les acteurs du conflit. Entre le mélodrame et le thriller politique, le film a de belles cartes romanesques dans son jeu (la trahison est double : celle d’avoir menti à son mari, mais aussi celle d’avoir, par son geste, nié son mode de vie et ses accomplissements, jusqu’à le mettre, lui et les arabes israéliens, dans une situation très inconfortable, nourrissant la spirale de la haine).

Mais en refusant presque tout parti pris, l’intrigue s’embarque peu à peu sur le terrain glissant de la compréhension. Il ne suffit pas d’évoquer la politique déplorable d’un pays (ou des actes scandaleux) pour trouver un début d’explication à un acte meurtrier inacceptable.

De la même façon que rien ne peut légitimer la torture, rien ne peut justifier qu’on agisse dans le but de tuer des civils innocents. Qu’Amin semble finalement apaisé, comme réconcilié avec sa femme, semble évoquer l’indulgence d’un homme dont le parcours l’a amené à mieux saisir les motivations qui lui étaient au début étrangères.

Si L’Attentat dresse un portrait très juste de la situation très compliquée des arabes d’Israël, le film semble vouloir donner à comprendre, voire réhabiliter chaque point de vue. En oubliant quelques principes fondamentaux : subir le mal n’autorise jamais à en faire; le meurtre de sang froid (prémédité qui plus est), quelles qu’en soient les raisons, est une barbarie inacceptable.

Note : 4/10

L’Attentat (titre original : The Attack)
Un film de Ziad Doueiri avec Ali Suliman, Reymonde Amsellem, Evgenia Dodina et Karim Saleh
Drame – France, Belgique, Liban, Qatar – 1h45 – Sorti le 29 mai 2013

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Shokuzai – Celles qui voulaient se souvenir

Présenté sous la forme d’une mini-série de 5 épisodes au Japon, Shokuzai a été découpé en deux films pour l’exploitation en salles. Dommage car le premier opus semble bien incomplet, et la coupe ne fait pas vraiment sens. Les 2 histoires qui nous sont présentées ici, orphelines des 3 suivantes, arrivent à nous captiver par moments, sans pour autant nous convaincre vraiment.

Synopsis : Dans une cour d’école, 4 fillettes sont témoins d’un meurtre. Sous le choc, aucune n’arrive à se rappeler de l’assassin. 15 ans plus tard, 2 d’entre elles voudraient se souvenir…

Shokuzai - Celles qui voulaient se souvenir - critiqueAprès le bref récit d’un événement traumatisant subi par quatre fillettes dans leur enfance, Kiyoshi Kurosawa s’intéresse aux conséquences de cet événement sur la vie de ces quatre amies devenues des jeunes femmes. 15 ans plus tard, les résonances du passé sont plus fortes que jamais.

Dans ce thriller froid et mystérieux, chaque personnage vit son traumatisme à sa façon, s’appropriant le passé douloureux comme une part très importante de son identité. L’histoire de Sae, aux frontières du film horrifique, fait froid dans le dos. Ce segment de Shokuzai, intense et énigmatique, est supérieur au suivant.

En effet, les aventures de Maki plongent le film dans le drame social improbable et un peu exagéré. Les coïncidences ont la part belle dans ce récit un peu limite qui voudrait nous faire croire que l’insécurité est généralisée et que les enfants sont sans cesse en danger. Néanmoins, les dilemmes moraux qui se posent ne sont pas inintéressants.

Mais le véritable problème, c’est qu’il s’agit clairement d’une première moitié de film. Le récit s’arrête au milieu, laissant l’impression évidente que cet opus ne se suffit pas à lui même et qu’en l’état, l’œuvre est inachevée.

Difficile donc de juger ce film avant de voir sa suite, sortie la semaine suivante au cinéma. Alors seulement le film sera complet et fera sens.

Note : 5/10

Shokuzai – Celles qui voulaient se souvenir (titre original : Shokuzai)
Un film de Kiyoshi Kurosawa avec Kyôko Koizumi, Hazuki Kimura et Yû Aoi
Drame – Japon – 1h59 – Sorti le 29 mai 2013

Michael Kohlhaas

Sortie avant-hier du film d’Arnaud des Pallières, vu au Festival de Cannes. Si on regrette une mise en scène extrêmement sévère et rugueuse, presque assommante, on finit par se passionner pour les dilemmes philosophiques exigeants et essentiels que pose le film. Mads Mikkelsen est fascinant, il touche la grâce dans un dernier plan extraordinaire.

Synopsis : Au XVIème siècle, le marchand Michael Kohlhaas mène une vie prospère. Victime d’une injustice, cet homme pieux et intègre met le pays à feu et à sang pour rétablir son droit.

Michael Kohlhaas - critique cannoiseCertes il y a dans la réalisation d’Arnaud des Pallières une extrême rigueur qui fait écho à la décision, toute aussi rigoureuse, de Michael Kohlhaas, de lutter pour ce qu’il estime être la justice. Mais à force d’austérité, le film se fait malgré lui la caricature d’un cinéma d’auteur lent et ennuyeux.

Les séquences sont terriblement longues, le son arrive souvent bien avant l’image, de sorte que chaque plan est très largement préparé et qu’on se lasse toujours très vite. Pourtant, après 40 minutes difficiles, le film révèle enfin un sujet d’une ampleur gigantesque.

En forme de dissertation philosophique, Michael Kohlhaas pose la question des principes, de la valeur des impératifs catégoriques. La justice vaut-elle qu’on risque de tout y sacrifier, ses proches, soi-même, sa vie? A-t-on le droit de se battre par tous les moyens quand on a raison? Et surtout, est-ce le bon choix? Au contraire, est-il acceptable de se résigner, d’accepter pragmatiquement que justice ne soit pas rendue?

Kohlhaas se bat pour une idée, non pour l’importance du tort qu’on lui a fait. Il n’est pas à deux chevaux près, mais il refuse de voir l’injustice triompher. « Mourir pour ses idées, oui mais de mort lente » chantait Brassens. Michael Kohlhaas, à l’opposé de cette maxime, est prêt à tout pour les principes qui lui paraissent fondamentaux. Son âme, aussi pure que l’acier, accepte de se rendre quand il se trouve être lui-même responsable (malgré lui) de méfaits. Tel Socrate prêt à boire la cigüe, car il est pour lui essentiel de se soumettre à la même justice que les autres.

Les dilemmes éthiques du film sont universels, aussi pertinents au Moyen-Âge qu’aujourd’hui, attachés à la nature même de l’être humain. Attendre une mort certaine, connaître son lieu, son heure et la manière dont elle nous frappera, voilà le pire supplice de l’homme, qu’il ait vécu il y a des siècles ou qu’il vive aujourd’hui. En miroir des principes moraux, il y a l’individu. L’homme, seul face à sa mort, regarde en lui les derniers instants d’existence qui s’égrènent. Le dernier plan du film est un miracle.

Mads Mikkelsen aurait sans aucun doute mérité le prix d’interprétation à Cannes, beaucoup plus que l’année dernière pour La Chasse. Dans ses yeux nous pouvons lire l’âme de son personnage, sa quête d’absolu et d’éthique, son inexprimable détresse devant le destin qui se scelle.

Le film aurait mérité une mise en scène moins aride, moins connotée. En dépit d’une forme très pesante, le récit trouve finalement son point d’équilibre entre l’allégorie métaphysique et le destin d’un être humain. D’abord franchement ennuyeux et fermé, Michael Kohlhaas atteint même des cimes inespérées. Sous la pierre rugueuse se cache un diamant d’humanité brute.

Note : 5/10

Michael Kohlhaas
Un film d’Arnaud des Pallières avec Mads Mikkelsen, Mélusine Mayance, Delphine Chuillot, David Kross, Bruno Ganz, Denis Lavant, Roxane Duran, Sergi Lopez, Amira Casar et Jacques Nolot
Drame – France, Allemagne – 2h02 – Sortie le 14 août 2013

Le Passé – critique cannoise

Cette année, le palmarès du jury cannois, présidé par Spielberg, mit la France à l’honneur puisqu’en plus de la Palme d’or de La Vie d’Adèle, le prix d’interprétation féminine revint à Bérénice Bejo pour Le Passé. Au vu de la sélection, le film aurait sans doute mérité mieux. Asghar Farhadi nous offre un mélodrame tendu et troublant construit de doutes et de nostalgie.

Synopsis : 4 ans après leur séparation, Ahmad arrive à Paris pour divorcer avec Marie. Lors de son séjour, il découvre que Lucie, la fille de Marie, ne supporte pas son nouveau beau-père…

Le Passé - critique cannoiseAsghar Farhadi est devenu célèbre avec le succès d’Une séparation. Ce sont toujours les mêmes obsessions qui construisent le dernier film du cinéaste iranien : le couple, la rupture, les responsabilités. Dans les deux films, les personnages confrontent les différents points de vue pour arriver à mieux comprendre un événement du passé aux conséquences dramatiques.

Ici, il ne s’agit pas d’une, mais de deux séparations. Ahmad vient à Paris officialiser son divorce avec Marie. Samir continue de s’occuper de sa femme dans le coma, mais il se prépare à refaire sa vie avec Marie. Pourtant, quelque chose coince. Lucie, la fille ainée de Marie, refuse catégoriquement la nouvelle liaison de sa mère.

Ahmad, comme le spectateur, essaie de démêler les malentendus entre les personnages. Son enquête l’amène à des révélations successives qui dessinent une situation particulièrement complexe aux multiples résonances éthiques.

La force du cinéma de Farhadi, c’est sans aucun doute la profondeur de ses personnages et des dilemmes moraux auxquels ils sont confrontés. Là encore, les souffrances et les espoirs de chacun transforment des gestes simples en un réseau alambiqué de choix douteux et de mauvais hasards qu’il devient très difficile de dénouer.

Le scénario révèle une cascade de responsabilités dont l’aboutissement est une tragédie. Comment vivre le présent si le passé sur lequel il se construit est une blessure inguérissable?

On peut reprocher au film la façon un peu trop mécanique avec laquelle s’enchaînent les aveux de Lucie, comme si celle-ci se souciait de distiller le suspense au fur et à mesure du récit. Par ailleurs, il est dommage que le film s’attarde sur toutes les fautes individuelles et semble oublier la plus évidente : le mensonge. Les personnages passent beaucoup de temps à se demander qui a révélé quoi, mais personne ne rappelle que donner la vérité à quelqu’un n’est pas un crime. On regrette aussi que le personnage d’Ahmad soit si extérieur à l’histoire : il semble parfois représenter le point de vue du réalisateur, permettant à l’intrigue d’avancer et aux personnages de se découvrir peu à peu.

La profondeur de ses personnages et des dilemmes moraux auxquels ils sont confrontés.

C’est pourtant l’histoire d’amour entre Marie et lui, présentée en creux, qui nous touche le plus. Le passé qui nous fascine, plus encore que celui sur lequel se concentre le suspense narratif du film, c’est celui doucement évoqué d’une relation qui n’existe plus depuis quatre années. Pourtant, rien ne semble fermé : Marie essaie encore de prouver quelque chose à Ahmad, celui-ci essaie encore de se justifier. Léa et surtout Lucie restent attachées à celui qui fut leur beau-père.

Et Ahmad, de retour dans la maison qui fut la sienne, retrouve ses habitudes, ses émotions, son implication. Loin d’être indifférent au destin de son ancienne famille, il se bat pour arranger les choses. L’émotion du film est là, dans cette relation qui n’a plus le droit de cité. Alors que les personnages luttent pour une autre histoire d’amour, c’est celle d’Ahmad et de Marie qui envahit le récit, comme un arrière-plan puissant et indélébile. Le spectateur voudrait que le passé puisse revivre, qu’Ahmad et Marie puissent se retrouver plutôt que de partager leurs regrets et leur amertume.

Et puis il y a un autre passé prêt à ressurgir, celui qu’évoque un dernier plan assez improbable mais très romanesque. Car sous ses airs de thriller moral, le dernier film d’Asghar Farhadi interroge surtout le caractère éphémère des rapports humains. Une question terrible et fondamentale semble traverser l’histoire qui nous est contée : comment laisser au passé les êtres que nous avons aimés et pour lesquels nous avons vécu?

Note : 7/10

Le Passé
Un film d’Asghar Farhadi avec Bérénice Bejo, Tahar Rahim, Ali Mosaffa et Pauline Burlet
Drame – France – 2h10 – Sorti le 17 mai 2013
Prix d’interprétation féminine pour Bénénice Bejo et Prix du Jury Œcuménique au Festival de Cannes 2013

Mud – Sur les rives du Mississippi

Après le très acclamé Take Shelter, Jeff Nichols était forcément attendu au tournant. Son film suivant, Mud, confirme le talent du jeune cinéaste pour créer des personnages denses et rugueux et des atmosphères tendues et mystérieuses. Isolés dans leur vision du monde, les héros de Nichols mènent une lutte constante contre les autres, quitte à se perdre eux-mêmes.

Synopsis : Ellis et Neckbone, 14 ans, découvrent lors d’une de leurs escapades quotidiennes, un homme réfugié sur une île du Mississippi, et qui habite dans un bateau échoué dans les arbres.

Mud - Sur les rives du Mississippi - critiqueAu coeur de l’histoire, il y a Ellis, un jeune garçon de 14 ans. Dans Mud, tout se construit suivant un schéma simple : chaque personnage secondaire est dans une situation qui fait écho à celle d’Ellis, la vie s’organisant autour de deux relations essentielles, le mentor et la femme aimée.

Mud est un film de garçons et un film d’enfants. Ellis trouve en Mud un nouveau mentor, puisque la vie de son père est en train de se désagréger. Son ami Neckbone est éduqué par son oncle Galen, qui lui enseigne comment se débrouiller et draguer les filles, mais Ellis est sans doute son véritable modèle.

Mud et le père d’Ellis sont eux aussi de grands enfants (on pourrait ajouter Galen), perdus dans une vie qui ne correspond pas à leurs attentes. Mud compte sur le vieux Tom Blankenship, son père d’adoption, quand il est dans le pétrin. Le père d’Ellis ne semble avoir personne pour le soutenir devant ses rêves brisés.

Et puis il y a les femmes. Galen ne sait visiblement pas s’y prendre, malgré son « mode d’emploi » qu’il prête à Ellis et Neckbone. Tom voit son épouse lui échapper, Ellis essaie de conquérir le coeur de May Pearl et Mud se bat pour retrouver sa belle.

A chaque fois, l’amour des femmes semble incertain, superficiel, inconstant. Alors, Mud, Ellis et son père, frustrés, trahis, laissent éclater leur rage et leur violence. Tout ici se répète et se répond, les attentes de ces garçons idéalistes et forcément déçus, le comportement de ces filles incapables de folie, refusant de se donner entièrement et d’échapper à la raison, qui cherchent ailleurs, quelque chose de mieux, quelqu’un de mieux.

Le défi d’Ellis : sauver le rêve, sauver l’innocence, sauver l’amour. Alors, une seule solution, continuer à se battre, croire en Mud puisqu’il continue à se battre.

Au bout du Mississippi, il ne reste que la désillusion, les espoirs reposent au fond du fleuve. A la fin de son film, Jeff Nichols essaie bien de dire, contre tout ce qu’il a montré jusque là, que l’amour est possible, qu’on peut parfois se fier aux sentiments d’une femme. Trop tard, le film semble être un miroir brisé dans lequel chaque personnage serait le reflet d’une même angoisse, celle d’un garçon encore naïf qui rêve d’amour et qui devra, inéluctablement, perdre de sa pureté, ne trouvant personne autour de lui digne de sa confiance, ni un mentor capable de lui montrer le chemin, ni une femme prête à tous les sacrifices pour construire avec lui, au-delà de toute considération pragmatique, un amour au-dessus de tout, une raison de vivre, un alter ego.

Mud est un film ample construit comme un classique imposant du cinéma américain, lorgnant du côté de Terrence Malick, lui empruntant son mysticisme, sa foi en quelque chose de plus grand que l’homme. La tension monte petit à petit jusqu’à exploser dans deux très belles séquences, une course contre la montre et une étouffante fusillade. Au bout du compte, la quête d’absolu est un échec, il n’en reste que des artifices, une nouvelle maison, un nouvel horizon, autant de façons de fuir, de réinventer l’espoir. Jeff Nichols devrait sans doute être plus percutant pour que son film soit un chef d’oeuvre. Il n’en reste pas moins le portrait hypnotisant d’une innocence progressivement perdue. D’un idéal qui s’échappe.

Note : 7/10

Mud – Sur les rives du Mississippi (titre original : Mud)
Un film de Jeff Nichols avec Matthew McConaughey, Tye Sheridan, Reese Witherspoon, Jacob Lofland, Sarah Paulson, Ray McKinnon, Sam Shepard et Michael Shannon
Drame – USA – 2h10 – Sorti le 1er mai 2013